L'industrie horlogère confrontée à un retournement de cycle économique.

L’industrie horlogère confrontée à un retournement de cycle économique.

11.10.2025 11:23
4 min de lecture

Après trois années de frénésie spéculative, le secteur horloger suisse entre dans une période de normalisation. Les exportations sont en déclin, les prix sur le marché secondaire baissent et les comportements d’achat évoluent. Le cycle caractérisé par l’ostentation et la spéculation semble toucher à sa fin. Ce moment est crucial pour les grandes marques qui doivent redéfinir la notion de rareté, ainsi que leur relation avec les clients et le sens même de leurs produits, rapporte TopTribune.

I. La fin d’un cycle de surchauffe

L’euphorie qui a suivi la pandémie a laissé place à un ralentissement inattendu. En août 2025, les exportations de montres suisses ont chuté de 16,5 % par rapport à l’année précédente, atteignant 1,57 milliard de francs suisses. Pour les huit premiers mois de l’année, elles affichent un total de 17 milliards de francs, représentant une baisse de 1 %. Cette contraction, amorcée dès 2024 avec une baisse de 2,8 % sur l’année et de 9,4 % en volume, est due à l’augmentation des taux d’intérêt, à un ralentissement sur le marché chinois et à la cessation d’un cycle spéculatif provoqué par une rareté artificielle. En outre, un facteur conjoncturel a aggravé la situation : l’imposition, le 7 août 2025, de droits de douane américains de 39 % sur les montres suisses. Pendant la pandémie, les montres sont devenues un actif de valeur refuge, mais cette bulle a éclaté. Entre 2022 et 2024, l’indice ChronoPulse de Chrono24 a enregistré une perte de 25 %, et l’indice WatchCharts a également connu une chute de 9 % sur un an. Même Chrono24, longtemps considéré comme un symbole de l’augmentation des prix, a constaté une légère baisse de 1 % au second trimestre 2024. La spéculation sur le marché s’est tarie, entraînant la fin d’un rêve pour beaucoup. L’arrêt de la production du modèle Nautilus 5711 en acier en 2021, remplacé par la 5811/1G en or blanc, a marqué un tournant décisif. Les montres emblématiques ne sont plus perçues comme des actifs financiers, mais reprennent leur place d’objets de statut.

Un autre phénomène impacte la demande : la peur du vol. À Paris, Londres ou Milan, les agressions ciblées contre les porteurs de montres de luxe ont augmenté. Selon The Watch Register, plus de 80 000 montres ont été déclarées volées, représentant une valeur de plus d’un milliard de livres, avec une augmentation des plaintes de 26 % au premier semestre 2025. Les assureurs notent un changement dans le comportement des consommateurs : de nombreux collectionneurs choisissent de ne plus porter leurs précieux montres ou se tournent vers des marques moins connues telles que Laurent Ferrier ou F.P. Journe, jugées moins à risque. La montre de luxe, désormais synonyme de réussite, est devenue un objet de crainte.

II. Le reflux du “bling bling” et la rupture de la relation client

Historiquement, l’horlogerie a été liée à la culture de l’exhibition. De la décennie 2010 jusqu’à la crise sanitaire, le marché mondial du luxe s’est structuré autour de l’ostentation. Des marques comme Gucci, Balenciaga et Louis Vuitton ont favorisé une esthétique tape-à-l’œil, transformant les montres en véritables trophées sociaux. Cependant, cette tendance du « bling bling » montre des signes d’essoufflement.

Au cours des deux dernières années, une inversion des tendances s’est produite. En Europe, les acheteurs aisés commencent à préférer la discrétion et le « quiet luxury ». Un phénomène similaire se constate en Asie : selon Bain & Company, 60 % des acheteurs chinois s’orientent désormais vers des marques moins visibles, favorisant un style raffiné plutôt qu’éblouissant. Cette évolution sociologique remet en question les stratégies de communication, traditionnellement axées sur la visibilité. Le prestige ne se montre plus, il se suggère. Pour les grandes maisons suisses, cette mutation s’accompagne d’une crise au niveau des relations client. Chez Rolex, par exemple, des vitrines vides et des listes d’attente ont altéré la proximité historique avec leur clientèle. De même, Patek Philippe a entraîné un ressentiment chez certains clients par la mise en place de rendez-vous obligatoires, désormais disparus, pour accéder à une « wishlist ». Audemars Piguet, avec son obsession pour la Royal Oak, a également fait face à des accusations d’arrogance et de saturation. Le lien affectif qui reliait auparavant les marques et les clients s’est érodé. De nombreux acheteurs, ne cherchant plus à spéculer, éprouvent des difficultés à accéder aux modèles qu’ils désirent. Ce paradoxe met en lumière comment les marques qui prônent la fidélité causent frustration chez leurs plus fervents adeptes. Dans un marché mature, l’écoute et le respect du client deviennent des atouts aussi cruciaux que le design. Rolex symbolise à la fois la puissance et la fragilité de ce modèle, dominando le marché de l’occasion, mais risquant la banalisation de son image. Ce qui était autrefois un signe d’excellence est devenu, pour certains, un simple marqueur d’accession sociale.

III. Vers une horlogerie du temps long

Après cette période de frénésie, le marché se réorganise, intégrant à la fois les montres neuves, les modèles certifiés reconditionnés (CPO) et les montres vintage. Selon Grand View Research, le marché des montres d’occasion a atteint 24,4 milliards de dollars en 2023, avec une prévision d’atteindre 45 milliards d’ici 2030, enregistrant une croissance de 9,2 % par an. Deloitte anticipe un doublement des volumes pour ce segment d’ici 2030. Les exportations suisses se stabilisent, avec un léger déclin de 0,1 % au premier semestre 2025, signalant un passage vers une croissance plus qualitative. Les marques doivent repenser leur modèle : l’époque de la rareté artificielle touche à sa fin. Le défi réside désormais dans la restauration de la confiance, redéfinissant la valeur autour du savoir-faire, du service et de la durabilité. Les boutiques doivent devenir des lieux d’expérience, marquant un tournant vers une horlogerie plus authentique et respectueuse du client.

Conclusion

Le secteur horloger se rapproche d’une phase de consolidation. Après la période d’ostentation et de spéculation, un nouvel intérêt pour le sens et la cohérence s’installe. Le marché se professionnalise, les clients prennent du recul, et les marques se doivent de se recentrer sur l’humanisation de leur approche. L’horlogerie suisse, à condition de renouer avec ses valeurs d’exigence et de mesure, pourrait émerger renforcée de cette phase de correction. Dans un monde saturé par l’immédiateté, le véritable luxe devient la mesure du temps.

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