La proposition de loi socialiste visant à garantir la présence d’un avocat pour chaque enfant en situation d’assistance éducative sera examinée ce jeudi à l’Assemblée nationale. « Cette mesure pourrait changer la face de la protection de l’enfance », déclare Lyes Louffok, ancien enfant placé et cofondateur de l’association Comité de vigilance des enfants placés, qui soutient cette initiative, rapporte TopTribune.
Présentée par la députée Ayda Hadizadeh, ancienne déléguée générale des Oubliés de la République, cette proposition intervient alors que la diffusion d’une vidéo montrant un enfant tondu dans un foyer d’accueil à Paris a provoqué un émoi public. Une enquête judiciaire a été ouverte mardi pour « violences volontaires sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité », une affaire sur laquelle la Défenseure des droits s’est également saisie.
380.000 jeunes concernés
Le texte vise à rendre obligatoire la présence d’un avocat pour chaque enfant soumis à une mesure d’assistance éducative, sans distinction d’âge ou de discernement. Ces enfants, par décision judiciaire, peuvent être placés en familles d’accueil ou en foyers, ou bénéficier d’un suivi à domicile par des services sociaux.
Environ 380.000 jeunes seraient concernés, selon les chiffres du ministère. L’avocat, rémunéré 576 euros par audience, serait gratuit pour l’enfant, financé par l’État via l’aide juridictionnelle, sans conditions de ressources. « L’avocat pourra préparer avec l’enfant son audience chez le juge des enfants, lui expliquer les enjeux, travailler sa prise de parole, et être à ses côtés le jour J », explique Isabelle Clanet, avocate spécialisée dans le droit des enfants, qui a testé ce dispositif dans les Hauts-de-Seine.
« Il s’agit de mettre aux côtés de l’enfant un gardien de ses droits, une mémoire de son dossier juridique, un fil rouge qui l’accompagne », souligne Ayda Hadizadeh.
Un avocat pour intervenir en cas de maltraitances ou de violences sexuelles
La présence de l’avocat permettrait également de faire appel des décisions judiciaires ou de veiller à ce que l’Aide sociale à l’enfance (ASE) respecte les droits des enfants, tels que le maintien des relations familiales ou la présence d’un tiers lors des rencontres avec les parents, des droits souvent ignorés en raison de manque de place ou de personnel. « J’ai été violé dans un foyer. Si j’avais eu un avocat, j’aurais pu obtenir justice et demander un changement de lieu de placement », confie Lyes Louffok.
Depuis la loi Taquet de 2022, les enfants bénéficient, lors de chaque renouvellement de mesure, d’un entretien individuel avec le juge des enfants, lequel doit les informer de leur droit à un avocat. Ce dernier peut être désigné si l’enfant « est capable de discernement », ou bien un administrateur ad hoc si tel n’est pas le cas.
L’avocat Arnaud de Saint-Remy, en charge des droits des enfants au Conseil national des barreaux (CNB), témoigne avoir été nommé par la justice pour un nourrisson issu d’inceste. Son action a consisté à solliciter une expertise pour établir que son retard cognitif était dû à la consanguinité afin d’obtenir une indemnisation.
3.350 mesures de placement pas exécutées en 2023
Si la proposition est adoptée, l’avocat pourra également saisir la justice en cas de non-respect des décisions judiciaires. Le Syndicat de la magistrature estime que 3.350 mesures de placement n’ont pas été exécutées en 2023, à cause d’un manque de places. « Nous pourrions envisager de saisir le tribunal administratif pour condamner les services de l’ASE », ajoute Arnaud de Saint-Remy. « Le rapport de force au sein de l’ASE va changer. Les affaires vont émerger car des avocats vont les médiatiser », conclut Lyes Louffok.
L’assemblée des Départements de France n’a pas d’opposition de principe à cette mesure, mais exprime plusieurs réserves, notamment concernant son coût, sa faisabilité, et le « risque de ralentir les délais des décisions ». En 2023, la Protection de l’enfance était sous la responsabilité des départements, qui y ont consacré 11 milliards d’euros, pour une dépense moyenne de 41.000 euros par an et par enfant. Plusieurs observateurs signalent également le risque d’encombrer le système judiciaire en multipliant les contentieux.