"Pour le faire fuir, je l'ai filmé en train de se toucher le sexe" : les joggeuses racontent le harcèlement et les agressions dont elles sont la cible
"Pour le faire fuir, je l'ai filmé en train de se toucher le sexe" : les joggeuses racontent le harcèlement et les agressions dont elles sont la cible

« Pour le faire fuir, je l’ai filmé en train de se toucher le sexe » : les joggeuses racontent le harcèlement et les agressions dont elles sont la cible

12.04.2025
5 min de lecture

A l’occasion du marathon de Paris, dimanche 12 avril, franceinfo donne la parole aux femmes qui, parmi les six millions de coureuses en France, subissent les regards insistants, les remarques sexistes, les sifflets ou les mains aux fesses.

Mercredi 2 avril, bois de Vincennes. Stéphanie M. trottine depuis moins de vingt minutes quand les premières difficultés apparaissent. « 18h45, km 3 : coup de klaxon, Audi noire, plaque 75 » ; « 18h59, km 6 : ‘Belle petite pute qui court en short’, mec 30 ans » ;« 19h13, km 10 : mouvement de bouche pour imiter une fellation, homme 50-60 ans ». « Tout ça, alors que je ne fais que courir », se met en colère l’ingénieure à la longue chevelure blonde.

« Ecœurée » d’être « constamment prise pour un morceau de viande »quand elle s’entraîne, la Caennaise de 29 ans consigne désormais dans son téléphone toutes les paroles, tous les gestes obscènes, dégradants et pénalement répréhensibles dont elle est la cible. À la façon d’une inspectrice de police, elle note le lieu, l’heure et le motif : « CD » pour « commentaire déplacé »« K » pour « klaxon »« VP » pour « violence physique ». « C’est un enfer : depuis le 1er janvier 2025, j’en suis déjà à 7 K et 15 CD », compte-t-elle en parcourant son fichier ironiquement baptisé « Joie et bonheur ».

« Il m’a agrippé le bras et a tenté de m’embrasser »

Combien sont-elles, comme Stéphanie, à avoir déjà fait l’expérience d’un regard insistant, de remarques sexistes, de sifflets ou d’une main aux fesses lors d’un banal footing ? Combien sont-elles, parmi les 6 millions de joggeuses en France (Nouvelle fenêtre), à avoir vu leur rythme cardiaque s’accélérer soudainement face à un homme menaçant ? Il n’existe aucun recensement exhaustif des victimes de harcèlement sexuel, d’agression, voire de viol pendant leur pratique de la course à pied, mais plus d’une coureuse sur deux (56%) a déjà dû affronter des situations problématiques lors de leur sortie, selon un sondage (Nouvelle fenêtre). Et les témoignages de coureuses, débutantes ou confirmées, vivant en milieu urbain ou rural, affluent. 

À l’occasion du marathon de Paris, dimanche 13 avril, franceinfo en a recueilli une trentaine, dont celui d’Hélène. Un an après, la chargée de communication de 33 ans se pose encore la question : que voulait « ce type » qui l’a suivie rue du Général-Foy, dans le 8e arrondissement de Paris ? « Juste me faire peur ? Plus que ça ? Qu’avait-il en tête ? » Ce soir d’avril 2024, elle est «  en train de monter la côte en courant, essoufflée » quand elle sent une présence. « Il était collé derrière moi, son vélo à la main. Il me lâchait des mots grossiers, me disait que j’avais un beau cul… La rue était vide ». Paniquée, elle finit par pousser la porte du premier restaurant ouvert.

L’été dernier, lors d’une sortie sur les bords de Loire, à Nantes, Célestine R. s’est carrément retrouvée nez à nez avec un exhibitionniste. « C’était en semaine, il devait être 15 heures, retrace la mère de famille de 42 ans, qui court 70 kilomètres par semaine. Pour le faire fuir, je l’ai filmé en train de se toucher le sexe. C’était un moyen d’auto-défense. Je lui criais que j’allais donner la vidéo aux flics. » Les images ne sont finalement jamais sorties de son téléphone : « Des amies me conseillaient de porter plainte, mais à quoi bon ? Mon histoire est juste une histoire de plus. »

Au bout du fil, voilà Olga G. qui souffle un grand coup. « Ma plainte ? Aucune nouvelle… » La biologiste de 28 ans a pourtant poussé la porte du commissariat de Montpellier, le 13 décembre 2023, à 8h30. « Je trottinais le long du Lez quand, soudain, quelqu’un a surgi et m’a attaquée. Il m’a agrippé le bras et a tenté de m’embrasser », raconte-t-elle à l’agent de police judiciaire. Son débit s’accélère : « Je ne savais pas quoi faire, j’étais effrayée. J’ai crié, crié, et il est parti. »  Cette agression lui vaudra « une incapacité de travail n’excédant pas huit jours », comme l’atteste la déclaration de plainte que franceinfo a consultée. Mais aussi de nombreuses séances chez le psychologue, à qui elle continue de se confier un an et demi après.

« J’ai eu la trouille, ça m’a traumatisée »

En mars 2023, un sondage réalisé par la marque Adidas (Nouvelle fenêtre) dans neuf pays, dont la France, révélait que 92% des femmes ne se sentaient pas en sécurité lorsqu’elles faisaient leur jogging, 51% craignaient une agression physique et 38% déclaraient avoir déjà été victimes de harcèlement physique ou verbal. La grande majorité des pratiquantes que franceinfo a sollicitées confessent, d’ailleurs, avoir dû adapter leur pratique. Beaucoup ne courent plus lorsqu’il fait nuit. D’autres ont fait une croix sur les sorties en solo.

Depuis deux ans, le groupe Facebook « Copines de Running » connaît une progression fulgurante. Créé en 2020, il compte aujourd’hui 20 000 membres, toutes féminines. « Les filles sont plus à l’aise. Elles se rencontrent en vrai et organisent des sorties dans leurs villes, développe Suzy, l’une des administratrices. D’un côté, on peut se dire que c’est dommage d’en arriver là. Mais de l’autre, c’est un gage de sécurité pour les coureuses.« 

Pour limiter les risques d’être importunée, chacune a sa technique. Hélène retire systématiquement ses écouteurs quand elle arrive dans une rue vide. Avant chaque départ, Mélusine donne toutes les indications à son mari : « Je lui dis où je vais, combien de temps je suis censée courir, à quelle heure je suis censée rentrer, liste la psychomotricienne de 33 ans. En fait, je sécurise mon itinéraire pouréviter toute situation compliquée. » Dans le bocage vendéen, Elise D., 37 ans, a fini par remiser au placard son legging : « Moi, c’est jogging large et pull à capuche. Tactique zéro risque. » À Limoges (Haute-Vienne), Chloé T. change de parcours régulièrement. 

Quant à Lucie Rose, elle ne chausse plus sa paire de baskets sans accrocher sa bombe lacrymogène à sa taille. Un achat de son père, après qu’elle lui a révélé avoir été suivie par un 4×4 à Rouen (Seine-Maritime). « Le gars a profité d’une montée pour ralentir à mon niveau, il me parlait, je l’ignorais. À un moment donné, il m’a coincée sur le côté, a serré son frein à main, et m’a dit : ‘Tu sais ce qu’on fait aux vilaines filles qui ne veulent pas dire leur prénom ?’ Je me suis engouffrée dans une impasse. Ça m’a traumatisée. »

Lucie Rose est loin d’être la seule à sortir équipée. Dans les rayons du magasin Liberty Chasse, à Portet-sur-Garonne, près de Toulouse, le gérant voit de plus en plus de clientes coureuses demander des conseils. « Une ou deux fois, des runneuses ont même déboulé directement en tenue, se souvient Gérard Ferrière. Elles avaient besoin d’une bombe, car elles avaient peur d’être agressées. Les ventes vont crescendo chez nous. »

Traquées jusque sur les réseaux sociaux

Mais même la plus puissante des bombes lacrymogènes, n’aurait pas beaucoup d’effet pour se prémunir des insultes en ligne. À la place, certaines coureuses préfèrent masquer une partie de leurs données sur Strava, l’application vedette des amateurs de course à pied. « Je mets juste la distance et l’allure, jamais le parcours, résume Lucie Rose. Sinon, on peut te traquer facilement, jusque devant chez toi. » D’autres optent pour une solution encore plus radicale : passer leur compte en privé. 

Sollicité par franceinfo, Strava France dit prendre conscience du problème. « Nous ne tolérons pas l’intimidation, le ridicule, la honte, le harcèlement, les attaques personnelles ou toute autre conduite similaire, sous quelque forme que ce soit, assure l’entreprise. Il existe des outils à la disposition de la communauté pour signaler un tel comportement. »

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