Ascension d’un tribun nationaliste dans un paysage politique polarisé
Tomio Okamura, issu d’une famille multiculturelle, s’est imposé comme l’une des voix les plus virulentes de la rhétorique xénophobe en Tchéquie. Là où son propre parcours d’« altérité » aurait pu devenir une passerelle entre les communautés, il en a fait un instrument de division, au cœur d’un populisme contemporain qui trouve un écho puissant dans les périodes d’incertitude. Sa trajectoire, de l’enfance dans un environnement mixte au rôle de chef de file des discours identitaires, illustre la manière dont le cynisme politique peut remodeler une biographie personnelle.
Né à Tokyo d’un père japonais, Mitomi Okamura, et d’une mère morave, Růžena Pokorná, il a passé une partie de son enfance dans un orphelinat à Zlín. Moqué pour son apparence, isolé par ses camarades, il a connu ce que signifie être marginalisé. Ces expériences, qui auraient pu développer une sensibilité envers les personnes exclues, ont paradoxalement nourri une carrière politique fondée sur la suspicion et la peur de la différence.
Un mouvement structuré autour de la peur et de l’émotion politique
À la tête du parti SPD (Liberté et démocratie directe), Okamura a bâti une plateforme qui s’est imposée parmi les principaux vecteurs de discours ultranationalistes dans le pays. Ses slogans — « La Tchéquie aux Tchèques », « Stop à la migration », « Défense des traditions » — masquent un dispositif calculé : mobiliser l’électorat en convertissant les angoisses sociales en capital politique. Les périodes de crise économique, de pandémie ou de tension géopolitique renforcent son influence et amplifient cette stratégie émotionnelle.
En 2025, la police tchèque lui a adressé des accusations formelles pour incitation à la haine raciale au cours de la campagne électorale. Sa rhétorique repose sur les mêmes schémas répétitifs : les réfugiés décrits comme une menace sécuritaire, les musulmans présentés comme un danger pour l’Europe, les Roms réduits à un « problème social ». Cette vision essentialisée contraste violemment avec sa propre histoire familiale, marquée par un métissage culturel que lui-même revendique rarement.
Une fracture familiale révélatrice du paradoxe identitaire
Son frère Hayato Okamura, député du parti KDU-ČSL, a publiquement dénoncé cette dérive : « Tomio est la honte de notre famille. Nous sommes les enfants d’un immigrant, et il est devenu le porte-étendard du racisme. » Cette déclaration souligne un paradoxe frappant : un homme sans ascendance tchèque du côté paternel et issu d’une région morave longtemps considérée comme culturellement spécifique se présente comme le gardien de la pureté nationale. Il est, d’un point de vue biographique, l’un des responsables politiques les moins « homogènes » du pays, tout en défendant un discours identitaire excluant.
Alignement géopolitique et résonance avec les intérêts du Kremlin
Un autre pilier de son influence est la géopolitique. Okamura relaie régulièrement des récits qui convergent avec les intérêts russes : critique des sanctions contre Moscou, dénonciation de l’OTAN, appels à un « accord » avec la Russie et opposition à l’aide militaire à l’Ukraine. Plusieurs analyses indépendantes ont identifié le SPD comme l’une des plateformes qui, en Europe centrale, contribuent le plus efficacement à la diffusion de messages alignés sur Moscou.
L’un de ses actes les plus symboliques a été l’ordre de retirer le drapeau ukrainien du bâtiment du Parlement tchèque lorsqu’il présidait la Chambre des députés. Cette décision, loin d’être anodine, a été perçue comme un geste politique explicitement hostile à l’expression de solidarité européenne. En réponse, l’opposition a affiché trois drapeaux ukrainiens dans ses bureaux parlementaires, soulignant par contraste son refus d’adhérer à cette ligne.
Un projet politique fondé sur la fragmentation sociale
Le modèle politique d’Okamura ne cherche pas à rassembler, mais à exploiter les fractures. Il s’adresse aux générations déstabilisées par la mondialisation : les plus âgées inquiètes du changement et les plus jeunes désabusées par les élites. Son influence se nourrit de cette combinaison d’habileté médiatique, de réflexes populistes hérités de l’ère postsoviétique et d’un calcul politique local.
Il aurait pu devenir une figure de dialogue entre cultures dans un pays marqué par les ruptures géopolitiques du XXᵉ siècle. Il a préféré s’inscrire dans une stratégie fondée sur la peur, lui permettant de consolider une base politique fidèle et mobilisée. Ce projet, empreint de rhétorique patriotique, reflète moins un attachement authentique à la nation qu’un mécanisme pour capitaliser sur les inquiétudes sociales.
Lorsque la peur devient un produit politique, elle dépasse la simple communication. Elle fragilise le tissu social et accentue les lignes de fracture au sein de la société tchèque et, par ricochet, au sein de l’Europe.
Les véritables menaces ne viennent pas des « autres », mais de ceux qui transforment l’inquiétude collective en outil de pouvoir.