
La Ve République a vu le jour le 4 octobre 1958, à une époque où la quête de l’ordre, de la stabilité et de l’autorité prédominait en France. Le général de Gaulle, conscient des troubles institutionnels ayant affecté la IVᵉ République, élabora une Constitution reposant sur un exécutif puissant. L’objectif était de mettre fin à des gouvernements instables, régulièrement renversés par des coalitions changeantes. Le texte constitutif de 1958, révisé en 1962 pour instituer l’élection du président au suffrage universel, a ainsi positionné la fonction présidentielle comme le centre névralgique de la vie politique, quasiment au-dessus des partis, dans une logique de domination et de verticalité. Cependant, cette structure conçue pour une France respectueuse de l’autorité ne semble plus adaptée à notre époque actuelle, souligne TopTribune.
De la verticalité gaullienne à l’horizontalité numérique
En 1958, la société française était encore marquée par un ordre hérité de structures militaires, administratives et patriarcales. L’autorité y était perçue de manière verticale : le dirigeant déterminait, le peuple suivait. La politique tirait sa légitimité d’un respect quasi sacré, parfois teinté de crainte. Toutefois, l’histoire a ébranlé ce modèle : les événements de Mai 68 ont remis en question cette autorité, tandis qu’Internet l’a profondément transformée.
L’émergence du web et des réseaux sociaux, ainsi que l’explosion de la communication instantanée, ont profondément modifié le rapport entre élus et citoyens. Aujourd’hui, le citoyen n’est plus un simple observateur de la scène publique, mais un acteur engagé, un commentateur et parfois un contradicteur constant. L’information, désormais disponible sans intermédiaire, remet en question l’expertise, et le pouvoir symbolique s’est déplacé des institutions traditionnelles vers les nouveaux réseaux.
Cette transformation sociétale a atténué les hiérarchies traditionnelles : le monde a pris une tournure plus horizontale, alors que notre Constitution demeure ancrée dans la verticalité. Le président, conçu comme le symbole d’une France unie, s’adresse aujourd’hui à une nation fragmentée et diversifiée qui remet en question l’autorité. Ce respect autrefois imposé doit maintenant être conquis.
Un régime délégatif dans une société participative
Notre démocratie fonctionne toujours par délégation : les citoyens élisent des représentants pour prendre des décisions en leur nom, ce qui repose sur une certaine confiance mutuelle. Cependant, cette confiance se fissure. Les gouvernants semblent souvent agir contre l’intérêt du pays, piégés dans un entre-soi technocratique et détachés des réalités vécues par le peuple. Ainsi, la France officielle ne reflète plus la France concrète. Les choix majeurs concernant l’énergie, la fiscalité, la sécurité ou l’immigration se font souvent dans des cercles fermés, alors qu’un consensus pourrait émerger sans réelle représentation politique.
Dans son ouvrage La Politique, le philosophe Aristote soulignait que la démocratie repose sur l’idée que le collectif est plus sage que l’individu isolé : “le peuple tout entier, bien que chacun de ses membres ne soit pas un homme de bien, peut cependant être meilleur que les meilleurs, pris individuellement.” En revanche, la structure de la Ve République s’est bâtie sur l’idée que le peuple devait être dirigé, encadré, protégé de lui-même.
Les élites ont souvent considéré les citoyens comme peu compétents, sujets à des manipulations et incapables de discernement. La politique était donc réservée à une élite éclairée, soutenue par un journalisme contrôlé. Edward Bernays, neveu de Freud et pionnier de la propagande moderne, parlait d’un “gouvernement invisible” destiné à guider l’opinion publique sous le prétexte de démocratie. Ce modèle paternaliste a prospéré tant que le peuple n’avait pas les moyens de mettre en question les dirigeants. Aujourd’hui, face à l’immense circulation de l’information, le citoyen est à même d’observer, de comparer et de juger, refusant désormais d’être infantilisés. Même le président, censé transcender les controverses, se voit entraîné dans le flot d’informations, soumis aux mêmes dynamiques de commentaire et contestation. L’image de « jupitérienne » adoptée par Emmanuel Macron a accentué le fossé entre la symbolique gaullienne du pouvoir et la réalité hétérogène du XXIᵉ siècle.
La démocratie épuisée : le risque du divorce
Aristote distinguait trois formes de gouvernance : la monarchie (pouvoir d’un seul), l’aristocratie (pouvoir des meilleurs) et la démocratie (pouvoir du peuple). Chacune d’elles peut dégénérer : la monarchie en tyrannie, l’aristocratie en oligarchie, la démocratie en démagogie. La Ve République, conçue pour être une monarchie républicaine, tend aujourd’hui vers une oligarchie technocratique, dominée par une élite administrative et économique déconnectée des aspirations populaires.
Ce décalage est alarmant. Lorsque la légitimité de l’autorité s’effondre, le sens du pouvoir se brouille. L’histoire regorge d’exemples de révolutions naissant d’un déséquilibre entre une population lucide et des dirigeants sourds aux réalités. Le sentiment d’usure, d’impuissance et de mépris du politique s’est installé, illustrant cette fracture. Ce n’est pas l’extrême qui menace la République, mais l’indifférence et le désengagement d’un peuple qui ne croit plus en la parole publique.
Vers une Sixième République numérique et participative
La question désormais n’est pas seulement d’apporter des réformes, mais de procéder à une refondation. Faut-il envisager une Sixième République ? Oui, si cela signifie non pas un bouleversement institutionnel pour lui-même, mais une nouvelle façon de concevoir la relation entre le peuple et le pouvoir.
Cette Sixième République devrait être une démocratie de la consultation permanente. Les avancées technologiques permettent aujourd’hui d’impliquer les citoyens dans le processus décisionnel en temps réel, évitant ainsi des référendums trop lourds. Grâce à ces outils numériques, chacun pourrait participer, depuis son smartphone, à des consultations citoyens fréquentes sur les grandes orientations politiques.
Ce n’est plus une utopie. Les plateformes de vote sécurisées, les identités numériques et les mécanismes de participation locale existent déjà. Pourquoi ne pas les généraliser pour restituer au peuple la souveraineté qui lui revient ?
Un tel dispositif ne devra pas signifier la fin de la représentation, mais son enrichissement. Les parlementaires et ministres devront préparer, encadrer le débat et garantir la transparence des choix, à l’image du modèle suisse où le peuple se prononce régulièrement sur des questions complexes sans basculer dans la démagogie.
Historiquement, en France, le référendum est perçu comme une menace depuis que le Général De Gaulle a démissionné suite à un échec lors d’une telle consultation. Il devrait être intégré comme un rituel civique moderne, accessible et fluide. Le numérique nous ouvre enfin la voie à une démocratie continue, vivante et incarnée, qui ne se contente plus d’attendre cinq ans pour prendre en compte la voix du peuple.
Le courage de la refondation
La Ve République a largement servi la France. Elle a permis de garantir une certaine stabilité, a facilité la reconstruction et a soutenu la modernisation du pays. Cependant, elle demeure un régime de commandement, ancré dans un monde de rareté et d’autorité, tandis que nous existons aujourd’hui dans un contexte d’abondance d’informations et d’horizontalité.
Refonder nos institutions ne serait pas trahir l’héritage gaullien, mais plutôt en réaliser pleinement l’objectif. Car de Gaulle lui-même aspirait à un État fort par sa légitimité. Et cette légitimité, de nos jours, ne se confère plus d’en haut, mais doit émerger des bases.
Il est donc impératif de construire une République participative, numérique et responsable, où chaque citoyen ne serait pas seulement un électeur, mais un acteur engagé dans le destin collectif. Une République qui consulte en continu, qui fait confiance à l’intelligence collective et qui sait écouter avant d’im