Trêve à Gaza : pourquoi la proposition de Donald Trump de déplacer les civils est-elle rejetée par les pays arabes ?
Trêve à Gaza : pourquoi la proposition de Donald Trump de déplacer les civils est-elle rejetée par les pays arabes ?

Trêve à Gaza : pourquoi la proposition de Donald Trump de déplacer les civils est-elle rejetée par les pays arabes ?

29.01.2025
6 min de lecture

Le président américain a dit vouloir relocaliser la population gazaouie, de manière « temporaire ou à long terme », en Egypte et en Jordanie. Les deux pays, ainsi que les Palestiniens, s’y opposent.

« Ils pourraient vivre dans des zones beaucoup plus sûres et peut-être plus confortables. » Donald Trump a réitéré, lundi 27 janvier, lors d’un échange avec des journalistes à bord d’Air Force One, l’avion présidentiel américain, sa proposition de déplacer les Palestiniens hors de la bande de Gaza. « J’aimerais qu’ils vivent dans une région (…) sans perturbations, sans révolution et sans violence », a affirmé le président des Etats-Unis, alors que les hostilités entre le Hamas et Israël sont suspendues le temps d’une trêve. « La bande de Gaza, c’est l’enfer depuis tant d’années. »

Deux jours plus tôt, Donald Trump avait déjà évoqué l’hypothèse d’un déplacement des civils hors de l’enclave palestinienne, vers l’Egypte voisine au sud et la Jordanie frontalière d’Israël à l’est. « On parle d’environ 1,5 million de personnes et on fait tout simplement le ménage là-dedans », a-t-il déclaré, comparant le territoire palestinien à un « site de démolition ». Selon le président américain, cet exode pourrait être « temporaire ou à long terme ».

Le droit de la guerre à respecter

« Sur le plan humanitaire, on pourrait se dire qu’il y a une logique à déplacer la population pour la mettre à l’abri », concède Thomas Vescovi, chercheur et auteur de plusieurs ouvrages sur les territoires palestiniens occupés. Mais encore faut-il que cela se fasse dans le respect du droit international, souligne Human Rights Watch. Les civils « ont le droit de ne pas être expulsés de chez eux » et, lorsque cela se produit, « le droit de la guerre prévoit des conditions aux déplacements de populations pour nécessités militaires, des conditions qui ont déjà été largement violées par Israël », insiste Ahmed Benchemsi, directeur de la communication de l’ONG pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.

« Les Gazaouis ont été visés par des bombardements sur les routes, pendant qu’ils évacuaient, ou dans des zones présentées comme sûres par l’armée israélienne. On les a déplacés vers des endroits manquant de tout : abris, électricité, soins de base. »Ahmed Benchemsi, directeur de la communication à HRW

à franceinfo

« Depuis le début de la guerre, 1,9 million de Gazaouis, soit 90% des habitants, ont été déplacés de force à de multiples reprises », au gré des ordres d’évacuation de l’armée israélienne, dénonce Ahmed Benchemsi, reprenant l’estimation du Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies(Nouvelle fenêtre) en juillet 2024.Ces mouvements de population, « forcés, systématiques et à grande échelle »« constituent un crime contre l’humanité », accuse le responsable de Human Rights Watch, relevant que son ONG a publié un rapport(Nouvelle fenêtre) à ce sujet en novembre 2024. Ahmed Benchemsi rejette l’idée de contraindre à nouveau les civils, meurtris, affamés et traumatisés par quinze mois de conflit, à partir de chez eux. « Ce serait se rendre complice de nettoyage ethnique », plaide-t-il, rappelant que les experts de l’ONU définissent ainsi les « politiques visant à remplacer la population d’un territoire par une autre ».

Une nouvelle « Nakba » à craindre

De nombreux observateurs redoutent que les Gazaouis ne puissent jamais regagner la bande de Gaza, s’ils sont déplacés en Egypte et en Jordanie. Le souvenir traumatique de la « Nakba » (ou « grande catastrophe » en arabe) persiste, lorsque 800 000 Palestiniens ont été expulsés de leurs terres au moment de la naissance de l’Etat hébreu. « Depuis 1948, à chaque fois qu’ils ont été massivement déplacés sous la contrainte d’Israël, ils n’ont jamais pu rentrer chez eux », constate Thomas Vescovi.

La suggestion de Donald Trump a d’ailleurs séduit l’extrême droite colonialiste en Israël. « C’est une excellente idée », s’est réjoui le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, dimanche 26 janvier. « Pendant des années, les politiciens ont proposé des solutions irréalisables comme la division des terres et la création d’un Etat palestinien, qui mettaient en danger l’existence et la sécurité du seul Etat juif au monde », a ajouté le suprémaciste juif.

« Les propos de Donald Trump convergent avec l’attente de certains membres du gouvernement israélien, qui veulent reprendre en main Gaza et revenir sur la décision d’Ariel Sharon, en 2005, de démanteler les colonies israéliennes dans ce territoire. »Thomas Vescovi, historien

à franceinfo

Pour l’extrême droite israélienne, la déclaration du président américain « donne du crédit » à l’éventualité d’une nouvelle colonisation de la bande de Gaza, argue Thomas Vescovi. En enterrant, au passage, la solution à deux Etats, soutenue par une partie de la communauté internationale pour mettre un terme au conflit israélo-palestinien. « Un Etat ne peut pas exister sans territoire. Si on vide la bande de Gaza de sa population, on s’assure qu’il n’est plus possible de créer un Etat palestinien », décrypte Lauric Henneton, maître de conférences à l’université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.

C’est la raison pour laquelle, selon Thomas Vescovi, des centaines de milliers d’habitants se sont en mis en marche pour le nord de la bande de Gaza depuis lundi. « Même si 70% des immeubles sont détruits, ils savent qu’un départ prolongé signifierait perdre leur territoire, analyse l’historien. En regagnant le Nord et en commençant à déblayer avec les moyens du bord, ils veulent montrer qu’ils sont présents, enracinés, et partie prenante à la reconstruction de Gaza. »

Des Gazaouis marchent au milieu des décombres d'immeubles détruits par l'armée israélienne, le 23 janvier 2025, à Jabalia. (DAWOUD ABO ALKAS / ANADOLU / AFP)
Des Gazaouis marchent au milieu des décombres d’immeubles détruits par l’armée israélienne, le 23 janvier 2025, à Jabalia. (DAWOUD ABO ALKAS / ANADOLU / AFP)

Les pays arabes ont, eux aussi, la mémoire de la « Nakba ». Notamment la Jordanie, où « environ 60% des habitants sont des descendants des réfugiés palestiniens accueillis en 1948 », note Thomas Vescovi. « S’ils acceptaient des centaines de milliers, voire un million de réfugiés, [Le Caire et Amman] savent qu’ils devraient gérer des campements dans des zones désertiques, sans la possibilité pour ces civils de repartir. » Une situation d’autant plus inacceptable pour ces pays qu’en plus de l’enjeu humanitaire, elle poserait des questions sécuritaires, en cas d’attaques menées depuis leur territoire par des groupes terroristes comme le Hamas.

Des pressions américaines à venir ?

Au tout début de la guerre à Gaza, alors que des centaines de milliers de déplacés internes se pressaient à Rafah, l’Egypte avait déjà été appelée à ouvrir sa frontière pour laisser entrer des réfugiés. Le Caire avait refusé. Le président Abdel Fattah al-Sissi avait même suggéré qu’Israël accueille les Gazaouis sur son propre territoire, dans le désert du Néguev, sans succès.

Un an plus tard, l’Egypte a réaffirmé sa position. « De telles actions menacent la stabilité, risquent d’étendre le conflit dans la région, et compromettent les possibilités de paix et de coexistence », a déclaré le ministère des Affaires étrangères égyptien, en réponse aux propos de Donald Trump. De son côté, Amman a assuré que son « refus des déplacements est une position inébranlable qui ne changera pas ». « La Jordanie est pour les Jordaniens et la Palestine est pour les Palestiniens », a martelé le ministère des Affaires étrangères.

Des milliers de Palestiniens marchent le long de la mer, à Nuseirat, pour rejoindre le nord de la bande de Gaza, le 27 janvier 2025. (BASHAR TALEB / AFP)
Des milliers de Palestiniens marchent le long de la mer, à Nuseirat, pour rejoindre le nord de la bande de Gaza, le 27 janvier 2025. (BASHAR TALEB / AFP)

Difficile de savoir « quel crédit accorder » aux déclarations de Donald Trump ou si elles seront suivies d’action de la part du président américain, juge Lauric Henneton. Les Etats-Unis « entretiennent des liens forts avec la Jordanie et l’Egypte », remarque toutefois l’historien. Le Caire « reçoit d’importantes aides de Washington, notamment militaires ». Elles constituent donc un potentiel moyen de pression pour la Maison Blanche, qui vient de suspendre toutes ses aides aux pays étrangers, à l’exception de celles accordées à Israël et à l’Egypte. Lauric Henneton n’exclut pas cependant que les échanges entre Donald Trump et ses homologues au Caire et Amman « n’aboutissent à rien ».

« Je vois mal l’Egypte accepter de prendre la charge d’un million de réfugiés en échange de livraisons d’armes, qu’elle pourrait aussi être tentée de se procurer auprès de la Russie ou de la Chine. »Lauric Henneton, historien

à franceinfo

Sans compter la résistance des Palestiniens, mais aussi du Hamas, qui cherche à maintenir son contrôle sur la bande de Gaza pour garantir sa survie. Dimanche, le bureau politique du mouvement islamiste palestinien a d’ailleurs promis de « faire échouer » la proposition de Donald Trump, « comme il a fait échouer tous les projets de déplacement pendant des décennies ».

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