Festival d’Avignon 2024 : Tiago Rodrigues s’empare du handicap dans "Hécube pas Hécube", une pièce en demi-teinte
Festival d’Avignon 2024 : Tiago Rodrigues s’empare du handicap dans "Hécube pas Hécube", une pièce en demi-teinte

Festival d’Avignon 2024 : Tiago Rodrigues s’empare du handicap dans « Hécube pas Hécube », une pièce en demi-teinte

02.07.2024
4 min de lecture

Le jour des résultats du premier tour des élections législatives, le metteur en scène portugais s’attaque aux responsabilités de l’Etat sur la prise en charge du handicap et ses souffrances.

C’est dans la mythique Carrière de Boulbon, rouverte au public l’année dernière après sept ans de fermeture, que Tiago Rodrigues a décidé de jouer sa nouvelle création. Après la pièce, difficile de comprendre pourquoi le public a dû parcourir 15 kilomètres depuis le centre d’Avignon, tant le lieu est si peu exploité par le metteur en scène.

Intitulée Hécube pas Hécube en référence à la pièce d’Euripide, cette création raconte le parcours de Nadia, une mère comédienne qui se bat pour que justice soit rendue à son fils autiste, maltraité dans la maison d’accueil publique qui le prenait en charge. Alors que Nadia répète le texte d’Hécube pour un nouveau spectacle, elle se retrouve dans le personnage de l’ancienne reine de Troie, déchirée par la mort de son fils.

Inspiré de faits réels

La mise en scène est dépouillée, avec des tables et des chaises en bois comme dans une salle de répétitions. Un contraste détonnant avec la majesté de la Carrière de Boulbon qui, si elle pouvait parler, ne comprendrait pas pourquoi avoir déplacé tout cela ici. Avec les interprètes de la Comédie-Française, Tiago Rodrigues propose une expérience métathéâtrale d’une faible originalité. Ce théâtre dans le théâtre est celui d’une répétition du texte d’Hécube par des comédiens dont Nadia, interprétée par la magistrale Elsa Lepoivre et un Agamemnon incarné par Denis Podalydès.

Les blagues fusent, les confusions et les incompréhensions du texte font sourire le public jusqu’à ce que le comique de répétition prenne une autre tournure. Nadia doit laisser ses camarades et partir plus tôt pour des problèmes personnels. « Hécube réclame justice et vengeance », analysaient les comédiens un peu plus tôt, c’est exactement ce que réclamera Nadia.

Elsa Lepoivre et Denis Podalydès de la troupe permanente de la Comédie Française lors de « Hécube, pas Hécube » mis en scène par Tiago Rodrigues, avant le début du 78e Festival d’Avignon, à la Carrière de Boulbon. 

Retour à la réalité. Nadia ne joue plus, elle doit porter plainte contre cette institution qui devait protéger son fils. Ce jeune autiste de douze ans, privé de nourriture, laissé sans surveillance, violenté et privé d’équipements sanitaires dans la maison d’accueil rue de la Paix, doit obtenir justice. Elle est la seule à pouvoir mener ce combat. La souffrance de la vie de Nadia, inspirée de faits réels qui ont fait scandale en Suisse, s’entremêle avec celle d’Hécube. Elle devient un moteur d’interprétation pour donner vie à celle de la reine de Troie dont le dernier fils vient d’être assassiné.

« J’ai ressenti à quel point la tragédie de Nadia, comme celles de toutes les mères en lutte résonnait avec celle d’Hécube », explique Tiago Rodrigues dans un entretien pour le Festival. Lors des répétitions, le corps de Nadia est sur scène mais son esprit et son jeu de comédienne puisent leur énergie ailleurs. 

La colère des mères

Nadia doit s’engager dans une procédure longue et douloureuse, où les versions s’entremêlent et les responsabilités se transmettent au fur et à mesure des témoignages. Les éducateurs Monsieur Bonnefoy et Madame Loyal, dénoncent les manques de moyens et de personnel, le secrétaire général dit ne pas avoir reçu les mails pointant les maltraitances. Qui est responsable ? Une chose est sûre, ces enfants handicapés, les êtres les plus vulnérables de la société, étaient sous la responsabilité de l’Etat qui a échoué, tranche Denis Podalydès, jouant également le procureur dans l’affaire.

Ces allers-retours entre la pièce d’Euripide et la vie de Nadia sont efficaces, haletants. Loin d’être une adaptation, Hécube pas Hécube est une nouvelle œuvre qui mêle avec une grande subtilité, le combat des mères et la prise en charge de la vulnérabilité. Seul bémol, une mise en scène trop dépouillée qui ne rend pas service au texte et à l’excellente interprétation des comédiens.

Les acteurs de la troupe permanente de la Comédie Française lors de « Hécube, pas Hécube » mis en scène par Tiago Rodrigues, avant le début du 78e Festival d’Avignon, à la Carrière de Boulbon. 

Une statue de chienne se tient majestueuse sur un piédestal au milieu de la Carrière, malgré sa patte en moins. Elle représente le combat enragé d’Hécube et de Nadia pour obtenir justice. « Dans la mythologie, la déesse Héra transforme Hécube en chienne pour avoir osé résister à Agamemnon », explique Tiago Rodrigues. Le metteur en scène montre le combat inaltérable des mères pour leur enfant, reflet d’un combat collectif, celui de la protection des plus vulnérables. « Où est la justice protectrice des êtres ?« , dit le texte d’Euripide. « La douleur succède à la douleur, qui succède à la douleur, qui succède à la douleur… » Nadia se sent trahie par l’Etat qui lui a menti, lui a fait croire que son enfant serait protégé. Alors pour obtenir justice, elle doit faire comme cette chienne et continuer à aboyer le plus fort possible.

« Hécube pas Hécube » de Tiago Rodrigues avec les comédiens de la Comédie-Française jusqu’au 16 juillet au Festival d’Avignon, du 15 au 23 novembre 2024 au Théâtre de la Cité à Toulouse et du 28 mai au 25 juillet 2025 à la Comédie Française.

Laisser un commentaire

Your email address will not be published.

Dernières nouvelles