Sous les premiers rayons de soleil printanier, mardi 25 mars, le marché s’anime sur la place de la République à Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais). Derrière les stands de fruits et légumes et de vêtements, les sourires de Marine Le Pen et de Jordan Bardella s’étalent sur des affiches. Ceux des sympathisants du Rassemblement national en revanche s’effacent à l’évocation de l’épée de Damoclès judiciaire qui menace leur championne.
Lundi 31 mars, la triple candidate à l’élection présidentielle sera fixée sur son avenir politique. Le tribunal correctionnel de Paris doit rendre son jugement dans l’affaire des assistants parlementaires européens du Front national, soupçonnés d’avoir été payés avec l’argent du Parlement européen alors qu’ils effectuaient des tâches pour le parti d’extrême droite. La députée risque une peine d’inéligibilité à effet immédiat, comme l’a requis le parquet en novembre, ainsi que cinq ans de prison, dont deux ans de prison ferme, aménageables, ainsi qu’une amende de 300 000 euros. Dans ce fief lepéniste, où elle a été élue députée sans discontinuer depuis 2017, une telle décision aurait l’effet d’une bombe.
Sur le marché, les militants du RN ont tous la conviction qu’il s’agit d’« un procès politique », comme le dénoncent les cadres du parti depuis les réquisitions – un tournant dans la communication du RN sur ce dossier. « Ce n’est ni plus ni moins qu’un barrage pour l’empêcher d’être là en 2027 », assène Anne-Marie. « Ils sont costauds pour faire barrage au RN », poursuit la retraitée et militante qui estime « les juges corrompus ». A ses côtés, plusieurs adhérents acquiescent, jugeant que la justice veut « se payer Marine Le Pen ». Un discours que l’on retrouve chez de simples sympathisants, à quelques nuances près. « Je pense que le but, c’est d’enfoncer Marine Le Pen, car elle monte dans les sondages », avance Christopher, 30 ans, électeur du RN comme « toute [sa] famille ». Si le jeune homme « veut croire à la justice », de très nombreux adhérents la pensent orientée, en « mission contre le RN ».
« On ne va pas spéculer »
Ils restent cependant convaincus que le tribunal n’ira pas jusqu’à priver Marine Le Pen de candidature en 2027. « Je ne suis pas inquiète, il n’y a aucune raison qu’ils la condamnent. C’est impensable ! » tranche Nicole, commerçante à la retraite. En cas de peine d’inéligibilité prononcée contre la députée avec exécution provisoire, « les gens vont se révolter », prédit Bruno, chauffeur de bus à la retraite et militant du RN.
Cela voudrait dire que Marine Le Pen perdrait son mandat de conseillère départementale du Pas-de-Calais et n’aurait pas le droit de se présenter à la prochaine présidentielle (ou à d’éventuelles législatives anticipées). Elle pourrait faire appel, mais se trouverait inéligible dans l’attente d’un jugement en seconde instance.
En attendant le jugement, tous ont signé la pétition lancée par le parti à la flamme pour dénoncer « une tentative d’éliminer la voix de la véritable opposition », après les réquisitions du 13 novembre.
/2025/03/26/img-9690-67e42a475e74d274852387.jpg)
Cette journée d’automne a déjà causé une petite déflagration locale. « Ça a fait beaucoup de bruit, c’était un sujet de discussion majeur, et même des gens qui ne votent pas pour nous m’ont dit qu’ils étaient choqués », se souvient le maire RN héninois, Steeve Briois, qui affiche un grand sourire malgré l’imminence du jugement. « La date du 31 mars, on ne m’en parle pas », poursuit l’édile, qui préfère d’ailleurs ne pas s’attarder sur le sujet. « On ne va pas spéculer à quelques jours du jugement », justifie-t-il, refusant « d’imaginer différents scénarios ».
Le meilleur serait une relaxe pour Marine Le Pen et le pire une condamnation assortie d’une inéligibilité immédiate. Elle pourrait aussi être jugée coupable sans faire l’objet d’une peine d’inéligibilité. Au QG parisien du parti, le sujet est discuté en très petit comité, entre la candidate et ses avocats, mais il est trop tôt pour en parler. « Marine nous répète souvent que l’artichaut se mange feuille à feuille », évacue Steeve Briois, manière de dire qu’il faut se saisir des problèmes quand ils arrivent. Et l’élu local de reprendre le ballet des poignées de mains et des bises échangées avec ses administrés sur la place du marché.
« Si elle n’a pas de problème, elle va être élue en 2027 »
A quelques mètres, les artichauts se vendent 2,50 euros les deux sur l’étal d’Abdelkader, 38 ans, dont quinze à faire les marchés à Hénin-Beaumont et alentours. Ce sympathisant du RN ne croit pas au pire des scénarios pour Marine Le Pen : « Je ne pense pas que les juges la déclareront inéligible. Elle est connue dans le monde entier, elle est soutenue par le peuple français, et ils lui interdiraient de se représenter ? »
Le commerçant en est persuadé, « si elle n’a pas de problème, elle va être élue en 2027, c’est sûr et certain ». Devant le stand, Vanessa, 35 ans, avance elle aussi l’argument des urnes, comme la candidate aux 13,2 millions de voix en 2022. Lors de la dernière présidentielle, 67% des votants d’Hénin-Beaumont ont choisi Marine Le Pen. Pour la jeune femme, c’était la première fois, par « rejet de Macron » et « peur de l’extrême gauche ».
Même les sympathisants moins politisés déplorent ce procès. Emeline, 21 ans, n’est pas au courant du couperet judiciaire qui tombera lundi. Aide-soignante en Ehpad, reconvertie dans le commerce, elle fait le marché en famille. « Ce serait vraiment dommage », lâche-t-elle en apprenant que sa candidate pourrait être privée d’une quatrième campagne présidentielle. Elle n’est pas la seule ici à n’avoir pas suivi en détail ce procès qui durant six semaines a mis en lumière les rouages internes du parti, détaillant échanges de mails et agendas. Mais dans les rues de la commune de 26 000 habitants, nombreux sont ceux qui disent ne pas « regarder l’actualité » ou n’être « pas au courant » de l’affaire des assistants parlementaires du FN.
« On les sent un peu fébriles »
Sur le terrain, le procès de Marine Le Pen n’est pas un sujet de discussion, assure l’écologiste Marine Tondelier, élue municipale dans l’opposition depuis 2014. Mais la sérénité affichée par les élus RN de la commune n’est, selon elle, qu’une façade. « On les sent un peu fébriles », dit-elle. La secrétaire nationale des Ecologistes relativise en outre l’impact local de l’affaire sur le parti ou son image.
Le jugement pourrait du moins mettre le parti face à ses contradictions, estime la secrétaire nationale des Ecologistes : « Le RN veut une application systématique des peines… Sauf pour eux ! Ils défendent donc une justice à deux vitesses. Celle qui s’applique pour les Françaises et les Français. Et celle qui s’applique pour eux. »
Si l’inéligibilité de leur députée semble impensable à certains, le RN se prépare à tout encaisser et se console en regardant sa constante progression depuis plusieurs années. « On a une porte de secours, c’est Jordan Bardella », lance Jacqueline en pensant à la présidentielle de 2027. Le président du parti, qui aura alors 31 ans, se tient prêt. Mais dans ce bastion lepéniste, cette perspective laisserait un léger goût amer à bon nombre d’électeurs, tant ils se disent attachés à Marine Le Pen. « J’aurais un vrai sentiment d’injustice, mais je voterais Bardella. Il est jeune, mais on sait qu’il sera extrêmement soutenu par le parti », veut croire Vanessa.
Mais même le pire des scénarios pourrait se révéler bénéfique, veut croire Jacqueline. « Ce serait du pain béni pour nous, ça va donner de la force aux gens pour voter pour nous », pense la retraitée. C’est bien ce que redoutent les électeurs d’autres bords politiques, comme Thomas*. Lui « aimerait bien que Marine Le Pen soit sanctionnée », même s’il pense que « ça va lui faire un beau coup de pub ».