Le secteur de l’industrie automobile est « en chute libre » depuis cinq ans, et les sous-traitants ferment les uns après les autres. Pour surmonter la crise, certains choisissent de passer au service de l’industrie de la défense et de l’armement, alors que les commandes devraient se multiplier.
La nouvelle est tombée ce mercredi 12 mars : les salariés de l’usine TI Automotive, située à Nazelles-Négron en Indre-et-Loire, ont appris la fermeture prochaine du site. 130 salariés devraient être licenciés, et 26 postes transférés sur d’autres sites en France. En cause, un carnet de commandes vidé, dans une période de mutations profondes du marché automobile.
Comme TI Automotive, de nombreux sous-traitants de l’automobile accumulent les difficultés financières, avec suppressions d’emplois conséquentes. En Centre-Val de Loire, si l’automobile est toujours le secteur industriel numéro 1, son empreinte se réduit d’année en année. En 2023, 420 entreprises employaient plus de 27 000 salariés dans la région, d’après les chiffres de l’agence Dev’Up. Les chiffres actualisés début 2025 évoquent 359 établissements, et de 22 000 salariés. Soit une baisse des effectifs de près de 20%.
Face à cette dégringolade, et alors que le bout du tunnel n’est pas encore visible, les entreprises misent sur la diversification : ne plus travailler que pour l’automobile, et mettre machines et compétences au service de nouveaux secteurs. Les plus porteurs en ce moment ? L’aéronautique et la défense.
La défense-armement : bientôt premier employeur industriel de la région ?
Le secteur de l’armement progresse ainsi d’année en année en Centre-Val de Loire. Avec 18 500 salariés en 2023, il se rapprochait doucement des chiffres de l’automobile. Et, avec les encouragements de l’Union européenne et d’Emmanuel Macron à accélérer les cadences de production, la défense pourrait bientôt devenir le premier pourvoyeur d’emplois industriels de la région.
Pour surfer sur la vague avant même qu’elle ne se forme, le conseil régional a décidé de passer un appel à manifestation d’intérêt. Le but : passer en revue les sous-traitants automobiles en grande difficulté, et étudier les possibilités de réorienter compétences et lignes de production vers la défense et l’aéronautique. Comme l’explique François Bonneau, le président socialiste de la région :
Ces entreprises ont des compétences qui sont de moins en moins utiles. Faut-il considérer qu’elles n’ont pas d’avenir ? Non, puisqu’elles ont des équipements, des compétences, un savoir-faire. Il faut les aider à faire, au moins pour partie, place à de nouvelles productions.François Bonneau, président (PS) du conseil régional du Centre-Val de Loire
Pour y parvenir, la région a mandaté le pôle de compétitivité Cara, né à Lyon en 2005. Le groupement d’entreprises, qui accompagne notamment les boîtes des secteurs de l’automobile et des véhicules industriels, a créé une antenne à Orléans fin 2023. Ses missions : accompagner des projets et des besoins en fonds, accompagner des mises sur le marché via de la mise en réseau, et accompagner la recherche et l’innovation. Désormais, Cara assiste une vingtaine d’adhérents, de la très petite entreprise à la boîte embauchant plus de 1 000 salariés.
« L’industrie automobile n’est pas morte, mais elle traverse une crise majeure« , constate Pénélope Couture, responsable de l’antenne Cara en Centre-Val de Loire. Et, pour passer cette crise, trouver des débouchés est une nécessité. Chez certaines entreprises, ça ne demande que « quelques adaptations« .
Seulement, pour se diversifier, « tout dépend de la taille des entreprises« . Car, pour passer de l’auto au canon, il faut investir dans de nouvelles machines, et dans de la formation pour les personnels. Pour une entreprise comme Phinia, qui embauche plus de 1 000 salariés à Blois, « les capacités financières sont là, mais pour de plus petites entreprises d’usinage, ça peut être un frein« .
Des entreprises « en chute libre »
Maximilien Poul dirige Duthion & Cie à Yermenonville, en Eure-et-Loir, entreprise d’usinage de haute précision. Il est la quatrième génération dans la société, fondée par son arrière-grand-père, et n’emploie que 25 salariés. Forcément, pour investir, il lui a fallu un (gros) coup de pouce. Après avoir candidaté, il a pu bénéficier des aides des deux plans France 2030, qui lui ont permis d’acquérir des machines à 50, puis 65% de leur prix.
Sans ça, la PME eurélienne n’aurait pas été en mesure de répondre à ses ambitions. Car, après « deux années record » en 2018 et 2019, « on s’est pris la claque du Covid et le changement de technologie du thermique vers l’électrique« . Résultat, une « chute libre« , et un chiffre d’affaires divisé par deux. « On est descendus plus bas que terre« , souffle le gérant. Pas idéal pour investir, alors même que l’investissement était sa seule porte de sortie de crise.
Dès 2021, Duthion & Cie prépare un plan de diversification, en direction du pétrolier, du gaz et de l’aéronautique. La défense s’est insérée plus tard dans l’équation. Auparavant, son chiffre d’affaires dépendait à 90% de l’automobile. Objectif sur cinq ans : passer à 50%.
L’entreprise passe sa certification européenne EN9100, nécessaire pour produire pour l’aéronautique et la défense. De nouvelles machines sont acquises, les équipes sont formées. Maximilien Poul intègre plusieurs clusters, pour partager avec d’autres entreprises du secteur et s’inclure dans le cercle des décideurs de l’industrie. En bref, mettre toutes ses chances de son côté.
Les commandes tardent toujours à venir
Trois ans plus tard, « je suis quasiment prêt à prendre, entre l’aéronautique et la défense, quasiment 80% des produits demandés, on les connaît« , assure le gérant.
Tout ce qui est terrestre, missiles, et aussi les véhicules. Si je sais faire une pièce pour Peugeot, je sais aussi la faire pour un véhicule militaire. Et on a du temps de disponible…Maximilien Poul, gérant de Duthion & Cie
Du temps car, malgré « trois ans de travail, de temps, d’argent« , les commandes se font attendre. Pour lui, « nous PME ne sommes pas assez gros pour chasser les donneurs d’ordres« , tels que Thalès et MBDA, en direct. « Chez Safran, on m’a dit qu’ils cherchaient des entreprises solides avec quatre derniers bilans très positifs avant de leur confier des affaires… Nous, on vacille depuis le Covid, donc on est mis de côté« , regrette-t-il. Et « les grands groupes font appel à d’autres grands groupes, qui ont stabilité et bureaux d’études« .
Résultat, les entreprises les plus fragiles sont aussi celles qui sont le moins aidées. « Il faudrait un cercle vertueux, que les commandes de la DGA (la direction générale de l’armement, ndlr) puissent appuyer les PME qui ont été aidées par l’État« , milite Maximilien Poul.
Comment se vendre auprès des géants de l’armement ?
Reste aux entreprises du secteur la possibilité de travailler ensemble. « Avant, il y avait une concurrence nationale, maintenant elle est mondiale. » Les sous-traitants du Centre-Val de Loire, autrefois compétiteurs, établissent désormais des stratégies communes. « Les grandes entreprises veulent des produits complets, mais c’est rare d’y arriver à une seule société, donc on peut faire des accords« , explique le gérant de Duthion & Cie. Avec ses voisins, il espère aussi pourvoir « chasser en meute » certains marchés. Sans être aussi puissants qu’un grand groupe, plusieurs PME évoluant ensemble seront plus convaincantes qu’une seule face à Nexter ou MBDA.
Maximilien Poul prévoit aussi des rendez-vous avec la DGA, responsable de la commande publique de défense, pour « se faire référencer et dire qu’on sait faire les travaux demandés« . Côté État, la direction régionale de l’économie (Dreets) propose aussi son lot d’accompagnement. Quant à la région, « on va bientôt réunir les entreprises de l’armement« , promet François Bonneau, pour faire la pub des petites entreprises prêtes à l’emploi sur le territoire.
La collectivité propose aussi des aides financières à l’investissement, comme des subventions, des avances remboursables et des déploiements de fonds européens. Le patron du conseil régional ambitionne aussi d’augmenter de 20% le nombre d’ingénieurs formés dans la région.
« La production va accroître en volume »… mais quand ?
François Bonneau estime que, malgré les difficultés des sous-traitants diversifiés comme Duthion & Cie, « la production va accroître en volume » dans les prochains mois. « Le mouvement vers les sous-traitants va être très important, prophétise-t-il. Il ne faut pas observer ces mutations passivement, mais les anticiper et les porter.«
En dépit de son amertume face au manque de commandes, Maximilien Poul aussi reste optimiste. Les annonces du président de la République sur le réarmement du pays et de l’Europe « me donnent confiance« , assure-t-il. « Mais je demande à voir, parce que les industriels n’arrivaient déjà pas à produire ce qui était demandé avant, et ils ne faisaient quand même pas appel à nous.«
« La défense est un secteur qui va croître, oui. Mais dans quelle mesure les commandes vont arriver ?« , s’interroge, prudente, Pénélope Couture. Et la réponse à cette question ne devrait pas arriver dans les prochaines semaines, puisque les délais dans l’armement et l’aéronautique sont très différents de l’automobile. « Les discussions prennent du temps, constate la responsable de l’antenne Centre-Val de Loire de Cara. On a des sociétés qui sont en discussion depuis six mois ou un an…«
« Enrichir les marchants de canons »
Du côté des syndicats, ces diversifications sont accueillies avec un enthousiasme plus que pudique. « L’automobile, c’est la débâcle… Les gens vont fabriquer des bombes parce qu’ils ont besoin de subvenir aux besoins de leur famille, mais on ne peut pas dire que ce soit réjouissant« , raille, amer, Florent Trinquart. « Nous, on préférerait travailler pour le train, les bateaux de croisière… quelque chose qui apporte du bonheur aux gens.«
Employé de la fonderie Eurocast près de Châteauroux, il est animateur de la CGT Métallurgie en Centre-Val de Loire. Et voit d’un œil méfiant les encouragements à investir dans l’armement. « On va encore enrichir les gros groupes marchants de canons en demandant des efforts aux travailleurs et en enlevant des budgets au social« , redoute-t-il.
Au terme de ces ambitions de diversification, si la défense n’a pas rempli ses promesses de sauver les sous-traitants de l’automobile de la région, il restera encore d’autres options. « Il y a aussi le vélo, le ferroviaire… Ce sont des process quasiment identiques« , assure-t-on chez Cara. Car vélos et trains sont aussi des armes, dans la guerre contre le changement climatique.