Les pays membres de l’Union européenne ont rendez-vous à Bruxelles, jeudi, pour discuter des conséquences des décisions de Donald Trump au sujet de l’Ukraine.
L’Union européenne a beau être habituée aux crises, celle-ci est majeure. Les 27 chefs d’Etat et de gouvernement des pays membres se retrouvent jeudi 6 mars à Bruxelles (Belgique) pour un Conseil européen spécial consacré à la défense et à l’Ukraine. Les Européens, qui ont invité le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à se joindre à eux, ont de quoi s’occuper. Ils doivent trouver une réponse commune à la suspension de l’aide américaine à Kiev, tout en assurant la défense du Vieux Continent.
Le futur chancelier allemand, Friedrich Merz, a estimé lundi que l’Europe était à « cinq minutes de minuit », rapporte le Guardian(Nouvelle fenêtre). La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, prévient, elle, que « l’Europe fait face à un danger clair et immédiat ».
« L’Europe de la défense devient une réalité », veut croire pour sa part Emmanuel Macron, qui a abordé ce sujet, mercredi, lors de son allocution. Tous ne s’accordent pas pour autant sur la marche à suivre. Sans accord de paix en vue, la question, sensible, de l’envoi de troupes européennes en Ukraine n’est pas prévue officiellement à l’ordre du jour. Mais d’autres points capitaux font débat entre les Etats membres de l’UE, comme vous le détaille franceinfo.
L’augmentation de l’aide à destination de Kiev
La suspension de l’aide américaine à l’Ukraine, décidée par le président américain, Donald Trump, lundi, est dans tous les esprits. Si elle n’a pas de conséquences immédiates sur le front, elle pose un défi à Kiev à moyen terme. Plusieurs leaders européens demandent à l’UE de prendre le relais de Washington. Le ministre des Affaires étrangères estonien, Margus Tsahkna, estimait ainsi lundi que l’Europe devait « accroître et accélérer son assistance à l’Ukraine pour combler le vide ».
L’UE en a-t-elle les moyens ? Washington a donné 114,2 milliards d’euros d’aide financière, humanitaire et militaire à l’Ukraine entre 2022 et fin 2024, selon les calculs de l’institut Kiel (Nouvelle fenêtre)(Allemagne). Le chiffre s’élève à 132,3 milliards d’euros pour l’UE et les pays européens. « Prendre le relais risque d’être compliqué avec nos instruments et niveaux de dépense actuels », explique à franceinfo Gesine Weber, spécialiste de la défense européenne et chercheuse au German Marshall Fund of the United States, think tank basé aux Etats-Unis.
L’utilisation des avoirs russes gelés
La question des avoirs russes, gelés par l’UE depuis le début de la guerre, agite les Vingt-Sept. La somme est conséquente : près de 210 milliards d’euros, appartenant principalement à l’Etat russe, sont bloqués. Environ 90% se trouvent dans les coffres numériques d’Euroclear, en Belgique. Jusqu’à présent, seuls les intérêts générés par ces avoirs ont été utilisés par l’UE pour aider Kiev, soit un montant estimé entre 2,5 et 3 milliards d’euros par an.
Certains poussent pour utiliser les avoirs eux-mêmes pour armer Kiev. La France est pour l’instant opposée à cette idée. Le ministre de l’Economie, Eric Lombard, l’a jugée mardi sur franceinfo « contraire aux accords internationaux ». A l’inverse, la Pologne, les pays Baltes, tout comme la cheffe de la diplomatie européenne, Kaja Kallas, y sont favorables. « En dehors de l’argument légal, certains pensent que ces avoirs pourraient être utilisés comme une carte, en cas de négociation avec la Russie. Mais en utilisant cet argent, on risquerait de ne plus l’avoir en main », souligne Gesine Weber.
La manière de financer une hausse des budgets de défense
Face au désengagement américain en Europe, les Vingt-Sept partagent la volonté d’augmenter largement leurs budgets de défense. Certains pays, comme l’Allemagne mardi, ont d’ores et déjà annoncé une nette hausse de leurs dépenses. Emmanuel Macron en a fait de même, mercredi, lors de son allocution. Mais les sommes à investir sont conséquentes et demandent un effort de coordination.
Défendre l’Europe sans les Etats-Unis coûterait au moins 250 milliards d’euros d’investissements supplémentaires par an, selon les récentes estimations de Bruegel(Nouvelle fenêtre), think tank basé à Bruxelles (Belgique), et de l’institut Kiel. Le plan « réarmer l’Europe », présenté par la Commission européenne mardi, « est une première étape » dans ce sens, analyse Gesine Weber. Il prévoit notamment d’exclure les dépenses de défense des règles encadrant le déficit budgétaire, ainsi que 150 milliards d’euros de prêts à destination des Etats membres.
Mais les Vingt-Sept finiront par devoir aborder « la question qui fâche, à savoir celle de l’endettement commun pour la défense » sur le modèle du plan de relance post-Covid, pointe la spécialiste. Lors de son allocution, mercredi, Emmanuel Macron a affirmé vouloir « des financements communs massifs » pour « acheter et produire sur le sol européen des munitions, des armes, et des équipements parmi les plus innovants ».
La question du rôle de la Commission européenne est aussi sur la table. Certains Etats membres craignent que « Bruxelles mette la main sur la défense », rapporte le site d’information Politico(Nouvelle fenêtre), qui a interrogé plusieurs diplomates. Ursula von der Leyen n’a actuellement que peu de pourvoir dans ce domaine. « Il y a un besoin de coordination, mais tout le monde ne s’accorde pas jusqu’où doivent aller les choses », résume Gesine Weber.
La stratégie à adopter face à Donald Trump
Secoués par les décisions successives de Donald Trump au sujet de l’Ukraine, les Européens ne sont pas tous d’accord sur la stratégie à adopter face aux Etats-Unis. A quel point faut-il se détacher de Washington ? « Certains pensent qu’il n’est pas possible de travailler avec Donald Trump, d’autant plus parce qu’il ne considère pas l’UE comme un interlocuteur légitime » souligne Gesine Weber.
La Pologne considère la relation transatlantique comme essentielle. De son côté, le Premier ministre britannique, Keir Starmer, a assuré dimanche sur la BBC travailler avec la France sur « un plan pour faire cesser les combats » entre l’Ukraine et la Russie qui sera présenté à l’administration américaine.
Autre problème, récurrent au sein de l’UE : la position de la Hongrie de Viktor Orban. Contrairement à ses homologues européens, le Premier ministre hongrois a remercié Donald Trump après son altercation avec Volodymyr Zelensky. « Les hommes forts font la paix, les hommes faibles font la guerre », a-t-il écrit sur X(Nouvelle fenêtre). Il a été reçu mercredi soir à l’Elysée par Emmanuel Macron, alors que l’homme fort de Budapest, connu pour ses positions pro-Moscou, menace de réduire à néant les ambitions affichées par le Conseil européen, en refusant notamment de nommer l’Ukraine dans les conclusions finales de la réunion, rapporte Euractiv(Nouvelle fenêtre).
« Depuis le début de la guerre, la Hongrie a toujours fini par lever ses blocages en échange de concessions », rappelle toutefois Gesine Weber. En décembre 2023, Viktor Orban était allé jusqu’à sortir de la pièce, pour permettre à ses homologues d’avaliser le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’UE.