La polarisation en trois blocs de l’échiquier politique, couplée à une participation qui s’annonce forte lors de ces élections, peut rendre possible « jusqu’à 250 triangulaires » au second tour.
A deux jours du premier tour des élections législatives, c’est l’une des inconnues du scrutin. Le nombre de triangulaires, c’est-à-dire les seconds tours électifs à trois candidats, pourrait être inédit et avoir un impact sur le résultat. « Nous aurons sûrement dès dimanche soir un nombre spectaculaire de triangulaires », prévient même Brice Teinturier, directeur général de l’institut de sondages Ipsos, vendredi 28 juin, sur franceinfo. Cette hausse importante s’explique par un effet de levier lié à la participation. Car si un nombre d’électeurs plus important que d’habitude se rend aux urnes, cela accroîtra mécaniquement le nombre de triangulaires potentielles.
Selon le Code électoral, pour accéder au second tour, un candidat doit arriver en première ou deuxième position au premier tour. Mais il peut également se qualifier s’il recueille un nombre de voix au moins égal à 12,5% du nombre des électeurs inscrits dans sa circonscription. Plus la participation est forte, plus les candidats sont donc dans la capacité d’atteindre ce seuil de 12,5%. Or selon une enquête Ipsos pour Radio France, France TV, Le Monde, Sciences Po Cevipof, l’Institut Montaigne et la Fondation Jean-Jaurès, réalisée du 21 au 24 juin et publiée jeudi, la participation pourrait atteindre 63%, soit 15,5 points de plus qu’aux dernières élections législatives de 2022.
Jusqu’à 250 triangulaires sur 577 circonscriptions
Au regard des intentions de vote, la possibilité de triangulaires peut aussi être favorisée par la polarisation des votes en trois blocs : Nouveau Front populaire, Ensemble pour la République et Rassemblement national. Selon la dernière enquête Ipsos, la majorité des électeurs affirment vouloir voter pour l’un de ces blocs. Le Rassemblement national est crédité de 36% des intentions de vote, le Nouveau Front populaire de 29% et enfin Ensemble de 19,5%.
Des suffrages qui s’annoncent d’autant plus concentrés que le nombre de candidats aux législatives de 2024 est le plus bas depuis trente ans. Seulement 4 010 sont répertoriés sur tout le territoire, soit 2 280 de moins qu’en 2022. Organisées dans un temps très court à la suite de la dissolution de l’Assemblée nationale, annoncée le 9 juin par Emmanuel Macron, ces élections ont surpris de nombreuses petites formations politiques qui n’ont pas eu le temps de s’organiser pour présenter des candidats. Leur nombre est par ailleurs réduit par l’alliance à gauche, qui rassemble plusieurs partis sous la même étiquette du Nouveau Front populaire.
En prenant en compte la combinaison de toutes ces conditions, « on peut avoir jusqu’à environ 250 triangulaires », estime Brice Teinturier, qui rappelle qu’il n’y en avait eu que huit lors des législatives de 2022. Le nombre effectif de seconds tours à trois candidats pourrait toutefois être moindre « en fonction des retraits qui interviendront ou pas, du candidat qui aura été en troisième position », ajoute le directeur d’Ipsos.
Des triangulaires favorables au candidat arrivé en tête
Alors qu’Emmanuel Macron a renvoyé dos à dos le RN et le Nouveau Front populaire, en appelant à voter « contre les extrêmes », les consignes de retraits des partis sont encore très incertaines. A gauche, Raphaël Glucksmann s’est dit favorable à « un désistement républicain » en cas de triangulaire face au RN au second tour. « Ce à quoi j’appelle, en mon nom personnel, c’est à se ranger derrière le candidat qui est démocrate et qui sera le mieux placer pour faire face au Rassemblement national et lui barrer la route », a fait savoir la tête de liste PS-Place publique aux dernières élections européennes, le 14 juin sur France Inter.
Les triangulaires bénéficient en effet au candidat arrivé en tête au premier tour, car les reports de voix possibles sont faibles si les deux autres candidats arrivés en deuxième et troisième position se maintiennent. Alors que le RN est en tête des intentions de vote au niveau national et dans de nombreuses circonscriptions, une explosion des triangulaires pourrait ainsi lui être favorable. En cas de désistement d’un candidat Nouveau Front populaire en revanche, « les reports qui interviendraient seraient à un niveau moins mauvais qu’en 2022 », estime Brice Teinturier. Selon lui, les électeurs de gauche pourraient en effet se déplacer plus massivement pour faire barrage à l’extrême droite qu’aux dernières élections législatives. « En 2022, il n’y avait pas, aux yeux des électeurs de gauche, l’imminence de l’accession au pouvoir du Rassemblement national », analyse le directeur d’Ipsos.