La chute du gouvernement Barnier a-t-elle vraiment coûté 12 milliards d'euros aux Français ?
La chute du gouvernement Barnier a-t-elle vraiment coûté 12 milliards d'euros aux Français ?

La chute du gouvernement Barnier a-t-elle vraiment coûté 12 milliards d’euros aux Français ?

05.02.2025
5 min de lecture

La ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, affirme notamment que le vote de la motion de censure a fait reculer les prévisions de croissance et que l’absence de budget a fait perdre plusieurs milliards à l’Etat. Mais ces effets sur l’économie peuvent aussi être imputée à la dissolution de l’Assemblée.

Après que la commission mixte paritaire a trouvé un compromis sur le budget de l’Etat, le Premier ministre François Bayrou a utilisé pour la première fois l’article 49.3 de la Constitution pour le faire adopter sans vote lundi 3 février. La France insoumise a déjà annoncé une motion de censure que les députés insoumis, communistes et écologistes devraient voter, mais pas ceux du Parti socialiste et du Rassemblement national. Ce qui devrait offrir un répit au gouvernement actuel.

Pour tenter de dissuader les parlementaires de voter la censure, plusieurs ministres tels que Eric Lombard (Economie et Finances), Catherine Vautrin (Travail et Santé) et Amélie de Montchalin (Comptes publics) affirment que la motion de censure votée le 4 décembre contre Michel Barnier a coûté cher aux Français. « Notre réveillon à tous nous a coûté six milliards au 1er janvier et depuis, c’est 100 millions par jour. Sur deux mois, c’est 12 milliards d’euros de gâchis », a ainsi assuré Amélie de Montchalin sur franceinfo le 24 janvier.

Un argument rejeté par l’opposition. D’après le député socialiste Philippe Brun, ce chiffre est largement « fantasmé »« Il ne faut quand même pas exagérer, tout cela n’est pas la faute de la censure. La vraie faute, c’est la dissolution décidée par le président. Quand vous regardez les taux d’intérêt, ils ont explosé après la dissolution », a-t-il répondu deux jours plus tard sur franceinfo(Nouvelle fenêtre). Alors, la censure du gouvernement Barnier a-t-elle réellement coûté 12 milliards d’euros ? 

Un calcul en deux temps

Pour répondre à cette question, il faut d’abord comprendre le calcul fait par le gouvernement actuel. Contacté par franceinfo, le cabinet de la ministre chargée des Comptes publics explique comment Amélie de Montchalin est parvenue à ce chiffrage. « L’impact de la censure a tout d’abord eu un impact négatif sur notre croissance », explique son entourage. Lors de son discours de politique générale, François Bayrou a annoncé que la prévision de croissance pour 2025 avait été revue à la baisse, passant de 1,1% à 0,9%. Ce 0,2 point de PIB en moins représente ainsi 6 milliards d’euros, selon le cabinet de la ministre. Pour l’entourage d’Amélie de Montchalin, cette révision à la baisse est due à une diminution de la confiance après la censure du gouvernement, ce qui aurait ralenti les investissements des entreprises et des ménages français.

Pour arriver à 12 milliards d’euros, la ministre ajoute à ces 6 milliards d’euros le coût des politiques publiques qui n’ont pas été mises en place au 1er janvier à cause de la censure. La taxe sur les billets d’avion devait par exemple rapporter 1 milliard d’euros et l’alignement sur le privé de la prise en charge des arrêts maladie de la fonction publique faire économiser 900 millions(Nouvelle fenêtre). Le gouvernement estime donc le total des recettes manquantes et les dépenses supplémentaires dues à l’absence de budget à 6 milliards d’euros supplémentaires en deux mois. « Deux mois », car selon le gouvernement, le pays devrait retrouver son fonctionnement normal à la mi-février, soit « deux mois après la censure ».

Une incertitude difficile à chiffrer

Pour les six premiers milliards d’euros, liés à la baisse de la prévision de croissance, le gouvernement se base sur plusieurs organismes de prédiction et considère que l’instabilité politique est due au vote de la motion de censure contre Michel Barnier. Mais une note de la Banque de France(Nouvelle fenêtre) précise bien que les projections ont été arrêtées avant la chute du gouvernement tandis qu’une étude de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE)(Nouvelle fenêtre) sur l’« effet de l’incertitude politique sur les perspectives de croissance » a été publiée elle à la veille de l’adoption de la motion.

« On ne sait pas comment a évolué l’incertitude depuis, elle a peut-être stagné, augmenté ou diminué », explique Xavier Timbeau, directeur de l’OFCE. « Le coût de l’incertitude pendant la censure, on ne pourra le dire que dans quelques semestres. » Il est donc difficile d’évaluer l’impact de la chute du gouvernement de Michel Barnier sur la croissance. Anne-Laure Delatte, économiste au CNRS, souligne par ailleurs que l’incertitude politique ne date pas du vote de la motion de censure. 

« Cette analyse est tronquée, le gros choc qui a eu lieu cette année, ce n’est pas la censure, c’est la dissolution. »Anne-Laure Delatte, économiste au CNRS

à franceinfo

Questionné à ce sujet, l’entourage de la ministre Amélie de Montchalin persiste et estime que l’incertitude est liée à l’absence de budget : « C’est à cause de la censure que nous n’en avons pas. » Toutefois, évaluer l’effet de l’incertitude politique sur l’économie reste complexe, même pour les experts. « Le mécanisme est une boîte noire. Nous n’avons pas un canal qui nous permet de dire que l’incertitude impacte directement l’investissement des entreprises et des ménages », avance le directeur de l’OFCE.

Un mélange des genres

Concernant la deuxième partie du chiffrage, la censure a effectivement empêché la promulgation de mesures qui auraient permis à l’Etat de faire des économies. « Le gouvernement comptait adopter un budget en 2025 avec des économies par rapport à 2024, il n’a pas été voté, donc les économies n’ont pas été mises en place », explique Clément Carbonnier, professeur d’économie à l’université Paris 8. La baisse de 5% du remboursement des médicaments et la diminution de 5% des remboursements de la Sécurité sociale sur les consultations n’ont par exemple pas été mises en place. Ces deux mesures devaient permettre 900 millions d’euros d’économies.

Faute de l’adoption de la loi de budget 2025, une loi spéciale a été promulguée par Emmanuel Macron le 20 décembre. Dans l’attente du vote d’un nouveau budget, c’est celui de 2024 qui a donc été reconduit pour cette année, sans certaines coupes budgétaires et sans recettes supplémentaires. Par exemple, « le fait d’avoir indexé les retraites sur l’inflation a augmenté les dépenses », précise l’entourage de la ministre Amélie de Montchalin. 

Pour les économistes interrogés par franceinfo, additionner le manque à gagner pour l’Etat dû au rejet du budget de Michel Barnier et la révision de la prévision de croissance n’a pas de sens. « Les premiers six milliards se rapportent plutôt à l’activité économique et les seconds au budget, c’est étrange de mélanger les deux », juge Xavier Timbeau. « Ils mélangent l’évolution du PIB et le budget de l’Etat », appuie Anne-Laure Delatte.

En cas d’adoption d’un budget pour 2025, une partie des 6 milliards « perdus » de la deuxième partie du calcul pourrait en outre être récupérée. « Cela va dépendre des dépenses. Certaines sont rétroactives au 1er janvier, d’autres non », avance Clément Carbonnier. « Aucun pays ne peut vivre sans budget et la France moins que tout autre », a déclaré François Bayrou à l’Assemblée nationale avant de déclencher l’article 49.3.

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