Les puissants liens du secteur maritime grec avec le pétrole russe et la « flotte de l’ombre »
Les puissants liens du secteur maritime grec avec le pétrole russe et la « flotte de l’ombre »

Les puissants liens du secteur maritime grec avec le pétrole russe et la « flotte de l’ombre »

22.08.2025 10:15
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Alors que la « flotte de l’ombre » constitue l’épine dorsale des exportations d’énergie russes, ses principaux clients sont surtout l’Inde et la Chine, et l’UE elle‑même n’est plus un acheteur clé de brut et de produits pétroliers russes, bien qu’il faille souligner que le pétrole russe continue d’entrer sur le marché de l’UE sous forme de produits pétroliers.

Avant l’invasion à grande échelle, la part de la Russie dans les importations de pétrole de l’Inde était inférieure à 1 %, et à ce jour ce chiffre est passé à environ 40 %. Les importations physiques ont atteint environ 1,54 million de barils par jour. Les raffineries indiennes, notamment à Jamnagar et à Vadinar, traitent ce pétrole russe. Les exportations de ces raffineries vers l’UE ont augmenté de 58 %, ce qui indique une hausse significative du volume de produits pétroliers entrant sur le marché de l’UE.

La capacité de la Russie à financer une guerre à grande échelle contre l’Ukraine reste étroitement liée à ses bénéfices provenant des exportations d’énergies fossiles. Un outil clé pour maintenir les exportations est la soi‑disant « flotte de l’ombre », qui permet à la Russie de conserver l’accès aux marchés extérieurs et aussi de dissimuler l’origine du pétrole qui finit par se retrouver sur les marchés européens. Par conséquent, l’UE, tout en réduisant officiellement ses achats directs d’énergie russe, continue de financer indirectement le budget russe, ce qui sape l’efficacité de la politique de sanctions.

Le rôle du secteur maritime grec dans la « flotte de l’ombre » russe moderne a été évoqué dans des travaux d’experts et dans les médias ces derniers mois, mais ces publications sont souvent de nature simplifiée. Cela s’explique par une certaine confusion dans le décompte des navires ayant des propriétaires grecs, des exploitants grecs et battant pavillon grec, ainsi que par les processus de transfert constant de nombreux pétroliers à d’autres propriétaires.

Par exemple, le secteur maritime grec contrôle jusqu’à 28 % de la flotte marchande mondiale, tandis qu’un pourcentage nettement plus faible du tonnage mondial bat pavillon grec, et la part des navires battant pavillon grec contrôlés par des armateurs grecs est d’environ 15 %, ce pavillon étant également utilisé par des propriétaires d’autres pays. Dans le même temps, les pétroliers de grande capacité commandés par des sociétés grecques ont été construits en deux vagues principales, en 2003‑2012 et en 2016‑2022.

Des chercheurs indiquent que, jusqu’en 2022, la flotte grecque était le principal partenaire de la Russie pour le transport de ses ressources : près de la moitié de tout le pétrole russe alors transporté par mer constituait la cargaison de pétroliers d’entreprises grecques. Les principaux partenaires de la Russie étaient des sociétés grecques telles que « Tankers Ltd », « Minerva Marine Inc », « Eastern Mediterranean », « Thenamaris Ships Management », « Tsakos Columbia Ship Management », « Dynagas Ltd », dont chacune exploitait des dizaines de pétroliers. Même dans les premiers mois qui ont suivi le début de l’invasion à grande échelle, plus d’un tiers des transports de pétrole russe étaient assurés par des pétroliers appartenant à des Grecs.

Depuis 2022, les propriétaires grecs ont lancé une campagne de revente de pétroliers de grande capacité qui servaient des cargaisons russes, et d’ici 2024 on comptait au moins 127 de ces navires, pour un total de 3,7 milliards de dollars. Entre autres, des pétroliers ont été vendus depuis 2022 par la société susmentionnée « Thenamaris Ships Management », détenue par Konstantinos et Nikolas Martinos, ainsi que par « Tsakos Energy Navigation », dont le bénéficiaire est Nikolas Tsakos, « Avin International » appartenant à Giorgios Vardinogiannis, « TMS Tankers », dont le bénéficiaire est George Economou, etc.

En mars 2025, les entreprises grecques possèdent plus de 4 000 navires marchands, pour une valeur totale de plus de 150 milliards de dollars, et occupent probablement la première place mondiale en nombre de pétroliers de grande capacité. Parallèlement, le marché du transport de pétrole est encore en croissance et demeure attractif : le coût d’une location à temps (time charter) quotidienne pour un pétrolier Aframax en mer Baltique est passé de 29 000 dollars en mars 2025 à plus de 49 000 dollars en juillet.

Entre autres choses, plus que sous leur propre pavillon, les armateurs grecs exploitent des navires sous les pavillons du Libéria, des Îles Marshall et de Malte, et utilisent également les pavillons de Chypre, des Bahamas, etc. Cela est attesté par les statistiques des expéditions de pétrole en provenance des ports russes de la mer Noire. Par exemple, en mai 2025, pas moins de 33 pétroliers appartenant à des Grecs ont participé à l’exportation maritime de brut kazakh par le Consortium du pipeline de la Caspienne depuis Novorossiïsk, mais seuls 6 d’entre eux utilisaient le pavillon grec, 14 battaient pavillon libérien, 9 pavillon maltais, et 2 chacun pavillon des Bahamas et des Îles Marshall.

Les propriétaires formels de ces pétroliers étaient utilisés selon le principe « un propriétaire – un navire », et n’avaient pas toujours un enregistrement grec, mais les armateurs de ces navires se répétaient. Par exemple, les pétroliers battant pavillon libérien « Delta Atlantica » IMO 9419101, « Delta Blue » IMO 9601235, « Delta Eyrodice » IMO 9700706, « Delta Ios » IMO 9406685, « Delta Kanaris » IMO 9429015, « Delta Mariner » IMO 9579573, « Delta Sky » IMO 9410181, « Delta Spirit » IMO 9419096, étaient exploités par la société athénienne « Delta Tankers Ltd ».

Les pétroliers « Bordeira » IMO 9529499, « Malibu » IMO 9776731, « Nantucket » IMO 9600865, « Samsara » IMO 9792228, « Vilamoura » IMO 9529293 étaient exploités par la société athénienne susmentionnée « TMS Tankers Ltd » ; les pétroliers « Minerva Astra » IMO 9893008, « Minerva Georgia » IMO 9332157, « Minerva Kythnos » IMO 9592252, « Minerva Sophia » IMO 9382762 étaient exploités par la société athénienne susmentionnée « Minerva Marine Inc » ; et les pétroliers battant pavillon grec « Maran Homer » IMO 9761372, « Maran Plato » IMO 9399507 et « Maran Poseidon » IMO 9402926 étaient exploités par la société athénienne « Maran Tankers Management Inc » ; les pétroliers « Eleni » IMO 9432062, « Gladiator » IMO 9378864, « Marathi » IMO 9772357, « MT Samurai » IMO 9378876 étaient exploités par la société athénienne « Dynacom Tankers Management Ltd » ; les pétroliers « Seavision » IMO 9790971, « Seavigour » IMO 9774185 et « Seavoyager » IMO 9318096 étaient exploités par la société athénienne « Thenamaris (Ships Management) Inc », etc.

Il convient d’ajouter d’emblée que la plupart des ports de destination du pétrole supposément kazakh étaient méditerranéens, principalement Trieste et des ports plus petits en Italie, Thessalonique et d’autres ports en Grèce, certains ports turcs et roumains, ainsi que Rotterdam, Le Havre et Fos‑sur‑Mer en France, et Liverpool ; un seul pétrolier détecté en mai a transporté ce pétrole non pas vers l’Europe, mais vers Brunei.

En même temps, des pétroliers grecs transportent non seulement du pétrole kazakh, mais aussi du pétrole et des produits pétroliers russes vers l’Europe, malgré les sanctions ; en mai 2025, il y a eu au moins 10 telles expéditions. Entre autres, se sont « signalés » les pétroliers « Karekare » IMO 9787986, « Hope A » IMO 9282821 et « Mariner A » IMO 9288954 sous pavillon maltais, « Chem Nicholas » IMO 9374416 et « Green Anax » IMO 9927213 sous pavillon libérien, « Safeen Baroness » IMO 9460576 et « Vadela » IMO 9996408 sous pavillon des Îles Marshall, « Duke II » IMO 9254240 sous pavillon panaméen et « MT Dumbledore » IMO 9325611 sous pavillon des Bahamas.

En juin 2025, on a recensé au moins 12 violations de ce type, parmi lesquelles « Chem Helen » IMO 9340116, « Ladybug » IMO 9391385, « Orlando » IMO 9420851 et « Tamara » IMO 9600889 sous pavillon libérien, « Hope A » IMO 9282821, « Lucky Lady » IMO 9288796 et « Nina An » IMO 9451733 sous pavillon maltais, « Conga » IMO 9412000 et « Safeen Baroness » IMCO 9460576 sous pavillon des Îles Marshall, « Aston Marine » IMO 9327437 et « Milou » IMO 9335123 sous pavillon des Bahamas, et « Baron I » IMO 9288370 sous pavillon panaméen. À cet égard, il est remarquable qu’aucun des pétroliers susmentionnés, qui ont transporté du pétrole sanctionné vers des opérations de transbordement et vers certains ports de l’Union européenne, n’ait en réalité utilisé le pavillon grec.

Cependant, des pétroliers grecs transportent du pétrole russe non seulement des ports de la mer Noire vers l’Europe. Par exemple, le pétrolier « Akrisios » IMO 9953456 sous pavillon grec appartenant à la société du Pirée « Capital Ship Management Corp. », qui exploite au total 25 pétroliers, a chargé du pétrole russe en mars 2025 dans le port baltique de Primorsk et l’a livré au port marocain de Témara. Dans le même temps, ce pétrolier est supervisé par un classificateur aussi puissant que l’« American Bureau of Shipping » et était assuré auprès d’une P&I anglaise aussi importante que « Steamship Insurance Management Services ».

Il est remarquable que le capitaine grec de ce voyage, Panagiotis Dedelos, ait auparavant travaillé pour la société susmentionnée « Thenamaris Inc. ». Et le pétrolier « Aldebaran » IMO 9853400 sous pavillon du Libéria, appartenant à une autre société grecque, « Eurotankers Inc », a exécuté en 2025 les contrats de la compagnie pétrolière et gazière publique indienne « Bharat Petroleum Corporation Ltd. » et a transporté du pétrole russe du même port baltique de Primorsk vers le port indien de Mundra. De la même manière, sur commande de cette société, le navire « Ark » numéro IMO 9313486 sous pavillon libérien, appartenant à la société athénienne « International Maritime Shipping S.A. », a transporté du pétrole russe depuis Oust‑Luga.

La société athénienne susmentionnée « Dynacom Tankers Management Ltd » exporte du pétrole russe depuis Novorossiïsk non seulement vers l’Europe ; par exemple, son pétrolier « Agistri » IMO 9597018 sous pavillon libérien a transporté en mai 2025 des produits pétroliers de Novorossiïsk vers le port indien de Mundra, et le pétrolier « Eleni » IMO 9432062, sous pavillon libérien, a transporté 85 500 tonnes de pétrole du port baltique d’Oust‑Luga vers le port indien de Paradip en juillet 2025. De même, un autre pétrolier de cette société, « Skinos » IMO 9800269 sous pavillon libérien, a transporté 82,5 mille tonnes de pétrole russe du même port d’Oust‑Luga en août, étant assuré par le club P&I « NorthStandard EU DAC » situé en Irlande.

Il est à noter que l’équipage du pétrolier « Eleni » sur le voyage correspondant a été formé, entre autres, avec la participation d’agences de recrutement maritimes criméennes contrôlées par la Russie, telles que « Sydyma », et que cette même structure a doté l’équipage du pétrolier « Delta Ocean » numéro IMO 9408475 de la société athénienne susmentionnée « Delta Tankers Ltd ». À cet égard, la coopération étroite et de longue date des agences de recrutement de Crimée avec les compagnies maritimes du magnat grec Panos Laskaridis, telles que « Lavinia Corp », est remarquable.

Les pétroliers de la société athénienne « Kyklades Maritime Corp » transportent également activement du pétrole russe vers des ports indiens, tel que le « Nissos Koufonissi » IMO 9895214 sous pavillon des Îles Marshall, qui, à la fin juillet 2025, a effectué des expéditions de Primorsk, en Baltique, vers Mundra, en Inde. Un autre pétrolier de cette société, le « Nissos Sefiros » IMO 9592264, également sous pavillon des Îles Marshall, a transporté en juillet 2025 du pétrole russe d’Oust‑Luga vers Aliaga, en Turquie.

La société athénienne décrite « Minerva Marine Inc », détenue par Andreas J. Martinos, transporte aussi du pétrole russe non seulement vers des ports et vers les opérations de transbordement de la mer Méditerranée. Par exemple, en août 2025, son pétrolier « Minerva Symphony » IMO 9304605 sous pavillon du Libéria transportait du pétrole de Novorossiïsk vers l’un des ports de l’océan Indien ; son pétrolier « Minevra Grace » IMO 9305855 sous pavillon de Malte suivait une route similaire ; son pétrolier « Minevra Nounou » IMO 9309423, également sous pavillon maltais, a exporté du pétrole russe d’Oust‑Luga vers le port indien de Sika à la fin juillet ; et le pétrolier « Minevra Ellie » IMO 9297321 sous pavillon du Libéria transportait au même moment du pétrole russe d’Oust‑Luga vers Cochin, en Inde, et un autre pétrolier « Minerva Pacifica » IMO 0325831 sous pavillon maltais a été chargé de pétrole russe à Primorsk, en Baltique, en août.

En même temps, d’autres pétroliers de cette société, qui a été séparée de l’entreprise familiale Martinos de la société « Thenamaris Inc », ont transporté du pétrole entre des ports de France, du Canada et des États‑Unis ; il s’agissait des « Minevra Xanthe » IMO 9318010, « Minevra Evropi » IMO 9785237 et « Minevra Zenobia » IMO 9787182, sous pavillons maltais et grec.

Des navires d’une autre société grecque, « Olympic Shipping Management SA », participent également au transport de pétrole russe. Par exemple, le pétrolier « Olympic Flag » IMO 9271341 sous pavillon grec a chargé du pétrole russe dans le port d’Oust‑Luga à la fin juillet et l’a transporté à Paradip, en Inde. D’après les données disponibles, au cours de 2024‑2025, ce navire a effectué au moins cinq transports de pétrole en tant que navire de la « flotte de l’ombre » de la Russie depuis les ports d’Oust‑Luga et de Primorsk vers des ports indiens, alors même qu’il possède des certificats d’assurance du club d’assurance norvégien P&I « Gard » et ne figure pas sur les listes de sanctions.

Compte tenu de ce qui précède, on peut conclure que la Russie utilise de manière systématique les services des compagnies maritimes grecques pour transporter le pétrole. L’importateur du pétrole dans ces cas est principalement l’Inde, ainsi que d’autres juridictions, notamment en recourant à des opérations de transbordement au mouillage extrêmement dangereuses pour l’environnement et la sécurité maritime.

Le secteur maritime grec aide de facto la Russie à recevoir des revenus qui financent la guerre contre l’Ukraine. Les entreprises européennes devraient éviter de participer au commerce du pétrole russe, car de telles activités peuvent nuire aux relations UE‑États‑Unis et réduire à néant les mesures collectives de pression par les sanctions sur le secteur énergétique russe face à la menace existentielle qui pèse sur l’Europe, notamment en réduisant la dépendance aux exportations de pétrole et de gaz du pays agresseur.

Pour résoudre ce problème, les juridictions maritimes civilisées devraient mettre en œuvre une approche globale : neutraliser la « flotte de l’ombre » en interdisant l’accès aux ports et l’assurance, contrôler le contournement des sanctions par un suivi transparent, fermer les failles liées à la réexportation via des pays tiers, élargir les exigences de certification pour les importateurs, assurer un rejet complet des vecteurs énergétiques russes, moderniser les infrastructures et accélérer la transition verte.

Dans le même temps, il est nécessaire de renforcer le contrôle douanier et d’introduire des technologies numériques, y compris la blockchain, pour la traçabilité des approvisionnements énergétiques. Cela permettra à tous les pays démocratiques du monde, y compris les pays européens, de minimiser leur dépendance aux ressources russes, de renforcer la sécurité énergétique et de contrer le financement de la machine de guerre russe.

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