Alors que la question du consentement a ressurgi à l’heure du procès des viols de Mazan, le débat autour de l’éducation à la vie sexuelle en milieu scolaire est lui aussi relancé. La loi prévoit un enseignement, mais il n’est pas appliqué. Le gouvernement dit souhaiter que cela change.
« Il est temps » que l’éducation à la vie sexuelle soit « effective ». Jeudi 26 septembre, la nouvelle secrétaire d’Etat chargée de l’Egalité femmes-hommes, Salima Saa a appelé à « passer de la déploration à l’action », concernant l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, obligatoire depuis 2001 dans les établissements scolaires. « La loi de 2001 pose des bases intéressantes, mais elle n’est toujours pas appliquée », a-t-elle jugé au cours d’une conférence de presse du Planning familial à Paris.
Depuis 2001, l’éducation sexuelle est bel et bien inscrite dans la loi. L’article 312-16 (Nouvelle fenêtre)du Code de l’éducation dispose qu’une « information et une éducation à la sexualité sont dispensées dans les écoles, les collèges et les lycées à raison d’au moins trois séances annuelles et par groupes d’âge homogène ». Cet article précise que « ces séances présentent une vision égalitaire des relations entre les femmes et les hommes. Elles contribuent à l’apprentissage du respect dû au corps humain et sensibilisent aux violences sexistes ou sexuelles ainsi qu’aux mutilations sexuelles féminines. »
Une loi peu appliquée
Ce texte « ne donne toutefois aucune précision sur les conditions d’organisation de ces séances », indique un rapport de l’Inspection générale de l’Education(Nouvelle fenêtre) remis au ministre en juillet 2021. Plusieurs circulaires sont venues compléter cette loi, la dernière datant de 2018(Nouvelle fenêtre), mais le rapport les qualifie de « complexes » et pointe au final « un cadre réglementaire et opérationnel de l’éducation à la sexualité qui manque de clarté ».
Ainsi, malgré la loi, les chiffres montrent que l’éducation sexuelle reste peu enseignée en milieu scolaire. « Force est de constater que bien des élèves traversent leur scolarité sans avoir bénéficié d’une seule séance d’EAS », écrit le rapport de l’Inspection générale de l’Education. « Moins de 15 % des élèves bénéficient de trois séances d’EAS pendant l’année scolaire en école et au lycée », notent les rapporteurs.
Problèmes de programmes, de formation…
Alors comment expliquer ce retard en la matière ? Pour Bruno Bobkiewicz, proviseur et secrétaire général du SNPDEN-Unsa, « l’une des difficultés est le côté transversal de la thématique qui fait qu’il y a une orientation qui est donnée, une volonté nationale partagée par la communauté éducative, mais comme l’intégralité du sujet n’est pas dans le programme des enseignements, potentiellement, vous pouvez passer au travers de cette thématique ».
« Une évolution possible serait l’intégration de ce sujet, globalement, totalement, dans les programmes ».Bruno Bobkiewicz, SNPDEN-Unsa
à franceinfo
Guislaine David, cosecrétaire générale de la FSU-Snuipp, premier syndicat du primaire, explique que « des programmes viennent d’être réécrits sur l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, auxquels nous, nous avons participé, et qui pourraient permettre d’avoir un enseignement efficace auprès de nos jeunes élèves, mais ils n’ont pas vu le jour, ils ne sont pas parus en conseil supérieur de l’éducation et donc actuellement ils ne sont pas en place. »
Les enseignants réclament donc des programmes en bonne et due forme, mais l’éducation sexuelle « doit passer évidemment par de la formation des personnels », prévient également Bruno Bobkiewicz. À ce jour, des formations existent déjà en la matière, mais « qui se font souvent sur la base du volontariat, ce n’est pas systématique », précise le proviseur.
Ce sont d’ailleurs deux des 35 recommandations dressées par l’Inspection générale de l’Education pour faire progresser cet enseignement : « Introduire les notions d’éducation à la sexualité dans les programmes officiels de certaines disciplines concernées, au-delà des disciplines liées aux aspects biologiques et sanitaires et de l’enseignement moral et civique » et « renforcer le déploiement des formateurs académiques sur l’éducation à la sexualité, afin de former à long terme tous les personnels d’enseignement, d’éducation, d’encadrement, d’inspection ».
Des enseignants « peut-être pas suffisamment armés »
Peut-on par ailleurs invoquer une frilosité des enseignants à aborder ce sujet ? « Je ne pense pas qu’il y ait de frilosité. Ce sujet nécessite une assise suffisante de la part de celui qui l’évoque. Il faut préparer les personnels à des réactions, à des questions, à des oppositions », estime-t-il, « il y a une méconnaissance potentielle du sujet et certains enseignants dans certaines disciplines ne se sentent peut-être pas suffisamment armés pour le faire. »
Guislaine David, de la FSU-Snuipp, confirme la nécessité de former les enseignants.
« Moi-même, en formation initiale, je n’ai jamais été formée sur ces questions-là. Et s’il avait fallu que je traite ces questions dès le début de ma carrière j’aurai été en difficulté. »Guislaine David, FSU-Snuipp
à franceinfo
« Je l’ai fait à partir du moment où j’ai été suffisamment formée et malheureusement il a fallu que je me forme toute seule et c’est aussi parce que j’ai eu des enfants que je me suis posé ces questions-là », confie la syndicaliste qui a également longuement enseigné aux classes de CM2.
Des pétitions
Dans un avis rendu le 10 septembre(Nouvelle fenêtre), le Conseil économique, social et environnemental (Cese) a par ailleurs pointé le « manque de portage politique en partie dû à une certaine frilosité des pouvoirs publics qui souhaitent éviter des controverses ». Une pétition(Nouvelle fenêtre) émanant de l’association SOS Education, intitulée « A l’école, enseignez-moi les divisions, pas l’éjaculation! », circule notamment actuellement sur les réseaux sociaux et a déjà recueilli plus de 70 000 signatures pour « exiger l’interdiction de l’éducation à la sexualité dispensée à des enfants de moins de 12 ans ».
« C’est de plus en plus pesant dans nos pratiques », témoigne Guislaine David, qui déplore « une vision réactionnaire de l’enseignement avec un repli sur soi au niveau des parents qui considèrent qu’il ne faut pas parler à leur enfant de vie sexuelle ou amoureuse ». La syndicaliste dénonce aussi une propagation de fausses informations. « C’est quelque chose qui avait déjà existé sous le ministère de Najat Vallaud-Belkacem avec les ABCD de l’égalité(Nouvelle fenêtre), on avait même eu des parents qui avaient retiré leur enfant de l’école parce qu’on accusait les enseignants d’enseigner la masturbation à des enfants de maternelle », rappelle-t-elle. « Et puis il y a surtout une volonté qu’on ne parle pas de ça aux enfants, de penser que c’est de leur responsabilité, alors que c’est de la responsabilité de la société et non pas de la responsabilité pleine et entière des parents. » Bruno Bobkiewicz, secrétaire général du SNPDEN-Unsa, abonde : « L’école a sa part de responsabilité sur des sujets sociétaux, systématiquement. »
« On a un rôle éducatif fort, maintenant il ne peut pas se substituer au rôle des parents, c’est bien l’idée d’une coéducation ».Bruno Bobkiewicz, SNPDEN-Unsa
à franceinfo
Le rapport de l’Inspection générale de l’Education se veut tout de même optimiste quant au positionnement des parents. « Dans le premier degré, lorsque le projet d’EAS est présenté aux parents en conseil d’école avec une explicitation des notions et contenus et des objectifs pédagogiques, il y a adhésion des parents, d’autant plus que le mot sexualité n’est pas prononcé », évoquant « des parents généralement confiants et rassurés par la prise en charge de l’EAS à l’école. »