L’ONG publie jeudi un état des lieux des droits humains dans le monde, saluant au passage la « résilience démocratique » de la société civile dans plusieurs pays.
Une « année de reculs des droits et de résistances ». L’organisation Human Rights Watch (HWR) dresse, jeudi 16 janvier, l’état des lieux des droits humains dans une centaine de pays en 2024(Nouvelle fenêtre). En introduction du document, la directrice exécutive de l’ONG dénonce de multiples atteintes à la démocratie, aux droits humains et au droit humanitaire : « Ces crises appellent une réponse des gouvernements à travers le monde. Mais beaucoup ont failli à cette tâche. » Franceinfo résume les principaux enseignements de ce rapport.
Conflits armés, crises humanitaires et « effritement des protections des civils »
L’année 2024 « a été marquée par des conflits armés et des crises humanitaires qui ont mis en évidence l’effritement des protections internationales prévues pour les civils et le coût humain dévastateur lorsque ces protections sont bafouées », constate HRW dans un communiqué accompagnant la publication du rapport. L’ONG cite notamment « la violence en Haïti », où des gangs armés ont mené des « attaques coordonnées à grande échelle, tuant des milliers de personnes, enrôlant de force des enfants et violant des femmes et des filles ».
A Gaza, Israël a poursuivi son offensive lancée en 2023, en « se rendant responsable de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité », accuse HRW. Outre le blocus imposé à l’enclave palestinienne et les attaques ayant fait plus de 46 000 morts et quelque deux millions de déplacés, les autorités israéliennes ont « délibérément privé les Palestiniens de l’accès à l’eau nécessaire à leur survie, ce qui constitue un crime contre l’humanité et pourrait constituer le crime de génocide », insiste l’ONG.
En Ukraine, « la guerre menée par la Russie a continué de causer des souffrances immenses aux civils« , pointe encore Human Rights Watch. L’organisation dénonce notamment les attaques de Moscou « contre le réseau énergétique, les hôpitaux et d’autres infrastructures civiles », faisant de nombreux morts et blessés, mais aussi la volonté des autorités russes « d’effacer l’identité ukrainienne » dans les zones occupées.
Le conflit au Soudan a « donné lieu à des atrocités généralisées contre les civils, notamment des massacres, des violences sexuelles et des déplacements forcés », poursuit HRW. Au Darfour, dans l’ouest du pays, la milice des Forces de soutien rapide (RSF) a mené une « campagne de nettoyage ethnique », alors que les Forces armées soudanaises ont délibérément bombardé des infrastructures civiles. La guerre a « provoqué l’une des plus grandes catastrophes humanitaires au monde », avec près de 11 millions de déplacés internes et 25 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë.
Dans son rapport, HRW souligne aussi le « double standard » de démocraties occidentales qui condamnent les atteintes aux droits humains dans certains pays, mais échouent à le faire lorsqu’il s’agit de leurs alliés ou partenaires commerciaux. Les Etats-Unis ont par exemple « fourni des armes à Israël sans restriction, malgré les nombreuses atrocités commises [par l’Etat hébreu] à Gaza, tout en condamnant la Russie pour des violations similaires en Ukraine ». Même constat pour l’Allemagne.
Des régimes autoritaires et des élections influencées par « le racisme et la haine »
Si elle se félicite, avec prudence, de la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie, où les nouvelles autorités doivent encore prouver leur volonté de gouverner démocratiquement, la directrice exécutive de HRW, Tirana Hassan, affirme que, dans plusieurs pays, « les dirigeants autoritaires ont resserré leur emprise sur le pouvoir » en 2024. En Russie, au Salvador, au Mali ou au Niger, les autorités se sont servi « de la peur et de la désinformation pour étouffer toute dissidence », note-t-elle.
HRW cite également la situation en Afghanistan, où « les talibans ont intensifié leur répression contre les femmes, les filles et les minorités ». En 2024, les autorités ont imposé aux femmes d’être accompagnées d’un homme pour prendre les transports en commun, leur ont interdit de chanter en public ou d’étudier la médecine, liste l’ONG. Elles ont aussi interdit au rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits humains en Afghanistan de se rendre dans le pays.
Autre Etat où la répression s’est accrue en 2024 : la Chine. Sous le régime du président Xi Jinping, « il n’y a aucune société civile indépendante, pas de liberté d’expression, d’association, de réunion ou de religion, et les défenseurs des droits humains et ceux qui sont perçus comme critiques du gouvernement sont persécutés », rappelle HRW. L’ONG rappelle que l’enfermement forcé des Ouïghours s’est poursuivi et que de nouvelles mesures ont été imposées à Hong Kong pour limiter les libertés fondamentales et bâillonner l’opposition.
Alors que la moitié de la planète s’est rendue aux urnes en 2024, « le racisme, la haine et la discrimination ont été les moteurs de nombreuses élections », s’inquiète Human Rights Watch. Selon Tirana Hassan, la réélection de Donald Trump fait craindre que « sa nouvelle administration répète et même amplifie les graves violations des droits commises lors de son premier mandat », notamment envers les migrants et les personnes trans.
La directrice de l’ONG évoque également les élections européennes, durant lesquelles « les partis d’extrême droite ont progressé de manière significative, en exploitant un sentiment anti-immigration et en usant d’une rhétorique nationaliste ». « En Europe, la stagnation économique et l’insécurité ont servi de prétextes à un nombre croissant de gouvernements pour justifier leur abandon sélectif des droits, en particulier pour les groupes marginalisés et les personnes migrantes, les demandeurs d’asile et les réfugiés », alerte aussi HRW.
Une résistance « souvent impulsée par des personnes ordinaires »
Si HRW s’inquiète des dérives autoritaires dans certains pays, l’ONG salue aussi la « mobilisation des sociétés » pour défendre les droits humains et l’Etat de droit. L’organisation cite notamment le mouvement de contestation au Bangladesh, qui a poussé la Première ministre à abandonner le pouvoir en août. « Malgré une répression violente, les manifestants ont persévéré, forçant la formation d’un gouvernement intérimaire qui a promis des réformes en matière de droits humains », se félicite Tirana Hassan.
D’importantes manifestations ont aussi eu lieu en Géorgie, pour protester contre l’abandon du processus d’entrée dans l’UE, ou encore en Corée du Sud, pour dénoncer la brève instauration de la loi martiale par le président Yoon Suk-yeol. Pour Tirana Hassan, ces mouvements montrent que « le combat pour les droits est souvent impulsé par des personnes ordinaires, lassées des injustices et de la corruption ». Mais la mobilisation des sociétés civiles ne suffit pas à garantir les droits humains, rappelle-t-elle.
La directrice de l’ONG relève néanmoins les actions de plusieurs Etats en faveur des droits humains, comme la saisine de la Cour internationale de justice (CIJ) par l’Afrique du Sud, qui a accusé Israël de mener un génocide dans la bande de Gaza. « La série de mesures conservatoires de la CIJ (…) a certes eu jusqu’à présent un effet limité sur les abus israéliens, mais elle a contribué à une plus grande vigilance de la part des gouvernements fournissant des armes à Israël », assure Tirana Hassan.
« Les gouvernements ont la responsabilité de s’opposer aux remises en question du droit et des normes internationales en matière de droits humains », insiste la directrice de HRW, dénonçant « la lâcheté » de certains Etats qui « renoncent à s’opposer aux souffrances et aux abus ». « Lorsque les droits sont protégés, l’humanité prospère, conclut Tirana Hassan. Lorsqu’ils sont bafoués, le prix à payer ne se mesure pas en principes abstraits, mais en vies humaines. »