Le quadruple champion olympique, Léon Marchand a mis sa carrière sur pause, ces derniers mois, déclinant même sa participation aux championnats du monde de Budapest.
Le quadruple champion olympique, Léon Marchand a mis sa carrière sur pause, ces derniers mois, déclinant même sa participation aux championnats du monde de Budapest.

GRAND ENTRETIEN. Léon Marchand a « hésité » à prendre une année sabbatique « mais la flamme est revenue très rapidement »

15.04.2025
11 min de lecture
Le nageur Léon Marchand, aux Jeux de Paris, le 30 juillet 2024 à Nanterre (Hauts-de-Seine). (FRANCOIS-XAVIER MARIT / AFP)
Le nageur Léon Marchand, aux Jeux de Paris, le 30 juillet 2024 à Nanterre (Hauts-de-Seine). (FRANCOIS-XAVIER MARIT / AFP)

Après avoir décroché ses quatre titres olympiques à Paris, l’été dernier, le nageur de 22 ans a pris ses distances avec les bassins pendant quelques mois, renonçant à sa participation aux Mondiaux en petit bassin, en décembre dernier, à Budapest. Il a pris la direction de l’Australie où le groupe de Dean Boxall l’a accueilli pour se remettre progressivement à la natation. Dans une interview accordée à franceinfo, il fait le point sur l’euphorie des Jeux, son « coup de mou »« la flamme de la natation » qui est revenue rapidement et son retour à Austin, au Texas, auprès de son entraîneur attitré, Bob Bowman.

Léon Marchand : Je suis bien mentalement, bien physiquement et j’ai commencé une belle année 2025. C’est la première fois que je partais en Australie. Je me suis bien remis en forme là-bas. L’objectif était d’être avec Dean Boxall et son groupe parce qu’il y a pas mal d’Australiens qui ont fait une vraie coupure après les Jeux olympiques, un peu comme moi. C’était le bon moment pour rejoindre ce groupe. On est partis sur un pied d’égalité, donc l’entraînement s’est très bien passé. Mais surtout, j’ai profité de l’Australie au maximum, découvert le pays, on a surfé un peu toutes les semaines, on a fait plein de choses vraiment sympas. L’entraînement n’était pas le but principal du voyage, mais au final, au bout de trois mois, je suis en forme physiquement donc c’est parfait. Là, ça fait trois semaines que je suis de retour à Austin (Texas), je suis en train de m’installer tranquillement et j’ai retrouvé Bob Bowman, tout va bien.

D’où venait votre envie de partir en Australie à ce moment-là ?

Je savais qu’un jour j’allais partir en Australie, parce que je peux faire mon sport là-bas dans des endroits hyper agréables, et il y a un coach légendaire, Dean Boxall. Donc j’ai toujours voulu partir mais je ne savais pas à quel moment. Les coupes du monde en Asie, c’était génial, c’était une expérience incroyable mais quand je suis rentré en France, j’ai ressenti un petit coup de mou au niveau énergie et au niveau mental. Je n’avais pas vraiment envie de me lever le matin pour aller à l’entraînement, j’étais un peu plus fatigué que la normale et j’avais du mal à récupérer de ce gros voyage, donc j’ai décidé de ne pas faire les championnats du monde. Après, je me suis un peu blessé, donc ce n’était pas la période la plus facile.

Pour préparer les Jeux olympiques de Los Angeles, j’ai quatre ans. C’est énorme, j’avais trois ans pour préparer Paris. Donc je me suis dit que c’était le bon moment pour voyager, etc. Sachant que Bob Bowman est mon entraîneur jusqu’à Los Angeles, je sais que je serai très souvent à Austin, je n’avais pas forcément envie de remettre le pied directement dedans en janvier 2025. Donc j’ai décidé de partir en Australie, de découvrir un autre pays, une autre culture, un autre entraînement. J’en ai parlé avec Bob Bowman, on a décidé ça ensemble. Ça me permettait de stimuler mon corps différemment et de reprendre du plaisir dans l’eau.

Vous êtes-vous posé la question de prendre carrément une année de césure et revenir en septembre prochain ?

J’ai hésité à faire ça, mais en fait, la flamme est revenue très rapidement. Je ne me suis pas vraiment mis d’objectif pour cette année mais au final, au bout d’un mois et demi en Australie, je commençais à vraiment me prêter au jeu de l’entraînement, revenir à mon niveau, refaire des temps dans les séries, faire la compétition, remettre la combi, faire des relais avec les autres nageurs du groupe, améliorer mon crawl, etc. Donc je pense que j’ai pris assez de temps de repos. J’ai quand même pris six semaines après les Jeux olympiques ! Après la Coupe du monde, je ne me suis pas vraiment arrêté, mais c’était un peu en demi-teinte : je nageais tous les jours, mais pas forcément pour préparer les Mondiaux, par exemple.

Après, j’avance au jour le jour, je verrai bien quel est mon état de forme, etc. Mais j’ai envie de nager, tout simplement. J’avais envie de remettre une priorité sur ce que j’aime vraiment, c’est-à-dire l’entraînement et le voyage, la découverte de nouveaux endroits, etc.

Cette fatigue que vous avez décrite après les étapes de coupe du monde en Asie, l’avez-vous ressentie après les JO ou étiez-vous alors porté par cette euphorie ?

La première semaine, j’étais dans la compétition. Le premier jour de la deuxième semaine, on était à la fanzone avec plusieurs nageurs et c’est là que j’ai compris que ça allait changer dans ma vie de tous les jours, en tout cas en France. Tous les jours, il fallait que je m’adapte à des polémiques, par exemple, des trucs sur les réseaux sociaux, des gens qui m’arrêtent dans la rue… Ça, c’était tout nouveau, c’est arrivé d’un coup. C’est pour ça que je dis que j’ai pris la tempête, même si c’était une tempête positive, ça reste une tempête. Il y avait énormément de choses à gérer et ce n’est pas ma zone de confort. Donc j’étais hyper content de le faire parce que c’était nouveau et que j’apprenais plein de choses. Quand je suis rentré à Toulouse, pour aller d’un point A à un point B dans la rue, c’était plus un peu plus long, mais je me suis bien adapté et surtout, c’était une belle période, j’ai plein de souvenirs de tout ça. Je savais que ça allait être temporaire et qu’à un moment, il faudrait que je revienne sur mes priorités. Au bout de deux ou trois mois, ça a commencé à me fatiguer.

Pensiez-vous que cette « hype » allait retomber plus vite ?

J’aurais dû savoir, quatre médailles d’or aux Jeux… Mais en tant que nageur, on n’a pas l’habitude. Les gens ne connaissent pas la natation. Les gens regardent les Jeux olympiques et ils voient qu’il y a de la natation à la télé. Mais ils ne regardent pas la natation tous les ans, les championnats du monde, le championnat de France, etc. Disons que j’étais préparé à une popularité qui pouvait être temporaire. Mais les Jeux Olympiques ont été un succès. Du coup, je pense que la France a été marquée par cet événement et effectivement, je me suis rendu compte au bout de trois mois que tout le monde me reconnaissait encore.

Aujourd’hui, avez-vous envie de vous nourrir de toute cette énergie qui galvanise certains athlètes ou de rester, comme vous étiez jusqu’à présent, dans votre bulle ? 

Là, moi je n’ai plus le choix. Si je ne me sers pas de cette énergie, je vais la subir continuellement. Et je suis capable de m’en servir. Quand je parle de l’énergie que je perds, c’est quand je dois dire merci à beaucoup de personnes dans la rue, quand je dis merci pour tout ce que les gens me disent, quand je dois serrer beaucoup de mains, quand je dois prendre beaucoup de photos. Tout ça, ce n’est pas grand-chose, mais quand tu le répètes tous les jours… Je ne suis pas fait pour ça et ce n’est pas quelque chose qui me galvanise, c’est plus quelque chose que je dois faire en plus, c’est un job à part entière.

Ça devrait durer encore pas mal de temps. Pensez-vous pouvoir vous habituer au fait d’être devenu une célébrité ?

C’est même un peu triste parce qu’on s’habitue vachement vite à ce que les gens disent : « Merci pour cet été ». On me l’a dit tellement de fois que ça ne me rend pas aussi heureux que la première fois. Je préférerais que ce soit nouveau à chaque fois et me dire : « Ah merci, C’est incroyable d’entendre ça ». Depuis janvier, je n’ai pas pris beaucoup de photos parce que je n’étais pas en France. Je pense que quand je vais revenir en France, il y aura toujours un petit moment d’adaptation. Mais je pense qu’on s’habitue vite à ce genre de choses. C’est un problème parce que c’est incroyable que les gens puissent réagir comme ça… Et puis les gens sont respectueux et il n’y a aucune attente. C’est juste : « Merci de m’avoir fait passer ces moments-là en août. Je n’ai jamais regardé les sports comme à ce moment-là ». Donc voilà, c’est hyper positif, mais il ne faudrait pas trop s’habituer à tout ça.

Appréhendez-vous de revenir en France pour les championnats, par exemple ? Avez-vous besoin de vous préparer pour ça ?

Je n’ai pas besoin de me préparer pour ça, je sais comment gérer. Je pense avoir fait le plus dur. Après, bien sûr qu’il y aura encore d’autres challenges. Mais non, je n’ai pas du tout peur de rentrer en France, c’est plutôt que j’ai envie d’avoir ma routine. Là, ça fait un an que je n’ai fait que voyager, je n’ai pas eu un seul moment où je rentrais chez moi. Ça fait un an que j’ai mes deux valises et que je vadrouille un peu partout depuis que Bob Bowman est parti à Austin.

C’est pour ça que j’ai envie d’être plus aux Etats-Unis qu’en France en ce moment, mais je n’ai pas du tout peur de la popularité que j’ai en France. Ce qu’il faut préparer, c’est plutôt l’environnement. Aux championnats de France, il y a énormément de nageurs. Il faudrait que ce soit bien encadré, qu’il y ait de la sécurité et que tout le monde n’ait pas accès à moi pendant la semaine. Donc c’est sûr qu’il y a un peu plus de préparation qu’avant en termes de logistique. Mais je suis prêt à rentrer, pas de souci.

Avez-vous eu peur de prendre la grosse tête ?

Oui grave (rires) ! J’ai peur et en même temps, je sais que les personnes qui sont les plus proches de moi me le diront, me le feront comprendre. J’ai confiance en eux, donc ça va. Ce qui est bizarre, c’est que moi, je n’ai pas l’impression d’avoir changé, mais j’ai l’impression que tout le monde me voit différemment donc je ne sais pas trop comment gérer tout ça.

Même parmi les gens que je connaissais avant, certains me traitent différemment. Il y a très peu de personnes qui me disent non. Toutes les relations sont différentes, à part avec mes proches, c’est pour ça que j’ai essayé de prioriser, quand j’étais en France, les relations avec les gens que je connaissais d’avant, en qui j’ai confiance, plutôt que d’avoir de nouvelles personnes qui viennent tous les jours.

Ce n’est pas que ça me fait peur mais ce sera plus difficile d’avoir confiance. On verra, je vais m’adapter. Au final, je ne peux pas me plaindre de tout ça parce que je l’ai cherché. Ça fait partie du job. C’est juste de nouveaux challenges pour moi.

Qu’avez-vous le plus appris sur vous ces derniers mois ?

Je suis hyper attentif à mon corps et à mon mental et je pense que ces derniers mois, je l’ai plus affirmé qu’avant. Il n’y a que moi qui vis ça en ce moment et même si je reçois des conseils de beaucoup de personnes, j’ai besoin de faire mes propres choix et de savoir ce qui est bon pour moi, mon corps et mon esprit.

Mentalement, j’étais fatigué. Physiquement, j’étais fatigué. Et si j’étais le Léon d’il y a cinq ou six ans, j’aurais quand même fait les championnats du monde. J’aurais peut-être fait des belles courses mais je n’en serai pas là où j’en suis en avril. J’aurais été beaucoup plus fatigué, ça aurait été compliqué de faire une saison 2025. Donc je suis assez fier d’avoir fait ces choix-là, de m’écouter de plus en plus et de l’affirmer. J’ai mis ma vie au premier plan et ça m’a fait du bien.

Pouvez-vous nous parler un peu de la reprise de contact avec Bob Bowman ? Vous avez fait un bout de chemin séparé depuis les JO, donc comment cela se passe-t-il ?

Disons que j’ai envie de faire l’aventure avec Bob Bowman, j’ai confiance en lui et on a déjà travaillé ensemble. Ce n’est pas comme si c’était un nouveau coach pour moi. La dernière fois que je l’ai vu, c’était à la piscine des Jeux, le dernier soir. Après, on est restés en contact tout au long de notre pause. Lui, il a repris le 15 août je crois, donc il a eu une semaine de pause. Moi j’ai eu six mois donc c’est un peu différent. Et surtout, il a eu un job à part entière, c’est-à-dire mener son équipe universitaire au titre. Donc on est partis sur deux trucs un peu différents. Moi, c’était la récup. Lui, c’était encore un nouveau challenge. Et là, il vient de rentrer à l’entraînement depuis trois jours. On n’a pas encore fait de réunion, on n’a pas vraiment encore fait le grand retour donc ça va se faire dans la semaine. Mais je suis hyper content de le retrouver et lui aussi, on est contents d’être là.

Comment voyez-vous les semaines à venir ? Serez-vous aux championnats de France ou y aura-t-il aura un laissez-passer pour vous ? Les Mondiaux restent-ils quand même un objectif ?

Je n’en ai aucune idée. Ma réunion pour le plan de la saison, ce sera sûrement à la fin de semaine ou la semaine prochaine. C’est pour ça que je dis que j’avance un peu au jour le jour. Moi, j’ai envie de faire les championnats du monde à Singapour. Après je ne sais pas encore quelles seront les modalités, etc. Je vais voir Bob Bowman et j’en saurai plus. Le planning n’est pas du tout encore défini. Ce n’est pas grave, 2025 c’est un peu une année de transition.

J’ai une compétition le 1er mai en Floride. J’aimerais bien être en forme pour pouvoir faire des bons temps et savoir où j’en suis, parce que je n’ai aucune idée d’où j’en suis. Ça fait longtemps que je n’ai pas fait de compétition.

Est-ce important d’avoir de nouveaux challenges après les Jeux, de se fixer un nouvel objectif pour repartir dans un nouveau cycle ?

Chaque année, je change plein de choses. Si je refais la même chose, à l’entraînement ou tous les jours, j’ai l’impression que je vais m’ennuyer et que je ne vais pas nager plus vite. Si j’ai envie d’aller au plus vite, j’ai besoin de changer ma stratégie. J’ai besoin de partir sur des nouvelles courses où je n’ai aucun repère. Le 400m crawl par exemple, je n’ai aucun repère, je ne sais pas du tout comment on nage un 400m crawl. J’ai besoin de ça pour progresser, de sortir de ma zone de confort et de faire des choses que je n’ai jamais faites auparavant.

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