Affaire Notre-Dame de Bétharram : que savait François Bayrou des différents cas de violences au sein de l'établissement ?
Affaire Notre-Dame de Bétharram : que savait François Bayrou des différents cas de violences au sein de l'établissement ?

Affaire Notre-Dame de Bétharram : que savait François Bayrou des différents cas de violences au sein de l’établissement ?

14.02.2025
8 min de lecture

Le Premier ministre a assuré à plusieurs reprises n’avoir « jamais entendu parler » des accusations de violences au sein de cet établissement catholique sous contrat. Mais plusieurs témoins assurent avoir alerté l’ancien ministre de l’Education nationale.

François Bayrou n’en démord pas. Le Premier ministre a assuré, mardi 11 février, à l’Assemblée nationale, n’avoir « jamais été informé de quoi que ce soit de violences ou de violences a fortiori sexuelles » concernant l’établissement Notre-Dame de Bétharram, situé dans son département des Pyrénées-Atlantiques. Mais plusieurs témoignages et des révélations de divers médias(Nouvelle fenêtre) ont jeté le trouble sur les déclarations du chef du gouvernement, d’autant que François Bayrou est lié à cet établissement catholique sous contrat. Il y a scolarisé plusieurs de ses enfants et son épouse Elisabeth Bayrou y a même enseigné le catéchisme.

La gauche dénonce désormais un « mensonge » du Premier ministre et un « scandale d’Etat », à l’instar de Manuel Bompard, coordinateur de La France insoumise, interrogé sur RTL(Nouvelle fenêtre). Plusieurs parlementaires socialistes des Pyrénées-Atlantiques ont adressé une lettre ouverte au Premier ministre lui réclamant de dire la vérité. Et le député insoumis Paul Vannier demande(Nouvelle fenêtre) même la création d’une commission d’enquête parlementaire. Pour tenter de comprendre ce qui est reproché à François Bayrou, franceinfo reprend la chronologie des faits.

Une première plainte en 1996 

Au cœur de la polémique se trouve d’abord une plainte déposée en avril 1996 contre un surveillant, pour une violente claque qui avait percé le tympan d’un adolescent. « Mon fils a perdu une partie de l’audition, les médecins n’ont pas pu sauver son oreille », témoigne le père de famille à l’origine de la plainte auprès de Mediapart(Nouvelle fenêtre). Ce dernier assure que François Bayrou, qui occupait à l’époque les fonctions de ministre de l’Education nationale, a forcément été mis au courant. « Mon fils était dans la même classe que le sien », s’étonne-t-il auprès de Mediapart. « A l’époque, j’étais furieux contre son absence de réaction. »

« Jamais je n’ai été, à cette époque, averti (…) des faits qui ont donné lieu à des plaintes ou à des signalements », a pourtant affirmé le Premier ministre devant les députés. Dans ces diverses déclarations à la presse, François Bayrou s’est montré évasif concernant ces premiers récits de violences. « Seule l’une de mes filles se souvient d’une affaire de claques données par un surveillant », confiait-il en mars 2024 à La République des Pyrénées(Nouvelle fenêtre). 

« C’est vrai que la rumeur, il y a vingt-cinq ans, laissait entendre qu’il y avait eu des claques à l’internat. »François Bayrou

dans « Le Parisien » en mars 2024

Pourtant, France 3 Nouvelle-Aquitaine(Nouvelle fenêtre) a exhumé un article de presse de Sud Ouest qui semble montrer que le ministre s’était emparé de l’affaire à l’époque, lors d’un déplacement au sein de l’établissement. « Nombreux sont les Béarnais qui ont ressenti ces attaques avec un sentiment douloureux et un sentiment d’injustice », déclare-t-il alors au sujet de la plainte. « Toutes les vérifications ont été favorables et positives. Le reste suit son cours. » François Bayrou explique aujourd’hui au Monde(Nouvelle fenêtre) que les journalistes ont « mal interprété » ses propos. 

Dans un article de "Sud Ouest" de mai 1996, François Bayrou réagit à la plainte pour mauvais traitements déposée contre un surveillant de l'établissement Notre-Dame-de-Bétharram. (SUD OUEST)
Dans un article de « Sud Ouest » de mai 1996, François Bayrou réagit à la plainte pour mauvais traitements déposée contre un surveillant de l’établissement Notre-Dame-de-Bétharram. (SUD OUEST)

Pourtant, les médias relaient largement cette affaire en 1996. « Si François Bayrou n’avait pas un fils ici, personne n’en aurait parlé », déclare un parent d’élève à Libération(Nouvelle fenêtre). « Le ministre de l’Education nationale (…) ne souhaite pas s’exprimer publiquement sur le sujet, tant que l’enquête est en cours », explique de son côté La République des Pyrénées. Le journal de 20 heures de France 2 termine pour sa part un reportage en assurant que « le ministre de l’Education pourrait aussi demander des comptes à cet établissement sous contrat ». Le surveillant mis en cause sera condamné la même année à une amende de 5 000 francs avec sursis. « Vous me l’apprenez », assure aujourd’hui François Bayrou dans Le Monde.

Plusieurs alertes dans les années 1990

En plus de cette première plainte, d’autres témoignages ont alerté sur le climat qui régnait au sein du collège. Françoise Gullung, professeure de mathématiques à Notre-Dame de Bétharram de 1994 à 1996, a porté plainte à l’époque pour y dénoncer un climat violent. « Je marchais dans un couloir et j’ai entendu dans une salle sur ma gauche un adulte qui hurlait et qui frappait un enfant. L’enfant lui criait d’arrêter, qu’il lui faisait mal », se souvient-elle auprès de France 3 Nouvelle-Aquitaine(Nouvelle fenêtre). L’enseignante affirme par ailleurs que l’épouse de François Bayrou a assisté à la scène. Françoise Gullung lui aurait demandé « que faire » pour mettre fin aux violences, elle aurait alors répondu : « Oh, ils [les élèves] sont insupportables, on ne peut rien en faire. » 

L'actuel collège Le Beau Rameau de Bétharram, anciennement Notre-Dame de Bétharram, le 30 avril 2024. (LILIAN CAZABET / AFP)
L’actuel collège Le Beau Rameau de Bétharram, anciennement Notre-Dame de Bétharram, le 30 avril 2024. (LILIAN CAZABET / AFP)

« J’en ai parlé de vive voix à François Bayrou pour lui dire qu’il fallait être vigilant parce qu’il se passait des choses anormales », poursuit la professeure de mathématiques, interrogée par l’AFP. « Il a minimisé en disant que j’exagérais sans doute un peu », expliquait-elle en juillet dans Le Point(Nouvelle fenêtre). Elle ajoute avoir également écrit à l’époque, avec l’infirmière du collège-lycée, au conseil général des Pyrénées-Atlantiques où siégeait l’actuel Premier ministre. « J’ai rapidement été convoquée par la direction diocésaine qui m’a expliqué que je me faisais des idées », raconte-t-elle à France 3. 

« Ils m’ont indiqué que si je continuais, il faudrait que je parte. »Françoise Gullung, professeure de mathématiques

à France 3 Nouvelle-Aquitaine

« Tout ce qu’on révèle aujourd’hui sur des châtiments corporels à Bétharram, c’était connu. C’était même, j’allais dire, la charte éducative de l’établissement », déclare Thierry Sagardoytho, avocat de l’une des victimes, sur franceinfo. « Tout le monde savait que les élèves incorrigibles allaient finir là-bas et subir l’épreuve du perron, c’est-à-dire en caleçon, sur le bord du Gave de nuit. Tout ça se savait. C’était relaté dans la presse. » De son côté, François Bayrou a utilisé l’argument de ses choix parentaux pour plaider sa bonne foi : « Est-ce que vous croyez que nous aurions scolarisé nos enfants dans des établissements dont il aurait été soupçonné ou affirmé qu’il se passe des choses de cet ordre ? » 

Une enquête pour viol en 1998

Si François Bayrou a reconnu avoir eu vent de « claques », il a en revanche toujours nié être au courant des cas d’agressions sexuelles et de viols à Notre-Dame de Bétharram dans les années 1970 à 1990. Plusieurs surveillants et membres de l’encadrement sont aujourd’hui mis en cause. Sur 112 personnes se déclarant victimes auprès de la justice, 72 ont formellement porté plainte(Nouvelle fenêtre). Mais l’ancien député, qui a quitté le ministère de l’Education nationale en juin 1997, scande son ignorance concernant ces affaires, y compris concernant la mise en examen pour viol, en 1998, de Pierre Silviet-Carricart, ancien directeur de l’institution, retrouvé mort dans le Tibre, à Rome, en 2000. « Je ne connaissais pas le père Carricart, si ce n’est peut-être de vue. Jamais je n’ai été au courant de cette histoire à ce moment-là », a-t-il expliqué au Monde(Nouvelle fenêtre). Pourtant, selon Alain Esquerre, plaignant à l’origine de la dénonciation collective des faits l’an dernier, ce religieux était en réalité « un ami de la famille Bayrou »« Sa femme était aux obsèques » du prêtre en 2000, ajoute une autre victime, Jean-Marie Delbos.

Le juge d’instruction Christian Mirande, qui a enquêté sur le viol en 1998, a par ailleurs raconté dans plusieurs médias que « François Bayrou a fait la démarche » de le rencontrer « lorsque le prêtre était en détention »« Il disait qu’il ne pouvait pas croire que le père Carricart avait fait ce qu’on lui reprochait », explique le magistrat à La République des Pyrénées« Il était inquiet sachant qu’il avait un de ses enfants dans l’institution. Il voulait savoir ce qu’il en était », explique-t-il aussi à France 3(Nouvelle fenêtre), mais François Bayrou « n’a jamais exercé de pression sur moi ou sur l’enquête ». Interrogé par Le Monde, François Bayrou réfute avoir eu ce type d’échange. Mais il reconnaît une rencontre auprès du Parisien(Nouvelle fenêtre) : « Jamais, bien entendu, je n’aurais eu l’idée d’interférer avec l’instruction. »

Pour Thierry Sagardoytho, l’avocat qui représentait la première victime de viol en 1998, François Bayrou n’avait en tout cas pas connaissance des détails de l’instruction. « S’il s’agit de dire qu’il avait connaissance du dossier judiciaire, je comprends qu’il n’en connaissait rien puisqu’il n’avait rien à en connaître. Sinon, on aurait évidemment dénoncé une pression du politique sur le judiciaire, estime-t-il. En 1998, François Bayrou n’est plus ministre de l’Education nationale, c’est Claude Allègre, c’est un socialiste. Alors, entendre aujourd’hui la gauche vitupérer sur le silence ou l’inaction du ministère de l’Education nationale, c’est franchement hypocrite. »

Un nouveau courrier en 2024 

De son côté, Jean-Marie Delbos ne décolère pas. Cette victime, qui a été élève à Notre-Dame-de-Bétharram dans les années 1950, explique avoir envoyé une lettre à François Bayrou en mars 2024 avec accusé de réception, où il décrivait les violences sexuelles qu’il avait subies. « Bien sûr qu’il savait ! Je lui ai écrit pour lui dire ce qu’il se passait. Il était au courant puisqu’il a signé l’accusé de réception. Et c’était il y a un an. Donc [François] Bayrou savait », explique-t-il à « ici Béarn »(Nouvelle fenêtre).

« C’est un menteur. Je lui ai écrit pour lui dire ce qu’il se passait. »Jean-Marie Delbos, victime

à « ici Béarn »

Le député insoumis Eric Coquerel relève d’ailleurs que François Bayrou « a évolué » dans sa défense. « Hier il disait qu’il n’avait jamais été informé et aujourd’hui, il dit qu’il n’a jamais été informé ‘à l’époque’, parce qu’il est obligé de reconnaître le courrier qu’il a reçu en 2024 », a-t-il déclaré sur franceinfo. Devant l’Assemblée nationale, le Premier ministre a effectivement fait mention de ce courrier pour rappeler qu’il datait de 2024, « alors que les faits en question sont du XXe siècle ».

Devant les députés, le chef du gouvernement a aussi exprimé sa « sympathie » pour « les personnes, les hommes ou les garçons, qui ont été en souffrance dans ces affaires-là ». Mais pour les plaignants, ces paroles arrivent un peu tard. Alain Esquerre, porte-parole des victimes de Notre-Dame de Bétharram, reproche à François Bayrou de « n’avoir pas eu un mot » pour les victimes avant d’y être acculé par les questions des députés. Il reproche aussi au maire de Pau de ne pas en avoir fait assez pour contrôler l’établissement. « Tout le monde a dysfonctionné en fait, confie-t-il au Monde. Et François Bayrou, là-dedans, n’a pas fait mieux que les autres. »

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