Elle promet des « happenings » dans une cinquantaine de villes. L’association Alliance Vita appelle à manifester contre la proposition de loi sur l’aide à mourir, lundi 12 mai, au premier jour de l’examen par les députés de deux textes visant à renforcer les soins palliatifs et à créer un droit à l’euthanasie ou au suicide assisté. A Paris, ses militants, porte-voix du catholicisme conservateur, se donnent rendez-vous à 19 heures à proximité de l’Assemblée nationale pour faire entendre leur slogan : « On veut des soins, pas l’euthanasie ! »
Depuis des semaines, Alliance Vita incite ses sympathisants à alerter les élus par courrier. Face à la crise du système de santé et « faute de soutien et de soins adaptés », « cette prétendue ‘aide à mourir' » risque de « s’imposer » aux patients en fin de vie, est-il écrit dans un modèle de lettre à adresser aux députés. A droite et à l’extrême droite, de nombreux responsables partagent cette inquiétude de voir des malades privés d’un vrai choix. « Il deviendrait plus facile de demander la mort que d’être soigné », s’est inquiété le ministre LR de l’Intérieur, Bruno Retailleau, samedi, auprès du Journal du dimanche. « Plutôt que de soigner, on nous suggère d’accélérer la fin », a accusé Jordan Bardella, le 4 mai, toujours dans Le JDD. « Une société qui n’a plus les moyens d’accompagner la vie jusqu’à son terme ne se grandit pas en légalisant la mort comme une solution par défaut », selon le président du Rassemblement national.
Faut-il s’inquiéter, en cas de légalisation de l’aide à mourir, de voir des malades en fin de vie abréger leur existence faute de réponse adaptée à leurs souffrances ? La question se pose depuis que le Comité consultatif national d’éthique a ouvert la voie au suicide assisté et à l’euthanasie, en 2022, en conditionnant le caractère « éthique » d’une telle évolution législative à des mesures fortes en faveur des soins palliatifs. Ces derniers, qui visent à préserver la qualité de vie des patients qui ne peuvent plus être guéris, seront au cœur des débats en ce début de semaine à l’Assemblée nationale.
Des milliers de Français aujourd’hui privés de soins palliatifs
En matière d’accès aux soins palliatifs, théoriquement garanti par la loi depuis 1999, la France a du retard à rattraper. Près de la moitié des malades susceptibles de recevoir de tels soins meurent sans avoir pu en bénéficier, soit environ 180 000 patients chaque année, selon une estimation de la Cour des comptes. L’offre est particulièrement pauvre à domicile et dans les maisons de retraite, où les professionnels de santé y sont peu formés et souvent démunis face aux parcours de fin de vie.
A l’hôpital, malgré une amélioration au fil des ans, la prise en charge demeure insuffisante. Une vingtaine de départements sont dépourvus de la moindre unité hospitalière de soins palliatifs (USP), des structures destinées aux situations les plus complexes. Dans ces territoires sous-dotés, souvent ruraux, les patients nécessitant l’expertise et le confort de telles unités doivent être orientés loin de chez eux. A défaut, ils sont maintenus dans des services non spécialisés, avec une qualité de soin très variable d’une équipe à l’autre.
Aux yeux des opposants à l’aide à mourir, les carences de l’offre palliative expliquent en grande partie les souffrances persistantes des patients et leur souhait d’en finir. « Les demandes de mort disparaissent dans l’immense majorité des cas quand vous êtes bien pris en charge », soutient le député LR Thibault Bazin. « Si les soins palliatifs étaient accessibles pour tous et partout, le nombre de demandes de mort médicalement assistée serait faible, voire anecdotique », a aussi défendu le ministre LR chargé de la Santé et de l’Accès aux soins, Yannick Neuder, dans Le Monde. La seule urgence serait donc de propager les bonnes pratiques palliatives partout en France.
Un retard rattrapé d’ici à dix ans ?
Dans la foulée de la Convention citoyenne sur la fin de vie, qui s’est prononcée en 2023 en faveur des soins palliatifs et de l’aide active à mourir, Emmanuel Macron a fait le choix de lancer les deux chantiers simultanément, au sein d’un seul projet de loi. En parallèle de la présentation du texte, l’exécutif a dévoilé un plan ambitieux de développement des soins palliatifs pour la période 2024-2034. Avec deux promesses destinées à rassurer les opposants à l’euthanasie et au suicide assisté : une enveloppe financière supplémentaire, augmentée de 100 millions d’euros chaque année, et une mise en œuvre du plan immédiate avec « une impulsion forte » les trois premières années.
Un an plus tard, la stratégie décennale commence à produire de premiers effets. L’offre s’étoffe et se diversifie, avec de premières équipes d’intervention rapide en soins palliatifs. Mais le démarrage est parfois poussif. Le gouvernement a dû renoncer à son ambition initiale d’une couverture totale du territoire en USP dès la fin 2025. Sur les 22 départements qui étaient dépourvus d’unité fin 2023, seuls neuf auront pu en inaugurer une d’ici à la fin de l’année « et quatre de plus d’ici fin 2026 », reconnaît l’exécutif.
L’accès aux soins palliatifs sera-t-il satisfaisant d’ici l’éventuelle promulgation de la loi ? « Il y a une vraie détermination des parlementaires et du gouvernement de faire en sorte que les soins palliatifs puissent être accessibles partout », soutient le député MoDem Olivier Falorni, auteur et rapporteur du texte sur l’aide à mourir. A l’inverse, le député LR Philippe Juvin ne se fait « aucune illusion ». « Les budgets vont être rabotés », peut-être dès « l’automne prochain », redoute-t-il, au vu de l’état des finances publiques. Les professionnels des soins palliatifs, eux, pressent l’exécutif de tenir ses engagements sur la durée et de s’assurer que les moyens débloqués ne soient pas redirigés à l’échelon régional ou local vers d’autres priorités de santé.
Vers un droit opposable aux soins palliatifs
A l’Assemblée nationale, le combat pour la primauté des soins palliatifs a commencé. Le député LR Thibault Bazin a d’ores et déjà obtenu la création d’un droit opposable. Avec cette mesure, tout patient qui demanderait en vain à bénéficier de soins palliatifs alors que son état le requiert pourrait saisir la justice afin que soit ordonnée sa prise en charge. « L’idée n’est pas de judiciariser la santé, mais de mettre un coup de pression aux agences régionales de santé pour accélérer le développement des soins palliatifs », défend l’élu, dont l’initiative a été soutenue par la gauche.
En commission des affaires sociales, en avril, les députés de droite et d’extrême droite ont tenté, sans succès, de retarder ou de restreindre l’accès à l’aide à mourir. Leur demande, par exemple, de « conditionner la possibilité de recourir à l’euthanasie à un accès préalable aux soins palliatifs » a été rejetée. En l’état, la proposition de loi prévoit seulement que le médecin « informe » tout demandeur d’une aide à mourir sur les soins palliatifs. Si la personne le souhaite, le professionnel devra s’assurer qu’elle y ait bien accès, sans que cela puisse lui être imposé.
Déterminés à détricoter le texte, les opposants à l’aide à mourir usent parfois d’arguments contestables. Ainsi de cet amendement de Thibault Bazin arguant, étude à l’appui, que les soins palliatifs ont « stagné, voire ont régressé » dans les pays européens autorisant le suicide assisté ou l’euthanasie. Or l’étude en question tend à prouver le contraire, avec une offre palliative en progression en Belgique, aux Pays-Bas et en Suisse entre 2005 et 2019 sur la quasi-totalité des critères étudiés. Ces trois Etats figurent même dans le top 5 des pays les plus avancés en Europe, selon d’autres travaux publiés en 2024. « Aucune donnée ne permet d’affirmer que l’introduction de l’aide à mourir dans un pays affaiblit les soins palliatifs », insiste la directrice du Centre national des soins palliatifs et de la fin de vie, Giovanna Marsico. Confronté à ces données par franceinfo, Thibault Bazin a modifié son amendement avant son examen dans l’hémicycle.
« Des demandes de mort, il y en aura toujours »
Face aux critiques, les partisans de la proposition de loi défendent un texte « équilibré ». « Des précautions ont été prises pour que la demande d’aide à mourir ne soit pas un choix par défaut », insiste la députée LFI Elise Leboucher, corapporteuse du texte. Surtout, estime-t-elle, l’aide à mourir ne doit pas seulement être observée au prisme des soins palliatifs. « Même avec des USP sur tout le territoire, vous aurez le droit de faire le choix, intime, du moment de votre mort », plaide-t-elle.
L’aide à mourir se veut aussi une réponse aux limites des soins palliatifs. « Comme toute médecine humaine », ils s’avèrent parfois impuissants « face à certaines souffrances réfractaires ou insupportables », souligne le député centriste Olivier Falorni.