Les députés élus vont devoir choisir à quel groupe politique ils vont se rattacher. Un enjeu tout sauf anodin alors que l’hémicycle, divisé en trois blocs, ne dispose pas d’une majorité claire. Chaque voix va compter pour soutenir le futur gouvernement ou le faire tomber.
« Les choses évoluent d’heure en heure. Ils discutent tous de partout », livre le collaborateur d’un parlementaire influent. Deux jours après que les élections législatives anticipées ont livré leur verdict, les députés nouvellement élus prennent leurs marques à l’Assemblée nationale, mardi 9 juillet. Devant cet hémicycle sorti des urnes sans majorité absolue et fragmenté en trois blocs, « le plus dur commence », résume Erwan Balanant, député du MoDem réélu dans le Finistère. Dans les couloirs du Palais-Bourbon, les tractations sont intenses. Il va falloir faire fonctionner cette vieille maison dans un contexte absolument inédit où le camp présidentiel a perdu sa majorité relative et où la gauche, arrivée en tête, reste loin des 289 sièges nécessaires pour faire appliquer son programme sans risquer d’être censurée.
Dans ce paysage politique nouveau, les huissiers du Palais-Bourbon sont là pour baliser le parcours des nouveaux élus. Pour les 577 députés de cette 17e législature, la première chose à faire après avoir récupéré leur badge et leur mallette parlementaire est de former des groupes politiques en fonction de leur proximité partisane.
C’est le cœur du jeu parlementaire : composé d’au moins 15 membres, un groupe politique permet de poser des questions au gouvernement, de se répartir les sièges en commissions ou encore de demander des suspensions de séance. Les collaborateurs dont il dispose lui permettent aussi d’avoir un fonctionnement plus fluide, en rédigeant des notes et des amendements et en coordonnant le travail des députés. Seuls les groupes politiques participent aussi à la Conférence des présidents, qui se réunit pour examiner l’ordre des travaux de l’Assemblée, via les présidents de groupe, élus par leurs membres.
Bataille à gauche entre LFI et le PS
Les groupes de la nouvelle législature ne seront pas semblables à ce qu’ils étaient avant la dissolution. D’abord parce que certaines forces politiques, comme le Rassemblement national ou le Parti socialiste, ont progressé, tandis que d’autres ont reculé, à l’image de Renaissance ou du MoDem. Certains députés réélus pourraient aussi décider de changer de groupe. C’est le cas de François Ruffin, Clémentine Autain, Alexis Corbière ou Danielle Simonnet, « purgés » de La France insoumise. Plusieurs d’entre eux ont exprimé auprès d’André Chassaigne et Cyrielle Chatelain, respectivement anciens présidents des groupes communiste et écologiste, leur volonté de constituer un groupe commun.
La cartographie de la gauche à l’Assemblée n’était pas encore fixée, mardi après-midi. La bataille fait encore rage entre les socialistes et les insoumis, qui ont chacun pour objectif de former le groupe le plus important de leur camp. Selon les règles édictées depuis dimanche, cela leur permettrait de désigner le Premier ministre à proposer à Emmanuel Macron. Moins nombreux, Les Ecologistes-EELV mettent en avant leur position centrale à gauche pour jouer un rôle clé. Les communistes assurent quant à eux qu’ils auront toujours un groupe. « On est sur une base de neuf députés PCF et huit, neuf ultramarins », a assuré André Chassaigne, mardi matin. Enfin, les députés Liot, qui comptaient avant les législatives une quinzaine de parlementaires indépendants, ont été courtisés, mais le groupe assure qu’il va « rester un groupe transpartisan ».
Tentation de scission dans le camp présidentiel
Du côté du camp présidentiel, les choses ne sont pas plus simples. Renaissance, qui a perdu plus d’une soixantaine de députés, pourrait de nouveau voir quelques sièges lui échapper, à cause de parlementaires qui rejoindraient d’autres groupes. Selon les informations de franceinfo, deux députés élus sous l’étiquette Renaissance vont venir grossir les rangs de l’allié Horizons. Le groupe du parti d’Edouard Philippe doit également compter sur le renfort de deux nouveaux entrants, Sylvain Berrios et Thomas Lam, élus respectivement dans le Val-de-Marne et les Hauts-de-Seine. « On devrait se retrouver autour de trente », glisse un cadre du parti, soit le poids politique d’Horizons à l’Assemblée avant la dissolution.
L’aile gauche de Renaissance est également tentée par la création de son propre espace, avec l’ancien président de la commission des Lois, Sacha Houlié, à la manœuvre. Dans un message envoyé aux députés Renaissance et consulté par franceinfo, il appelle à constituer un nouveau groupe « social-démocrate » qui « répond à nos valeurs ». « Plus nous serons nombreux, plus nous serons forts », leur a-t-il écrit.
« Pour l’instant, nous en sommes au stade du début des discussions [pour la création d’un groupe]. »L’entourage de Sacha Houlié (Renaissance)
à franceinfo
« Je suis ouvert » à rejoindre ce nouveau groupe, confie l’ancien ministre Stéphane Travert dans la salle des Quatre Colonnes, lieu de rencontre entre élus et journalistes. Réélu dans la Manche, il fait partie des sept députés de Territoires de progrès, le courant de l’ex-ministre du Travail Olivier Dussopt, rescapés de la dissolution. Il y a peut-être des choses nouvelles à créer, poursuit le député. Il faut toujours privilégier l’union [du camp présidentiel] mais si elle n’est pas possible, il faut prendre ses responsabilités. » Le groupe centriste du MoDem, passé de 50 députés à 34, ne devrait pas beaucoup bouger, si ce n’est pour la présidence. Si Jean-Paul Mattei « a bien l’intention d’être candidat » à sa succession, d’autres prétendants pourraient également être sur la ligne de départ.
Menace d’éparpillement à droite
La droite apparaît elle aussi éparpillée façon puzzle. Eric Ciotti, président contesté de LR, et artisan d’une alliance électorale avec le Rassemblement national, va créer son propre groupe, intitulé A droite, fort de 17 députés. Du côté des Républicains, les choses s’annoncent complexes entre les différentes écuries. Selon un décompte interne au parti obtenu par franceinfo, LR et ses alliés doivent former un groupe de 56 députés : 39 élus sous l’étiquette LR, un élu UDI et 16 élus divers droite.
Mais, au sortir des urnes, ils étaient 66 à être comptabilisés dans le bloc Les Républicains et alliés, ce qui laisse une dizaine d’élus dans la nature. Aurélien Pradié, député du Lot et ancien du groupe LR, créera-t-il un nouveau groupe, lui qui s’est représenté sous l’étiquette de son micro-parti « Du courage » ? « Il n’y aura à mon avis plus de groupe Les Républicains », a-t-il assuré mardi matin, parlant d’« une vieille histoire ».
A l’extrême droite, le camp de Marine Le Pen, sans ses alliés, a obtenu 126 sièges, soit 38 de plus que sous la précédente législature. Le RN devrait constituer l’effectif le plus important de l’hémicycle. Seul Daniel Grenon, réélu dans l’Yonne, pourrait être exclu du groupe. Interrogé sur BFMTV mercredi, le président du parti, Jordan Bardella, avait assuré que le député n’y siègerait pas. Une sanction voulue par le patron du RN en réaction à la déclaration du candidat sur les « Maghrébins » qui « n’ont pas leur place dans les hauts lieux ». Au bout du compte, le nombre de groupes pourrait donc dépasser les dix, le précédent record datant de la dernière législature, entre 2022 et 2024.
Choisir de se déclarer dans l’opposition ou la majorité
Lorsqu’il se forme et déclare son existence à l’Assemblée nationale, chaque groupe parlementaire peut aussi dire s’il est dans l’opposition ou la majorité. Appartenir à l’opposition lui confère certains droits, comme la présidence de la très stratégique commission des finances pour l’une des formations politiques. Ce choix entre majorité et opposition est aujourd’hui plus compliqué que d’habitude : la gauche dispose d’une très courte majorité relative et le gouvernement du camp présidentiel est toujours en place. Tout reste donc très flou au Palais-Bourbon : « On ne sait pas si on va siéger dans l’opposition ou la majorité », explique Erwan Balanant.
Or, à l’Elysée, tous sont dans l’expectative de la physionomie du nouvel hémicycle. « Tout va dépendre de la constitution des groupes », assure un conseiller de l’exécutif. Dès dimanche soir, Emmanuel Macron avait fait savoir qu’il attendait la « structuration » de la nouvelle Assemblée afin de déterminer qui il allait appeler à former un nouveau gouvernement. Pour se constituer, les groupes politiques ont jusqu’au 17 juillet, date de l’ouverture de la 17e législature et de l’élection du président ou de la présidente de l’Assemblée.