Les deux sélectionneurs tricolores aux Jeux, Thierry Henry et Hervé Renard, n’ont pas connu les mêmes difficultés au moment de constituer leur liste olympique de 18 noms.
Deux tournois, deux mesures. Au moment d’imaginer leur groupe de 18 éléments pour les compétitions olympiques masculine et féminine de football, qui s’ouvriront en amont de la cérémonie d’ouverture, respectivement le mercredi 24 et le jeudi 25 juillet, les sélectionneurs tricolores n’ont pas été confrontés aux mêmes problématiques.
Si Hervé Renard peut, sans limite d’âge, aligner ses internationales, à l’instar de Wendie Renard, Marie-Antoinette Katoto ou Grace Geyoro, la tâche aura été bien plus complexe pour Thierry Henry, le coach des espoirs masculins. « Chaque équipe doit être entièrement composée de joueurs nés le ou après le 1er janvier 2001 », précise l’organisation de Paris 2024 dans son règlement, à trois exceptions près (en l’occurrence Alexandre Lacazette, Jean-Philippe Mateta et Loïc Badé).
Mais les Jeux ne comptant pas comme une compétition estampillée Fifa, les clubs n’ont pas l’obligation de mettre à disposition leurs joueurs pour les équipes nationales. Et de Kylian Mbappé (Real Madrid) à Khephren Thuram (Juventus), les refus se sont multipliés. « C’est un peu le monde à l’envers. La dernière fois que j’ai pris autant de rejets, c’était au collège », s’en désolait le champion du monde 1998 lors de l’annonce de sa pré-liste, le 3 juin. Mais comment expliquer cette différence selon les sexes ?
La conséquence d’un conflit centenaire entre le CIO et la Fifa
Une partie de la réponse remonte à une centaine d’années, alors même que le football féminin n’a fait son entrée aux JO qu’en 1996, à Atlanta (Etats-Unis). Imaginés par le baron Pierre de Coubertin, les Jeux prennent dès le début du XXe siècle l’amateurisme comme valeur cardinale. Une manière de créer à l’époque un entre-soi pour la bourgeoisie, qui refuse l’idée d’être rémunérée pour pratiquer une activité physique. Présent au programme depuis 1900, le football se retrouve vite dans le viseur du Comité international olympique (CIO). « Aux Jeux 1924 de Paris, c’est la discipline qui attire le plus de public et la plus rémunératrice avec environ 30% des recettes », contextualise Paul Dietschy, historien du football.
« Le problème, c’est que les joueurs présents sont ce qu’on appelle des ‘amateurs marrons’, des quasi-professionnels. Cela a fortement déplu aux dirigeants du CIO qui durcissent ensuite la notion d’amateurisme. Résultat, la Fifa a réfléchi à créer sa propre compétition : la Coupe du monde. »Paul Dietschy, historien du football
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Organisé en 1930 sous l’impulsion des Français Jules Rimet et Henri Delaunay, le premier Mondial s’ouvre à tous les joueurs, sans restriction. Après une sortie temporaire du programme pour les Jeux de 1932, le football fait son retour à Berlin quatre ans plus tard avec un distinguo : les amateurs aux JO, les professionnels à la Coupe du monde, gérée par la Fifa. Une règle qui prévaut jusqu’en 1984, en dépit d’une faille dont les pays du bloc soviétique profitent pour truster tous les titres olympiques à partir des années 1950. Pas officiellement professionnels malgré des conditions semblables dans les faits, les joueurs convoqués par ces nations bénéficient d’un statut d’athlète d’Etat avec « des emplois de complaisance dans l’armée, dans les entreprises publiques », explique Paul Dietschy.
« C’était des gars beaucoup plus âgés que nous, ils arrivaient avec quasiment leur équipe nationale A au complet », se souvient Olivier Rouyer, présent aux JO de Montréal en 1976, avec notamment le jeune Michel Platini. « En équipe de France, la plupart d’entre nous étaient issus de centres de formation avec des contrats stagiaires. Les autres joueurs venaient du monde amateur et avaient des boulots à côté, notamment dans la police. » Cette année-là, les Bleus sont d’ailleurs battus 4-0 en quarts de finale par l’Allemagne de l’Est, future championne olympique.
Les U23 pour ne pas porter ombrage au Mondial
Malgré des « relations difficiles » entre les deux instances, un compromis avec la Fifa est trouvé par le CIO pour modifier la formule en 1984. « Les dirigeants de la Fifa étaient en position de force : c’était important pour eux d’être aux Jeux comme chaque grand sport, mais la priorité restait de ne pas dévaloriser leur compétition reine », rappelle Paul Dietschy, directeur de la revue Football(s). D’où la décision d’inclure pour la première fois les professionnels au tournoi olympique, tout en limitant la participation des joueurs européens et sud-américains ayant disputé la Coupe du monde.
« Il était temps de réajuster les équilibres et puis cela a eu de bonnes conséquences pour la France puisqu’ils ont gagné à Los Angeles », juge Olivier Rouyer. Mais après une nouvelle victoire de l’URSS à l’édition suivante, le CIO modifie de nouveau son tournoi en amont de Barcelone 1992 pour arriver au format actuel. Dès lors, seuls les joueurs âgés de moins de 23 ans sont éligibles, avec l’ajout lors des Jeux suivants de la possibilité de recourir à trois jokers plus vieux. « Une idée inspirée du modèle de l’Euro espoirs des années 1970 », précise Paul Dietschy.
Ce changement vise d’abord à écarter les principales stars, et ainsi permettre à la Fifa de protéger son Mondial auxquelles elles participent déjà. Tout en évitant que le football, déjà plus médiatisé, ne prenne définitivement toute la lumière aux autres sports. Enfin, le but est de ne pas trop déséquilibrer la compétition en offrant la possibilité à des sélections moins habituées à briller sur la scène internationale de se montrer. Un enjeu universaliste qui paie, car le Nigeria et le Cameroun s’adjugent la médaille d’or en 1996 et 2000, imités ensuite par le Mexique en 2012.
Vers les mêmes critères pour les femmes ?
Et le tournoi féminin dans tout cela ? Inclues aux Jeux olympiques à l’occasion d’un congrès du CIO en 1993, les équipes nationales classiques sont conviées dès l’édition suivante à Atlanta, en 1996. A cette date, la Coupe du monde féminine n’avait eu lieu qu’à deux reprises. « Le Mondial féminin n’avait pas le même prestige médiatique que celui des hommes, qui est une véritable poule aux œufs d’or au niveau des droits TV. L’arrivée du football féminin aux Jeux olympiques a donc été vue par la Fifa comme un moyen d’accompagner le développement de la discipline, plutôt que comme une menace à sa compétition », assure Paul Dietschy, ajoutant que « la Fifa s’est servie de cela pour également accroître sa présence » sur le terrain du CIO.
Si les audiences de la Coupe du monde 2023 étaient encore loin de son homologue masculine de 2022, le quart de finale des Bleues contre l’Australie a par exemple réalisé dans l’Hexagone 70% des parts d’audience à la mi-journée. Gage d’un intérêt grandissant du public, quand celui des partenaires de Kylian Mbappé face à l’Angleterre au Qatar chiffrait à 63% en soirée. De quoi envisager une évolution des critères olympiques chez les femmes pour coller à ceux des hommes, alors que la professionnalisation s’accélère dans les principaux championnats féminins ? Ce n’est pas encore à l’ordre du jour. Mais dans le même temps, les voix s’élèvent chez les joueuses, à l’image de la latérale anglaise Lucy Bronze, pour dénoncer une multiplicité des rencontres qui nuit à leur santé.
« Nos clubs oublient parfois que nous continuons à nous entraîner lorsque nous jouons pour notre pays. J’aimerais que vous voyiez ce que nous faisons dans notre ‘temps libre’, c’est du non-stop. Vous comprendrez alors pourquoi nous avons besoin d’un temps de récupération supplémentaire et pourquoi nous demandons des changements de programme qui profiteront à tout le monde », interpellait-elle début mai via le syndicat des joueurs Fifpro. Au point même d’y voir du positif à la non-qualification de l’équipe britannique à Paris 2024, ce qui aurait été sa troisième compétition internationale en trois ans. Preuve que la question mérite d’être posée.