Le 3 novembre 2025, lors du salon international de l’énergie ADIPEC à Abou Dhabi, des dirigeants de QatarEnergy et ExxonMobil ont partagé leurs préoccupations concernant la directive européenne sur la diligence raisonnable en matière de durabilité (CSDDD). Cette réglementation, constituant un élément clé de la stratégie de l’Europe en matière de développement durable, vise à obliger les entreprises à déployer un devoir de vigilance tant sur le plan environnemental que social tout au long de leur chaîne d’approvisionnement. Les représentants du secteur craignent que la portée extraterritoriale de cette législation et la rigueur de ses sanctions ne viennent entraver la compétitivité du marché énergétique en Europe, rapporte TopTribune.
Les enjeux de durabilité et de responsabilité pour les entreprises
La directive sur le développement durable, adoptée en 2024 par l’Union européenne, impose un cadre de conformité rigoureux aux grandes sociétés. Chaque entreprise est désormais contrainte d’identifier, de prévenir et de réduire les violations aux droits de l’homme et à l’environnement, tant dans ses activités que dans l’ensemble de ses chaînes d’approvisionnement à l’échelle mondiale. En outre, un impératif de mise en place d’un plan de transition climatique aligné sur la neutralité carbone d’ici 2050 a été énoncé par la Commission européenne.
Le dispositif prévoit que les États membres imposent des amendes pouvant atteindre 5 % du chiffre d’affaires mondial en cas de manquement aux obligations de diligence et de transparence. Cette mesure suscite de vives inquiétudes dans le secteur de l’énergie, où les complexités inhérentes aux chaînes de valeur et la diversité des acteurs impliqués rendent la conformité particulièrement difficile. Les entreprises pétrolières et gazières s’inquiètent des répercussions de la loi sur leurs opérations dans des pays tiers et des potentielles charges réglementaires disproportionnées.
Le Qatar et l’enjeu de l’approvisionnement en gaz
Le Qatar, leader mondial dans l’exportation de gaz naturel liquéfié (GNL), a envoyé un signal clair à Bruxelles. Saad Sherida Al-Kaabi, ministre qatari de l’Énergie et PDG de QatarEnergy, a déclaré que si l’Union européenne maintenait la directive CSDDD sans ajustement, son pays « pourrait suspendre » ses livraisons de GNL vers le continent. Comme rapporté par l’agence AFP, relayée par Ici Beyrouth, il a indiqué que l’imposition d’une amende équivalente à 5 % du chiffre d’affaires mondial rendrait les exportations « non viables ».
Actuellement, le Qatar représente entre 12 % et 14 % des importations de GNL de l’Union européenne, un pourcentage qui a pris une importance significative depuis la réduction des livraisons russes en 2022. Un arrêt partiel ou total des approvisionnements en provenance du Qatar pourrait provoquer un déséquilibre immédiat sur les marchés gaziers européens, entraînant une exacerbation de la volatilité des prix et une plus grande dépendance à des sources alternatives coûteuses. Lors d’une interview avec Reuters, le PDG du groupe autrichien OMV, Alfred Stern, a souligné que « si les tankers du Qatar ne font plus escale en Europe, nous nous retrouverons dans une situation très difficile ». Les impacts d’un éventuel retrait qatari pourraient être ressentis dès 2027, date prévue d’application complète de la directive.
ExxonMobil et les défis de la compétitivité industrielle
De l’autre côté de l’Atlantique, ExxonMobil a également fait entendre sa voix avec force. Son PDG, Darren Woods, a déclaré à Reuters : « Si nous ne pouvons pas opérer comme une entreprise performante en Europe, et encore pire si cette législation nuisible s’impose ailleurs, il devient impossible de rester sur ce marché. » L’entreprise estime que la portée mondiale de la directive européenne pourrait établir un précédent réglementaire contraignant pour ses filiales et partenaires ailleurs dans le monde.
ExxonMobil rappelle que ses investissements cumulés en Europe ont atteint environ 20 milliards d’euros au cours de la dernière décennie. Le groupe craint qu’un environnement juridique instable et une réglementation considérée comme punitive ne compromettent de futurs projets énergétiques, en particulier dans les domaines de la capture du carbone, des biocarburants et de l’hydrogène.