Déficit public : face aux objectifs rarement atteints des gouvernements français, des prévisions trop optimistes ?
Déficit public : face aux objectifs rarement atteints des gouvernements français, des prévisions trop optimistes ?

Déficit public : face aux objectifs rarement atteints des gouvernements français, des prévisions trop optimistes ?

11.10.2024
5 min de lecture

Depuis le début des années 2000, la France n’a que très rarement tenu ses promesses de réduction du déficit faites à Bruxelles. Mettant ainsi en cause la crédibilité de ses prévisions.

C’est un budget doublement sensible qui a été présenté par le gouvernement en Conseil des ministres, jeudi 10 octobre. D’abord parce que l’exécutif n’est pas assuré de disposer d’une majorité à l’Assemblée pour le voter. Mais surtout par le caractère inédit de l’objectif visé : réduire les dépenses de 40 milliards d’euros, et augmenter les recettes d’un peu moins de 20 milliards. En ligne de mire, Michel Barnier espère ramener le déficit public (la différence entre les recettes et les dépenses de l’Etat) à 5% du PIB en 2025, puis à 3% à l’horizon 2029.

Restaurer la crédibilité financière de la France est d’autant plus important pour l’exécutif que ses annonces sont scrutées de toutes parts. Sur les bancs de l’Assemblée, bien sûr, mais aussi par les marchés financiers et les agences de notation, comme Fitch, qui doit réévaluer la note de la France vendredi. En théorie, une note dégradée en raison de prévisions mauvaises ou peu crédibles peut avoir des conséquences sur les taux d’intérêt auxquels la France peut emprunter.

Pour juger de la crédibilité des prévisions sur l’état des comptes publics tricolores, plusieurs experts les observent à la lumière de l’écart entre les annonces des années précédentes et le déficit public observé a posteriori. Inspiré par un graphique issu d’une étude du cabinet britannique Oxford Economics, très partagée sur X(Nouvelle fenêtre), franceinfo a comparé le déficit public réel, publié par l’Insee, aux prévisions élaborées par le ministère des Finances. Du fait de ses obligations européennes, la France présente chaque année, en avril, un programme de stabilité censé démontrer à la Commission européenne les efforts du pays pour retrouver un déficit en dessous de la barre fatidique des 3%. Car au-delà, Paris s’expose aux sanctions des procédures de « déficit excessif ».

Dérapage plus grave que prévu

Comme le montre le graphique ci-dessous, un déficit équivalent à 5% du PIB en 2025, comme promis par Michel Barnier, serait largement supérieur aux prévisions de ces dernières années. Les programmes de stabilité transmis par la France à Bruxelles entre 2022 et 2024 (en pointillés gris ci-dessous) promettaient, pour 2025, un déficit entre 3,7 et 4,1% du PIB, et un passage en dessous des 3% dès 2027. Pour l’instant, c’est raté. Pour justifier le dérapage actuel, le gouvernement renvoie à des recettes fiscales moins élevées que prévu et à une hausse des dépenses des collectivités locales.

En juillet, la Cour des comptes(Nouvelle fenêtre) avait jugé « peu réalistes » les objectifs affichés d’ici à 2027, estimant que « depuis deux ans, chaque nouvelle trajectoire pluriannuelle apparaît ainsi plus fragile que la précédente. Il est crucial de revenir sous 3% de déficit et de replacer la dette publique sur une trajectoire décroissante ; mais cet effort doit être engagé sur la base de prévisions plus réalistes et plus crédibles que ce n’est le cas aujourd’hui. »

Des comptes publics plombés par le Covid-19

Si l’on dézoome ce même graphique et que l’on observe ces données depuis 2019, on constate que la France se remet tout juste de la crise liée au Covid-19. En 2020, le déficit public avait atteint un niveau inédit, à 8,9% du PIB, en raison des mesures d’urgences mises en place « quoi qu’il en coûte ». À crise exceptionnelle, réponse exceptionnelle : l’Union européenne avait alors décidé de suspendre ses règles de discipline budgétaire jusqu’en 2022.

En 2021, toutefois, le déficit constaté par l’Insee, à 6,6% du PIB, s’est avéré bien plus faible que ce qui avait été anticipé dans le programme de stabilité de cette année (9%). Comme le montre le graphique ci-dessous, les prévisions faites en 2021 (en pointillé gris) passent largement au-dessus de la courbe rouge du déficit finalement observé. Pour Raul Sampognaro, économiste au département Analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), « les recettes fiscales en 2021 et 2022 ont été très importantes par rapport au niveau de la croissance française ». Une embellie qui n’a pas duré, après la crise énergétique liée à la guerre en Ukraine et l’inflation qu’elle a entraînée.

Si l’on recule encore davantage, jusqu’en 2000, on se rend compte que les objectifs ne sont en réalité que rarement atteints. Depuis près de 25 ans, le déficit n’est passé sous la barre des 3% que trois années, alors que toutes les prévisions des programmes de stabilité devaient l’y emmener. La France n’a suivi la trajectoire prévue qu’une poignée de fois. Les rares années où elle a fait mieux qu’annoncé correspondent aux périodes d’après-crise, comme en 2010, après la crise financière de 2008, ou 2021, après le choc initial du Covid-19.

« Manque de crédibilité »

Certaines années, les prévisions envoyées à Bruxelles tablaient même sur un retour à un déficit nul, comme prévu en 2012 pour l’année 2016. En 2018, avant que ne frappe le Covid-19, Bercy visait même un déficit négatif, à -0,3% du PIB. C’est-à-dire des comptes publics excédentaires. Un scénario qui fait probablement rêver l’administration financière, mais que la France n’a pas connu depuis 1974, rappelle l’Insee(Nouvelle fenêtre).

Ce graphique illustre « le manque de crédibilité des programmes de stabilité présentés », qui ont « toujours prévu une amélioration rapide du solde public », note le site Fipeco(Nouvelle fenêtre), créé par François Ecalle, ancien magistrat de la Cour des comptes. Qui tempère néanmoins : « Les programmes présentés depuis 2011 sont plus proches des soldes constatés par l’Insee sur les deux premières années de la période de programmation. »

En réalité, pour Raul Sampognaro, prévisionniste à l’OFCE, il faut comprendre comment ces prévisions sont calculées : à partir de tendances macroéconomiques, mais aussi de la politique budgétaire (à la fois celle qui est mise en place l’année en question et celle qui est prévue par la suite). « Une partie de ces déviations viennent d’erreurs dans les prévisions macroéconomiques. Tous les prévisionnistes du monde se trompent sur la macro, qui est plus volatile et difficile à prévoir », concède-t-il. En outre, des « pressions externes », telles que la création du Haut Conseil des Finances publiques en 2012, ont poussé les acteurs à « retirer le biais optimiste de certaines prévisions », que l’on pouvait constater par le passé, rassure Raul Sampognaro.

Mais l’économiste en convient : « Il commence à y avoir un problème de crédibilité sur les comptes publics français. On entre dans un monde nouveau, avec un gouvernement minoritaire et beaucoup de divisions à l’Assemblée. Si les discussions budgétaires se passent mal, les marchés financiers peuvent réagir extrêmement vite. »

Venu à Luxembourg présenter les nouveaux objectifs financiers de la France, lundi, le nouveau ministre des Finances, Antoine Armand, s’est voulu rassurant face à ses homologues de l’Union européenne. « C’est une trajectoire sérieuse, crédible et ambitieuse pour notre pays afin de respecter totalement les règles budgétaires de l’UE », a-t-il, encore une fois, promis. Paris a obtenu un délai jusqu’au 31 octobre pour présenter sa trajectoire pluriannuelle des finances publiques, initialement attendue le 20 septembre.

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