Son arrivée fait froncer quelques sourcils. Une ONG récemment créée sous le nom de « Fondation humanitaire de Gaza » (GHF) a annoncé, mercredi 14 mai, qu’elle comptait apporter, d’ici à la fin du mois de mai, une aide alimentaire à l’enclave palestinienne ravagée par un an et demi de guerre entre l’armée israélienne et le Hamas. Cette note d’intention étonne, alors qu’Israël bloque toutes les entrées de la bande de Gaza et interdit les livraisons de nourriture depuis le 2 mars dernier, aggravant la famine dans le territoire.
Pour atteindre ses objectifs, la GHF peut compter sur le soutien des Etats-Unis, principaux alliés militaires d’Israël dans ce conflit. Au risque de supplanter les autres ONG sur place, comme le craignent certains humanitaires ? Voici les principales questions qui se posent sur ce nouvel acteur controversé.
1 D’où vient cette organisation ?
Enregistrée en Suisse, comme nombre d’ONG internationales, la Fondation humanitaire de Gaza a une existence légale depuis le 12 février. Malgré son stade de développement peu avancé (sans ancrage local, site web officiel ou conseil au complet), l’organisation privée a reçu le soutien du gouvernement de Donald Trump ainsi que de l’ambassadeur américain en Israël, Mike Huckabee.
Le flou demeure sur les bailleurs qui financeront la GHF, et notamment sur l’éventuelle participation de Washington, qui a récemment supprimé plus de 80% des programmes de son agence pour le développement international. Selon le site suisse MoneyHouse, spécialisé dans les registres officiels, un banquier arménien basé à Londres, David Papazian, ainsi que l’homme d’affaires américain David Kohler ont participé à la création de cette fondation privée pour le moins opaque.
Dans un document envoyé à d’autres ONG actives au Proche-Orient, que franceinfo a pu consulter, la GHF présente toutefois les premiers noms de son équipe dirigeante, au casting 100% américain. On y retrouve l’ancien militaire et actuel entrepreneur Jake Wood, spécialisé dans le caritatif, au poste de PDG. La direction compte comme membre Nate Wood, ancien dirigeant de l’ONG World Central Kitchen, dont plusieurs employés ont été tués par l’armée israélienne dans la bande de Gaza en avril et octobre 2024, ainsi que Raisa Sheynberg, passée par les services américains de lutte contre le financement du terrorisme. Des vétérans de l’humanitaire et divers experts en sécurité complètent le conseil consultatif de la fondation.
2 Quelle mission s’est-elle fixée ?
Dans son document explicatif, la Fondation humanitaire de Gaza se présente comme une alternative aux « chaînes traditionnelles d’assistance » – comprendre les ONG internationales et l’ONU – qui se sont « effondrées » au fil du conflit, selon elle. Son activité porte essentiellement sur les repas, à travers « quatre sites de distribution sécurisés », conçus pour servir en continu « 300 000 personnes chacun », soit « 1,2 million de Gazaouis dans la phase initiale, avec une capacité d’expansion supérieure à 2 millions », précise le document. Durant cette « phase initiale » d’une durée fixée à 90 jours, l’organisation espère distribuer près de 300 millions de repas.
Pour mener à bien ses opérations, la GHF a réclamé dans une lettre aux autorités israéliennes des sites sécurisés, dont « un nombre suffisant d’emplacements dans le nord de la bande de Gaza », particulièrement dévasté par les bombardements et les combats. « La GHF insiste sur le fait qu’une réponse humanitaire efficace doit inclure l’ensemble de la population civile de Gaza », pose ce courrier. Selon le service d’enquête de la BBC, qui a épluché des images satellites de l’enclave, des aménagements (routes, dépôts) sont déjà en cours de réalisation, afin d’accueillir des sites de distribution.
3 Peut-elle relancer l’aide humanitaire dans l’enclave ?
En offrant un modèle taillé selon les exigences du gouvernement israélien, la Fondation humanitaire de Gaza pourrait faciliter le retour de l’aide extérieure dans la bande de Gaza. Actuellement, « plus de 3 000 camions » chargés de denrées alimentaires et d’équipements vitaux sont « coincés » aux abords de l’enclave palestinienne par le blocus israélien, a déploré l’ONU dans un communiqué. En bloquant ces points de passage, le gouvernement de Benyamin Nétanyahou entend faire pression sur le Hamas, dont il réclame le désarmement, et amener ses soutiens à libérer les derniers otages capturés le 7 octobre 2023.
Depuis le début du conflit, Israël accuse régulièrement le Hamas de détourner l’aide humanitaire acheminée par les différentes agences de l’ONU ou des ONG bien établies. Lorsque les camions avaient encore le droit de circuler, des manifestations de groupes d’extrême droite ont aussi eu lieu aux abords de la bande de Gaza pour empêcher les livraisons.
4 Pourquoi est-elle controversée ?
D’abord à cause de son « nouveau mode opératoire », très axé sur la sécurité et la surveillance. La fondation promet de n’utiliser que des colis « pré-emballés » en dehors de la bande de Gaza, afin d’éviter toute contrebande, le tout livré « à travers des corridors contrôlés de près, surveillés en temps réel ». En appliquant ces méthodes, la GHF se place dans la droite ligne du plan du gouvernement israélien de contrôle des circuits d’aide et de l’alimentation dans la bande de Gaza, un projet vertement critiqué par l’ONU. « Il est dangereux de demander aux civils de se rendre dans des zones militarisées pour récupérer des rations… L’aide humanitaire ne devrait jamais être utilisée comme monnaie d’échange », a notamment alerté James Elder, porte-parole du Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef).
« L’irruption de cette prétendue ONG n’est que la concrétisation du plan israélien de contrôle total de Gaza, avec l’aide peu discrète des Etats-Unis », juge auprès de franceinfo un responsable humanitaire actif dans la région, souhaitant conserver l’anonymat. « Après nous avoir critiqués, accusés de complicité avec le Hamas, blessés, voire tués pour certains de mes collègues, le gouvernement israélien pourrait réussir à nous remplacer et ainsi utiliser l’aide humanitaire comme un moyen de contrôle et de combat », poursuit-il.
Dans son descriptif, la Fondation humanitaire de Gaza assure que les soldats de l’armée israélienne « ne seront stationnés ni au sein, ni à proximité » de ses sites de distribution. La sécurité des lieux devrait être assurée « par des prestataires privés », a déclaré l’ambassadeur américain, Mike Huckabee. Reste que « pour aller récupérer leurs rations, les familles devront passer tout un tas de contrôles, de scanners biométriques et de reconnaissance faciale », s’inquiète une autre travailleuse humanitaire depuis la bande de Gaza. « Cela ne respecte en rien les principes de base de l’aide, dénonce-t-elle. On ne peut pas nourrir les gens et en même temps les surveiller, les contrôler, les déplacer dans un but militaire. »