JO de Paris 2024 : que va-t-il rester de la ferveur populaire de ces deux semaines "enchantées" ?
JO de Paris 2024 : que va-t-il rester de la ferveur populaire de ces deux semaines "enchantées" ?

JO de Paris 2024 : que va-t-il rester de la ferveur populaire de ces deux semaines « enchantées » ?

12.08.2024
8 min de lecture

Alors que la quinzaine a été marquée par un engouement rarement observé, des décors de carte postale et une organisation sans faille, se pose déjà la question de l’héritage et de l’après.

Une parenthèse enchantée. Un instant de concorde nationale. Un succès populaire indéniable. Les termes et les qualificatifs employés changent parfois en fonction des témoins privilégiés de ces Jeux olympiques. Mais l’idée reste peu ou prou la même quand ils tentent de décrire cette folle quinzaine, à Paris comme dans les villes où se sont déroulées des épreuves. Après des mois d’agitation politique et sociale, la France a offert au monde un nouveau visage. Celui d’un pays qui s’égosille sur Que je t’aime, qui maîtrise les règles du basket 3×3 et du rugby à 7, qui monte sur des lampadaires pour apercevoir la flamme et qui embrasse la Phryge, cette mascotte rutilante, devenue dans l’irrationalité générale un symbole de fête et de liberté. Reste désormais à savoir quand aura lieu le retour à la dure réalité. Dès ce lundi 12 août, premier jour sans épreuve ?

« On l’attendait, cette ferveur. On l’espérait. Pour qu’un événement comme celui-là soit réussi, il faut une bonne organisation, des médailles et une adhésion de la population. » La recette est délivrée par Jean-François Lamour, avec sa double casquette d’ancien champion olympique et de ministre des Sports. Il salue le travail accompli en deux semaines au sortir de deux campagnes électorales. « Trois semaines avant, on se déchirait. Maintenant, on est fiers de la France, rassemblés derrière le drapeau », appuie Nicole Abar, ex-footballeuse internationale des années 1960 et présidente de l’association Liberté aux joueuses. En quelques heures, le 26 juillet, la cérémonie d’ouverture, menée par Thomas Jolly malgré les éléments déchaînés, et conclue en apothéose par Céline Dion, a fait (presque) taire les critiques et les grincheux.

La suite de la quinzaine allait être du même acabit. Les transports tiennent le choc, comme les stars françaises. Un élément clé, poursuit Jean-François Lamour : « Si ça avait été un échec criant pour les Bleus, vous n’auriez pas ressenti la même ferveur », appuie celui qui murmurait à l’oreille du président pendant la Coupe du monde 1998. Même les hangars sans âme du Parc des expositions de la porte de Versailles se sont transformés en chaudrons sous l’impulsion des frères Lebrun, quand le beach-volley sous la tour Eiffel ou l’escrime au Grand Palais ont eu droit à des décors de carte postale.

« Un ovni qui est arrivé sur la France »

La barre a été placée très haut. Mais tous les publics en ont-ils profité ? « Même si les catégories populaires n’étaient pas dans les tribunes, elles étaient quand même là », veut croire l’ancien président de la République François Hollande, artisan de la candidature parisienne pendant son mandat. Les audiences olympiques tout au long de la quinzaine le rappellent. « Il y avait six millions de téléspectateurs à 10 heures pour la médaille de Félix Lebrun ! » s’émerveille Gilles Erb, président de la Fédération française de tennis de table. « Pour du ping-pong ! » Les Français ont même appris qu’il fallait dire « ping » désormais.

Les supporters français encouragent les escrimeurs lors des Jeux de Paris, sous la verrière du Grand Palais, le 28 juillet 2024. 

Inévitablement, la comparaison s’impose entre l’engouement autour de Paris 2024 et celui qui a accompagné la bande à Aimé Jacquet. « France 98, c’était encore plus fort, niveau euphorie. Personne n’a défilé sur les Champs-Elysées pour fêter les titres de Léon Marchand ou Teddy Riner », assure Julien, un des (nombreux) supporters français à pointer cette différence. Culturellement, ce n’est pas dans les us et coutumes olympiques, même si une parade est prévue le 14 septembre avec tous les athlètes. Et même si le Club France avait tous les soirs des allures de plus belle avenue du monde un 12 juillet 1998.

« Ce public qui n’avait pas de place mais qui cherchait à soutenir de près ou de loin les athlètes français » a malgré tout frappé François Hollande. « Il y avait exactement la même ferveur, cette volonté de partage en 1998 », appuie Jean-François Lamour, assis juste au-dessus de Jacques Chirac le soir de France-Brésil. Un enthousiasme plus large, qui touche plus de monde, nuance la sociologue Béatrice Barbusse : « Des sports et des sensibilités différentes, plus de nations… Sans oublier qu’il y a aussi les femmes aux JO. »

Un avis que partage Stéphane Diagana, champion du monde du 400 m haies en 1997 et consultant pour France Télévisions en athlétisme. « Ces JO, c’est un ovni qui est arrivé sur la France. Du jamais-vu. Je pense que c’est plus fort que 98 », assure-t-il. « Les supporters ont aussi découvert une autre relation à l’adversaire et aux sports, avec un côté très bon enfant. » De fait, aucun acte de hooliganisme n’a été recensé pendant la quinzaine, contrairement à ce qui s’était produit au Mondial 98 ou à l’Euro 2016, dans l’Hexagone.

« Quelque chose s’est passé »

Prenez Limoges et son image de ville assoupie. « Il n’y avait pas de liesse dans la rue, c’était plutôt chacun chez soi, illustre Sylvie Rozette, adjointe au maire de la ville. Mais cette ferveur était là. Elle s’exprime différemment, autour d’un pays plus que d’une équipe, contrairement au Mondial de foot. » Autre son de cloche à Châteauroux, 43 000 âmes, qui a accueilli les épreuves de tir. « D’habitude, on a l’impression d’être en dehors des radars, constate Gil Avérous, l’édile castelroussin. Ces Jeux ont prouvé que des choses pouvaient se passer dans des villes moyennes. L’ambiance au tir n’avait rien à envier aux salles parisiennes ! » Une syllabe plus loin, Châteaudun a elle aussi eu l’impression de participer à l’aventure. « Depuis le passage de la flamme, on a baigné dans cette folie », s’émeut le maire Fabien Verdier. Les trois mois de barnum à sillonner la France ont payé. « Quelque chose s’est passé. »

Le surfeur français Kauli Vaast fête son titre olympique en compagnie des supporters au Parc des champions, installé au Trocadéro, le 9 août 2024. 

Il y aura donc un avant et après. « Ces images d’un Paris, ville patrimoine, à nouveau vivant, lors de la cérémonie d’ouverture ou lors des compétitions sportives, font du bien aux Français. Paris est toujours debout, vibrant. C’est toujours le laboratoire d’un ‘nous’, riche du monde présent ici, et enrichissant le monde », s’enflamme Damien Gabriac, un des auteurs de la cérémonie d’ouverture. Des images qui vont rester, veut croire Anne Hidalgo.

« Il ne s’agit pas d’une parenthèse enchantée, c’est le résultat de dix ans de travail, avec un héritage pour les 20 prochaines années. »Anne Hidalgo, maire de Paris

à franceinfo

Un héritage et des promesses, dont la baignabilité des eaux de la Seine, cheval de bataille des politiques prêts à tous les ploufs en mondovision. A ce jour, rien ne prouve pourtant encore que les Parisiens pourront y barboter à l’été 2025, comme promis. Sur le plus long terme, les multiples opérations portes ouvertes et autres initiations d’enfants aux sports olympiques feront peut-être naître des vocations, espère Mélina Robert-Michon, porte-drapeau de la cérémonie d’ouverture : « J’espère que ça a changé l’été de nombreux gamins, et que, de fil en aiguille, ça leur changera la vie ! »

« Les émotions vont se diluer petit à petit »

Reste à savoir quand arrivera l’après. « Ça a fait du bien de ne plus avoir de voix, de chanter et de sourire avec des gens qu’on ne connaît pas. Mais après les Jeux, il y aura un grand vide et les enjeux de société seront toujours les mêmes », prophétise la sociologue Béatrice BarbusseFrançois Hollande abonde : « Il y aura sûrement un regain de confiance. Les gouvernants en tireront profit, un temps. Car ça ne dure qu’un temps. »

Le contexte politique et social s’y prête d’autant moins. Le sociologue Patrick Mignon s’interroge sur la manière dont le pouvoir va tenter de surfer sur cette vague, au-delà de la parade du 14 septembre. « On va vite entrer dans le dur. Les émotions des JO vont se diluer petit à petit. Il y a eu une propagation du sentiment de fierté nationale. Mais sur la durée, non, il faut être réaliste. » L’absence de gouvernement, la question du budget, du pouvoir d’achat, de l’immigration ou de l’insécurité devraient vite reprendre le dessus, selon lui.

Pour le touriste aussi, l’après pourrait commencer très vite. « Là, les étrangers étaient agréablement surpris par les Français, mais les Parisiens étaient partis. C’est pendant les paras qu’on va voir ce qu’il en est vraiment, si l’esprit des Jeux a vraiment changé quelque chose », témoigne Nicolas, un volontaire.

« Ça fait partie de notre histoire »

A priori, personne ne visitera Paris pour prendre en photo les vestiges des sites olympiques. Ils n’existent pas ou presque. La promesse de Paris 2024, avec le minimum d’infrastructures bâties pour l’occasion, ne transformera pas durablement le paysage. Sauf en Seine-Saint-Denis veut croire le président du département, Stéphane Troussel.

« Dans dix ans, quand un touriste viendra voir la trace laissée par les Jeux olympiques, il n’ira pas sous la tour Eiffel ou sur le champ de Mars, car tout aura été démonté. »Stéphane Troussel, président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis

à franceinfo

Et de continuer : « Il ira au Stade de France, à la piscine olympique, au village des athlètes ou des médias… »

Sinon, les souvenirs dormiront peut-être au fond d’un placard. Moquées pendant deux ans, les Phryges, mascottes de l’événement, ont connu un étonnant retour de la flamme pendant la compétition. « C’est un produit qui va resterd’héritage, un symbole qui a marqué le monde », assure Alain Joly, président de la société Doudou et compagnie, un des deux fabricants des produits dérivés, forcément partisan. Peut-être que Los Angeles 2028, Brisbane 2032 et la ville qui décrochera le gros lot en 2036 s’inspireront de la « french touch » qui a égayé la quinzaine. Au rayon des idées appréciées : la cloche, le selfie sur le podium, les trois coups avant chaque épreuve.

Les joueurs de l’équipe de France de rugby à VII, emmenés par Antoine Dupont, sonnent la cloche du Stade de France, le 27 juillet 2024.

Reste enfin ces détails qui aideront certains à lutter contre le blues post-JO. Mathilde, une Vendéenne de 33 ans, a déjà changé la musique de son réveil pour mettre l’hymne des JO : « Mon copain trouve ça ridicule et cucul. Pas moi : j’ai aimé ces Jeux et je veux que ça se prolonge. » Nathalie, qui a emmené son fils voir de l’escrime au Grand Palais, a déjà prévu de lui reparler régulièrement de ce que « le pays a vécu à l‘été 2024. Ça fait désormais partie de notre histoire. Il est trop jeune pour comprendre. Mais j’espère qu’il gardera des images pour plus tard. » Comme nous l’a martelé Johnny Hallyday, le roi de la bande-son de la quinzaine, on a désormais tous en nous quelque chose des Jeux de Paris.

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