"Je ne suis pas le fainéant que les politiques décrivent" : trois mois après sa généralisation, la réforme du RSA fait craindre "des risques d'exclusion sociale"
"Je ne suis pas le fainéant que les politiques décrivent" : trois mois après sa généralisation, la réforme du RSA fait craindre "des risques d'exclusion sociale"

« Je ne suis pas le fainéant que les politiques décrivent » : trois mois après sa généralisation, la réforme du RSA fait craindre « des risques d’exclusion sociale »

01.04.2025
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Les associations et acteurs sociaux s’inquiètent notamment de la mise en place, dans les prochains mois, de la suspension du revenu de solidarité active pour les allocataires qui ne respecteraient pas leur contrat d’engagement, notamment l’obligation d’effectuer au moins quinze heures d’activité par semaine.

Les nuits où il peine à trouver le sommeil, Patrice ressasse, « stresse », s’inquiète pour son avenir. « Parfois, j’ai peur de finir à la rue », confie cet homme de 42 ans actuellement en reconversion dans le secteur de l’intelligence artificielle. Après une quinzaine d’années comme commercial, il s’est retrouvé au chômage et vit désormais chez ses parents. Depuis le début d’année et la fin de ses indemnités, il vivote, pioche dans ses économies pour participer aux charges et aux courses et s’est inscrit au RSA pour continuer à payer sa formation.

Mais les premiers virements ne sont pas encore tombés – le revenu de solidarité active est de 646,52 euros par mois pour une personne seule sans enfant à charge depuis le mardi 1er avril – et Patrice s’interroge. « Est-ce que je dois travailler 15 heures en plus de ma formation pour toucher mon allocation ? Je n’en sais rien, mais si je ne touche pas d’indemnité, cela va compliquer mon quotidien pour poursuivre ma formation, trouver un logement« , souffle-t-il. Il n’a pas encore obtenu de rendez-vous avec un conseiller de France Travail et encore moins signé son contrat d’engagement.

Une suspension « sans discernement »

Après une expérimentation dans une cinquantaine de départements, la réforme du RSA a été généralisée au 1er janvier 2025. Les 1,8 million de bénéficiaires, désormais tous inscrits à France Travail, doivent respecter un contrat d’engagement réciproque (CER). Le versement de leur aide est conditionné à au moins quinze heures d’activité par semaine (dans le monde du travail, sous forme de formation ou pour un projet personnel entrepreneurial). Et la loi pour le plein-emploi de décembre 2023 instaure aussi une sanction appelée « suspension-remobilisation ». Prenant effet dans les prochaines semaines, elle permet à France Travail ou au conseil départemental – le RSA est géré par les départements – de suspendre le versement du RSA si un allocataire ne respecte pas une partie de ses obligations.

Ce durcissement inquiète les associations et les acteurs sociaux. Dans un avis(Nouvelle fenêtre) publié mi-mars, le Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale (CNLE), instance rattachée au Premier ministre, s’est inquiété de la mise en place de cette réforme et de la suspension « sans discernement » de l’allocation, alertant sur « des risques d’exclusion sociale ». Cette loi « fait porter, de manière disproportionnée, la responsabilité de l’insertion sur les allocataires et ignore les réalités des publics et des emplois qui sont susceptibles de leur être proposés ou qui leur sont accessibles, en fonction de leur territoire », note aussi le CNLE.

« Le couteau sous la gorge »

Un constat que Charlotte, 41 ans, dit vivre au quotidien. Cette femme et son mari ont créé un éco-lieu dans les Alpes-Maritimes où ils accueillent des stagiaires et cultivent des plantes médicinales et alimentaires qu’ils vendent sur les marchés. Les débuts sont compliqués, alors le RSA qu’ils touchent est une bouée de sauvetage, l’assurance de nourrir leurs trois enfants à la fin du mois. « France Travail nous demande soit de tirer des revenus de notre activité, soit de travailler 15 heures par semaine pour toucher le RSA. Mais nous travaillons actuellement, même si cela nous rapporte peu », explique Charlotte, qui voit dans le RSA un moyen de « joindre les deux bouts » en attendant de vivre mieux. Au lieu de ça, elle vit « avec le couteau sous la gorge ».

Dans le cadre du contrat d’engagement, elle doit régulièrement tenir au courant France Travail de ses démarches dans son éco-lieu et parfois accepter des missions dont elle ne veut pas, ce qui a déjà entraîné des suspensions de son allocation. « Je rêve de réussir à être autonome de mon activité, mais je ne refuse pas de travailler. S’il faut trouver un boulot, je le ferai, mais il faut qu’il soit en adéquation avec mes convictions », assure Charlotte, qui a déjà refusé une activité dans une boucherie (elle est végétarienne) ou chez Amazon. Elle parle d’une réforme injuste et « violente », qui fait d’elle une « pestiférée de la société ».

Un sentiment partagé par certaines personnes qui ont répondu à l’appel à témoignages lancé par franceinfo, dont Jean-Marie. Cet ancien intermittent du spectacle s’est inscrit au RSA en janvier 2024 dans le Finistère, quelques mois après la mort de son père. Il soignait alors une dépression.

« J’ai la sensation d’être contrôlé, qu’on dit aux gens au RSA comme moi : ‘C’est fini de profiter du système’. Mais je ne suis pas le fainéant que les politiques décrivent. J’ai travaillé toute ma vie, j’ai simplement besoin de ce RSA pour prendre du temps pour moi, me soigner. »

En septembre, il avait signé un contrat d’engagement avec sa conseillère. L’objectif : effectuer quinze d’heures d’activité par semaine, en entreprise ou sur son projet de création d’entreprise dans l’audiovisuel. Ce qu’il n’a pas suffisamment fait selon France Travail, qui a suspendu son allocation en début d’année. Jean-Marie multiplie actuellement les courriers pour régulariser sa situation, mais refuse de réaliser les quinze heures d’activité hebdomadaires. 

Jusqu’à quatre mois de suppression de l’allocation

« Soit on ne travaille pas et on vit mal, soit on est payé pour son travail. Mais il est hors de question de travailler bénévolement », tranche Jean-Marie, dont le cas n’est pas isolé. Dans le Finistère, où il vit, le nombre de bénéficiaires du RSA a baissé de 18% en trois ans, notamment en raison de la réforme qui était expérimentée dans ce département, selon ici Breizh Izel(Nouvelle fenêtre). Le président du conseil départemental, Maël de Calan (DVD), y voit la preuve du retour de bénéficiaires dans le monde du travail quand l’opposition dénonce une hausse des radiations.

Les associations et acteurs sociaux évoquent, eux, une réforme dangereuse et contre-productive. Dans un bilan de l’expérimentation(Nouvelle fenêtre) publié en octobre, le Secours catholique, ATD Quart-Monde et Aequitaz ont alerté sur un « risque de glissement vers le travail gratuit » et une « aggravation possible de la mécanique des radiations »« Cette réforme comporte un risque social et économique, où des bénéficiaires vont prendre un boulot pour remplir leurs 15 heures, sans que cela ne profite ni à l’entreprise ni à eux », juge auprès de franceinfo Marion Ducasse, chargée de plaidoyer chez Aequitaz. Elle voit notamment dans les sanctions envers les bénéficiaires du RSA une mesure « idéologique » qui « va leur mettre la pression au lieu de les aider à sortir du RSA ».

Le nouveau régime de sanctions en cas de manquement pourrait se traduire par une suspension de l’allocation de 30% à 100% – un décret doit être prochainement publié. Dans un document présenté aux conseils départementaux, le gouvernement prévoit deux niveaux. Pour un premier manquement, il est prévu une suspension de l’allocation allant de 30% à 100% pour un ou deux mois (le bénéficiaire pourra régulariser sa situation et percevoir l’allocation de manière rétroactive). En cas de manquements persistants, le ministère du Travail envisage des sanctions plus lourdes, qui peuvent aller jusqu’à une suppression totale de l’allocation pour quatre mois.

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