Alors que l’aile catholique américaine conservatrice mène une offensive qualifiée de « post-libérale » par les experts, le nouveau pape semble avoir été élu avec l’espoir qu’il y résiste.
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Un Américain a conquis la Curie romaine. Robert Francis Prevost, 69 ans, est devenu, jeudi 8 mai, le 267e successeur de Saint-Pierre, 17 jours après la mort du pape François. Le premier pape originaire des Etats-Unis de l’histoire a obtenu les deux tiers des suffrages nécessaires dès le quatrième tour au sein du conclave.
« Il y a une part de surprise », commente auprès de franceinfo Charles Mercier, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bordeaux et spécialiste de l’histoire du catholicisme. « Il était bien dans les ‘papabili’ (favoris) mais on pensait plutôt à pape européen ou du Sud global », analyse à chaud le chercheur. « Il y a d’abord, au-delà de sa nationalité, son parcours qui a joué dans cette élection », tente-t-il de décrypter. Créé cardinal en 2023 par François, il était avant son élection membre de sept dicastères (l’équivalent de ministères au Vatican). Robert Francis Prevost occupait notamment la tête du puissant dicastère des évêques, ce qui en faisait le conseiller du précédent pape sur les nominations des prélats.
« La question sociale » au cœur de cette nomination
Ce modéré est un « proche de l’héritage du pape François », selon Martin Dumont, historien du catholicisme à l’université de la Sorbonne, à Paris. Premier geste fort de son pontificat, l’Américain a choisi le nom de Léon XIV. « Quand j’ai entendu ça, je n’en croyais pas mes oreilles », souligne le chercheur, auteur d’une thèse sur Léon XIII et la France. Ce pape, auquel Robert Francis Prevost rend hommage en reprenant son nom, a œuvré durant un quart de siècle, de 1878 à 1903, l’un des plus longs pontificats de l’histoire moderne. Il a été celui qui a développé de très forts liens avec les Etats-Unis à une époque où l’Eglise américaine « n’était pas encore aussi développée ». Il était également « un grand pape de la question sociale, avec un engagement très fort pour les pauvres »,souligne Martin Dumont. Le 15 mai 1891, il traitait ainsi de la « doctrine sociale de l’Eglise » dans une lettre encyclique.
Ce choix de nom pourrait laisser présager d’un exercice du pouvoir centré autour de l’attention aux plus défavorisées, sujet cher à François. « J‘y vois une belle continuité d’un pape à l’autre et la poursuite d’un pontificat sur la question sociale », appuie l’historien.
Sa nationalité américaine pourrait par ailleurs peser dans les équilibres et l’organisation de l’Eglise pour ce souverain pontife né à Chicago. « La culture américaine est aux antipodes de l’italienne en matière d’organisation, de gestion, de gouvernance ! » souligne Charles Mercier. « L’Eglise américaine est très structurée et a une culture management professionnalisée, avec une rationalité entrepreneuriale, alors que le Vatican est plus archaïque, avec une culture de l’improvisation », poursuit-il. Une différence culturelle majeure qui pourrait contribuer à un mouvement de fond « de déstabilisation de la Curie romaine (gouvernement de l’Eglise catholique) », jusqu’à présent très tournée vers l’Italie, avec 214 papes italiens élus à travers les siècles.
Une offensive conservatrice américaine en cours
Si Donald Trump a rapidement félicité Léon XIV après son élection, en parlant d’un « grand honneur » pour les Etats-Unis, Charles Mercier prédit « des relations qui seront sans doute conflictuelles » entre les deux hommes. Le président américain, qui a nommé vice-président J.D. Vance, un catholique converti et conservateur, entretenait déjà des relations compliquées avec François. Une tension qui est à envisager à l’aune des dynamiques de pouvoirs qui traversent l’Eglise américaine. « Il existe une offensive de l’aile américaine conservatrice, portée par le vice-président, pour tenter de réorienter le catholicisme », insiste Charles Mercier. Une offensive « post-libérale, nationaliste, populiste » bien cernée par les cardinaux électeurs et à laquelle Léon XIV devrait être en mesure de « résister ».
« Cette élection papale est aussi une réponse à Donald Trump, mais une réponse non frontale contre lui. A partir d’aujourd’hui, ce ne seront plus Donald Trump ou J.D. Vance qui s’adresseront aux catholiques américains », explique sur X Massimo Faggioli, professeur de théologie à l’université de Villanova, à Philadelphie.
Un partisan de la décentralisation
L’Eglise risque de bouger sur d’autres lignes. Comme François, Léon XIV n’est pas partisan du pouvoir centralisateur de la curie romaine. Un évêque « ne doit pas être un petit prince assis en son royaume, il doit être proche du peuple qu’il sert et marcher avec lui, souffrir avec lui », déclarait-il en 2024 au site Vatican News. Il s’agit de l’une « ligne de clivage fondamentale entre les plus conservateurs, partisans d’une curie romaine qui représente le centre par rapport aux églises locales, et les progressistes », analyse pour franceinfo François Mabille, chercheur associé à l’Iris et directeur de l’Observatoire géopolitique du religieux.
Mais face à une Eglise fracturée par des divisions sous le pontificat de François, Léon XIV s’est montré avant tout rassembleur lors de ces premiers mots prononcés dans sa nouvelle fonction. « Je veux remercier tous mes frères cardinaux qui m’ont choisi pour être le successeur de Pierre et pour marcher avec vous en tant qu’Eglise unie, toujours à la recherche de la paix, de la justice »,a-t-il déclaré.
Le nouveau pape s’est par ailleurs montré ces dernières années « plus prudent, voir moins ouvert », sur les questions de société que son prédécesseur. Une position qui a pu rassurer les cardinaux électeurs les plus conservateurs lors du conclave. De quoi conduire Charles Mercier à l’affirmer : « Il n’y a pas d’évolution à attendre sur ces sujets lors de son pontificat. »