Alors que les comptes publics sont dans le rouge, Michel Barnier a ouvert la porte à une hausse des impôts pour « les plus aisés » et pour « les grandes entreprises ».
Michel Barnier compte sur les plus aisés pour redresser les finances publiques. Le Premier ministre, qui avait dit vouloir plus de « justice fiscale » lors de sa nomination, a affirmé dimanche 22 septembre sur France 2 « ne pas exclure que les personnes les plus fortunées participent à l’effort national ». Selon le chef du gouvernement, cet effort pourrait se faire via des « prélèvements ciblés » pour les contribuables mais aussi pour « certaines grandes entreprises ».
Une rupture avec la politique fiscale d’Emmanuel Macron jusqu’ici. Dans un rapport publié en juillet, la Cour des comptes estimait ainsi que « la période 2018-2023 [avait] été marquée par d’importantes baisses d’impôts, dont l’impact est estimé à 62 milliards d’euros en 2023″. Des baisses d’impôts qui ont participé « à la dégradation du déficit public », avec un déficit public qui pourrait atteindre 5,6% du PIB cette année et qui vaut à la France une procédure de Bruxelles pour déficit excessif.
Si le Premier ministre n’a pas précisé quelles mesures et quels impôts pourraient être visés, il a affirmé qu’il ne voulait pas « alourdir encore l’impôt sur l’ensemble des Français », en excluant de fait « les plus modestes », « ceux qui travaillent » et les « classes moyennes ». Alors que le sujet est explosif, Michel Barnier dispose de plusieurs leviers, de l’impôt sur les sociétés à la « Flat tax » en passant par l’impôt sur le revenu pour les plus hautes tranches. Des pistes que Bercy, interrogé par franceinfo, n’a pas commentées.
Augmenter l’impôt sur les sociétés
Pour résorber le déficit, Michel Barnier a évoqué la participation accrue de certaines grandes entreprises, qui ont bénéficié de plusieurs réformes sur la fiscalité du capital depuis 2017 et l’élection d’Emmanuel Macron. Le taux de l’impôt sur les sociétés, prélevé sur les bénéfices des entreprises, est ainsi passé de 33,3% en 2017 à 25% en 2022. Dans une note publiée sur le site de la Cour des comptes, cette mesure aurait coûté 11 milliards d’euros pour l’année 2022.
Sur France 2, Michel Barnier n’a pas écarté une augmentation de l’impôt sur les sociétés pour les plus grosses entreprises, alors que le mécanisme a rapporté 58,5 milliards d’euros à l’Etat en 2023, selon la Direction générale des finances publiques. Pour l’économiste Mathieu Plane, cette hausse pourrait prendre la forme d’« une surtaxe exceptionnelle à partir d’un certain niveau de bénéfices, une forme de taux d’imposition progressif ».
« Il faudra aussi savoir si cela sera pérenne ou pas », remarque le directeur adjoint du département Analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), alors que la France va devoir faire des dizaines de milliards d’économies sur plusieurs années pour espérer ramener son déficit sous les 3% du PIB en 2027, comme elle l’ambitionne.
Geler le barème de l’impôt sur le revenu
Alors que le barème de l’impôt sur le revenu évolue chaque année pour tenir compte de l’inflation – le gouvernement n’y a renoncé qu’en 2012 et 2013 – le gouvernement de Michel Barnier étudie la possibilité de le geler, selon La Tribune et Les Echos. Autrement dit, de le désindexer de l’inflation et de ne plus intégrer la hausse des prix dans le calcul de l’imposition. Ce qui entraînerait mécaniquement une hausse de la pression fiscale.
D’après Les Echos, ce gel du barème pourrait seulement concerner les ménages plus riches, dont le taux d’imposition est de 41% et 45% (voire ceux à 30%). « Si les salaires augmentent mais que les taux restent fixes, les ménages seront plus taxés. C’est une piste technique et invisible », explique Simon-Pierre Sengayrac, économiste à la Fondation Jean-Jaurès. Ce dernier estime que la mesure rapporterait entre 1 et 4 milliards d’euros de recettes fiscales à l’Etat en 2025 selon les tranches concernées, sur la base d’une inflation moyenne à 1,7%.
Relever le taux de la « Flat tax »
Mise en place en 2018, la « Flat tax » est un prélèvement forfaitaire unique de 30% sur les revenus du capital (revenus de capitaux mobiliers, dividendes, revenus fonciers…). Elle vise à diminuer l’impôt payé par les contribuables les plus aisés afin de les pousser à investir dans l’économie. Dans le précédent système, la taxation totale des contribuables les plus aisés pouvait atteindre 60,5%.
Plutôt qu’une suppression, un relèvement de « Flat tax » pourrait être envisagée par le gouvernement. Selon le rapport économique social et financier annexé au projet de loi de finances pour 2022, sa mise en place en 2018 a coûté 1,8 milliard d’euros à l’Etat. De son côté, l’Institut Montaigne (un think thank libéral) avait estimé que la suppression de la « Flat tax » proposée par le Nouveau Front populaire pourrait rapporter entre 3,2 et 3,6 milliards par an.
« Sa suppression apporterait un gain assez faible », nuance Mathieu Plane, qui imagine plutôt un relèvement de cet impôt de 30 à 35%. Une mesure qui pourrait rapporter « quelques centaines de millions, voire un peu plus selon les ordres de grandeur ».
Trouver d’autres solutions
Alors que la facture d’électricité des Français devrait baisser de 10% en 2025 en raison du repli du prix de l’électricité sur le marché de gros, le gouvernement pourrait relever la taxe intérieure de consommation finale sur l’électricité. Cet impôt avait été fortement réduit au plus fort de la crise énergétique en 2022 (jusqu’à atteindre seulement 1 euro le MWh). En février 2024, il avait été relevé à 21 euros/MWh en février 2024. Avant la crise, la TICFE s’élevait à 32,44 euros/MWh. Dans un avis pour le projet de loi de finances pour 2023, le député Philippe Bolo (MoDem) estimait que cette baisse avait représenté « un manque à gagner de 8 milliards d’euros pour l’Etat ».
Parmi les pistes d’économies, Mathieu Plane et Simon-Pierre Sengayrac évoquent également les crédits d’impôt (des sommes soustraites du montant de l’impôt), notamment le crédit d’impôt recherche (CIR). Un mécanisme pensé pour favoriser les efforts de recherche et d’innovation des entreprises, que certains considèrent comme une « niche fiscale » qui bénéficie beaucoup aux grandes entreprises.
Enfin, Michel Barnier pourrait-il être tenté de rétablir l’impôt sur la fortune (ISF), qui avait été remplacé en 2018 par l’impôt sur la fortune immobilière (IFI) ? Un rapport de France Stratégie publié en 2023 estimait qu’« en 2022, le coût budgétaire du remplacement de l’ISF par l’IFI serait vraisemblablement supérieur à 4 milliards d’euros ».