Guerre en Ukraine : pourquoi l'appel de Donald Trump est "une très belle concession" à Vladimir Poutine
Guerre en Ukraine : pourquoi l'appel de Donald Trump est "une très belle concession" à Vladimir Poutine

Guerre en Ukraine : pourquoi l’appel de Donald Trump est « une très belle concession » à Vladimir Poutine

14.02.2025
6 min de lecture

Les présidents américain et russe ont échangé au sujet du conflit. Ils souhaitent lancer des négociations « immédiates » en vue d’un cessez-le-feu.

Des négociations de « paix », mais à quel prix ? Près de trois ans après le début de la guerre en Ukraine, le Kremlin a affirmé, jeudi 13 février, souhaiter la tenue « assez rapidement » d’une rencontre entre Vladimir Poutine et son homologue américain Donald Trump au lendemain d’un échange téléphonique entre les deux présidents. Une « conversation prolongée et très productive », selon les mots du président des Etats-Unis, visant à lancer des négociations « immédiates » pour mettre fin aux hostilités.

« Il viendra ici, et j’irai là-bas, et nous nous verrons probablement en Arabie saoudite la première fois », a précisé devant des journalistes Donald Trump à la Maison Blanche, évoquant un cessez-le-feu « dans un futur pas si lointain » en Ukraine. Cet appel entre l’autocrate russe et le chef d’Etat populiste américain marque une rupture dans la réponse des Etats-Unis au conflit. Un tournant notable, qui pourrait bien bénéficier à la Russie.

Aux Etats-Unis, le sénateur démocrate Adam Schiff n’a pas manqué de fustiger la main tendue de Donald Trump à Vladimir Poutine, pointe Politico(Nouvelle fenêtre). « Ne mâchons pas nos mots sur ce que cela représente : une capitulation des intérêts de l’Ukraine et des nôtres, avant même le début des négociations », a-t-il dénoncé, qualifiant le président républicain de « grand négociateur − pour le Kremlin »

Vladimir Poutine redevenu « fréquentable »

A Moscou, la réaction a été plus chaleureuse, avec l’ancien président Dmitri Medvedev qui a salué un appel « très important en soi », après trois années de condamnations sans faille de l’invasion russe. Pour le député russe Léonid Sloutski, la discussion entre Donald Trump et Vladimir Poutine a « brisé le blocus antirusse de l’Occident et lancé le processus de dégel » des relations entre les deux pays.

Depuis février 2022, Vladimir Poutine est en effet « persona non grata dans les négociations internationales », rappelle l’analyste Ulrich Bounat, auteur de La guerre hybride en Ukraine : quelles perspectives ?« Discuter directement avec lui, c’est le relégitimer. Encore plus si Donald Trump le rencontre. Il redevient un dirigeant fréquentable », note-t-il.

« Le fait que Donald Trump appelle Vladimir Poutine et parle de se rencontrer, c’est déjà une très belle concession. C’est un retour en grâce express du président russe. »Ulrich Bounat, spécialiste de la guerre en Ukraine

à franceinfo

Comme le souligne le chercheur, l’autocrate russe « a toujours souhaité revenir au temps de la Guerre froide où la Russie parlait d’égal à égal avec les Etats-Unis ». Avec cet appel et la promesse d’une rencontre prochaine, « c’est exactement ce que lui offre Donald Trump ».

Cet échange montre en outre, de l’avis du spécialiste, « une volonté de régler la guerre en Ukraine et l’architecture de sécurité européenne entre grands pays ». Donald Trump et Vladimir Poutine partagent une « vision commune » de la diplomatie selon laquelle « les grands pays doivent décider et les autres s’exécuter », estime Ulrich Bounat. Lundi, le président américain a d’ailleurs déclaré que les Ukrainiens « pourraient être Russes un jour, comme ils pourraient ne pas être Russes un jour », lors d’un entretien à la chaîne conservatrice Fox News.

Quelle place pour Kiev dans les négociations ?

Donald Trump a rapidement appelé Volodymyr Zelensky mercredi, dans la foulée de sa discussion avec Vladimir Poutine. « Nous avons longuement parlé des possibilités de parvenir à la paix », a déclaré le président ukrainien, affirmant que le milliardaire républicain lui avait fait part des « détails de sa conversation » avec l’autocrate russeL’ordre des discussions – d’abord Moscou, puis Kiev – n’a toutefois pas été « très agréable », a convenu Volodymyr Zelensky, ajoutant que Donald Trump voulait « parler » aux « deux présidents en même temps ». Selon le président ukrainien, les réunions avec les Etats-Unis sont « la priorité » et « ce n’est qu’après l’élaboration d’un plan pour arrêter Poutine que je pense qu’il sera juste de parler aux Russes ».

Le Kremlin assure de son côté que Kiev participera aux pourparlers de paix, « d’une manière ou d’une autre ». Mais avec une communication relancée entre le Kremlin et la Maison Blanche, une mise à l’écart de Kiev n’est-elle pas à craindre dans les négociations ? « Tout le monde attendait la conférence de Munich sur la sécurité » organisée vendredi, et notamment un échange entre Volodymyr Zelensky, le vice-président américain J.D. Vance et le secrétaire d’Etat américain Marco Rubio, pointe Ulrich Bounat. « Trump court-circuite ce planning initial, avec une discussion directement avec Poutine. » 

« Le risque est extrêmement élevé que Donald Trump prenne des décisions sans vraiment consulter les Ukrainiens, et place tout le monde devant le fait accompli. Plus Trump et Poutine se parleront, plus ce risque sera élevé. »Ulrich Bounat, spécialiste de la guerre en Ukraine

à franceinfo

A l’instar de Kiev, les alliés européens de l’Ukraine craignent à leur tour d’être tenus à l’écart des discussions en vue d’un cessez-le-feu – encore plus depuis l’appel américain au Kremlin. « L’Ukraine et l’Europe doivent participer à toute négociation. (…) Nous souhaitons échanger sur la voie à suivre avec nos alliés américains », ont-ils insisté dans un communiqué commun, rédigé mercredi soir, à la suite d’une réunion entre six chefs de la diplomatie européens et leur homologue ukrainien.

L’UE forcée de s’imposer

« Il ne peut pas y avoir de paix durable sans les Ukrainiens et sans les Européens », a insisté Benjamin Haddad, le ministre délégué chargé de l’Europe, sur franceinfo. « Aucun accord conclu dans notre dos ne fonctionnera. Toute solution rapide est un sale accord », a appuyé Kaja Kallas, la cheffe de la diplomatie européenne, fustigeant une « stratégie de l’apaisement » similaire à celle de 1938 face à l’Allemagne nazie.

Pour Ulrich Bounat, la réaction européenne sera cruciale face aux négociations qui pourraient débuter entre Washington et Moscou. « Si l’on reste sur des considérations verbales, en disant simplement : ‘Nous voulons avoir voix au chapitre’, il est clair que cela ira vite et que cela se passera sans nous », avance le chercheur. Le risque, poursuit-il, est celui d’une « vassalisation de l’Europe, réduite à assurer le service après-vente d’un accord entre Washington et Moscou ». Et sans ces « voix au chapitre » ukrainiennes et européennes, le risque est que ces négociations bénéficient davantage à la Russie.

Le nouveau ministre américain de la Défense, Pete Hegseth, a rappelé mercredi à Bruxelles la vision de l’administration Trump pour « une paix durable » en Ukraine. « Un retour aux frontières ukrainiennes d’avant 2014 est un objectif irréaliste » et « les Etats-Unis ne considèrent pas que l’adhésion de l’Ukraine à l’Otan soit une issue réaliste à un accord négocié », a prévenu l’ancien présentateur de Fox News, cité par Le Grand Continent(Nouvelle fenêtre). Tout en appelant à « des garanties de sécurité robustes pour empêcher la reprise du conflit », le chef du Pentagone a souligné que « la protection de la sécurité européenne doit être une priorité pour les membres européens de l’Otan »« Les Etats-Unis ne peuvent plus être principalement concentrés sur la sécurité de l’Europe », a-t-il poursuivi.

Un cessez-le-feu coûte que coûte

Des propos esquissant un futur désengagement américain, à l’encontre des demandes ukrainiennes. « Des garanties de sécurité sans les Etats-Unis ne sont pas de vraies garanties de sécurité », a prévenu Volodymyr Zelensky dans un entretien au Guardian(Nouvelle fenêtre)Le président ukrainien plaide également pour une adhésion « pleine et entière » de son pays à l’Otan, à ses yeux la « seule véritable garantie de sécurité ». « Les Ukrainiens et les Européens ont conscience de l’impact possible des concessions faites à Moscou. Donald Trump est beaucoup moins intéressé par l’avenir sécuritaire de l’Europe, relève Ulrich Bounat. Pour lui, la seule chose qui compte est d’arrêter cette guerre, quel qu’en soit le coût. »

« Donald Trump pourrait être prêt à céder beaucoup de choses, simplement pour avoir un cessez-le-feu. Cette posture, c’est ce que le Kremlin attend. »Ulrich Bounat, spécialiste de la guerre en Ukraine

à franceinfo

Face à une Russie confortée par un possible désengagement des Etats-Unis, Bruxelles doit « faire front commun avec les Ukrainiens », pointe Ulrich Bounat. L’Union européenne devrait à ses yeux proposer « un plan suffisamment intéressant pour Washington », notamment « d’un point de vue financier ». Les pays européens pourraient s’engager à augmenter leurs dépenses en matière de défense et à acheter des armes américaines, développe l’analyste. Un plan qui doit émerger « très rapidement » vu les contacts qui prennent forme entre les Etats-Unis et la Russie.

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