Cela fait déjà dix ans que Joël Domenjoud a retrouvé sa liberté, le 12 décembre 2015, après dix-sept jours d’assignation à résidence à Paris. Cette mesure, imposée le 26 novembre 2015 dans le cadre de l’état d’urgence, a été décidée en réponse aux attentats du 13 novembre, visant des militants écologistes liés à des réunions du mouvement anti-COP21, rapporte TopTribune.
La journée de la libération de Joël a été marquée par une intervention policière massive. Sa voisine, alarmée par la présence policière dans l’immeuble, l’a averti. Pendant ce temps, son frère Cédric subissait également des mesures similaires. Tous deux avaient été ciblés pour leurs activités militantes au sein de la Coalition climat 21, opposée à la COP21.
« Il y a un avant et un après cette journée qui a été très déterminante dans notre vie, à moi et mon frère », explique Joël. Aujourd’hui, installé en Meurthe-et-Moselle, il reste marqué par cette expérience, qu’il décrit comme « très difficile à vivre » et qu’il dénonce comme une banalisation des mesures répressives contre les militants écologistes.
Conséquences de l’activisme
Les années suivant l’état d’urgence ont profondément bouleversé la vie de Joël et Cédric. Joël, déterminé à contester ce qu’il considère comme une injustice, a choisi de médiatiser son cas, alors que Cédric préférait rester discret en raison d’un passé judiciaire négatif liés à des manifestations anti-nucléaires.
« L’assignation à résidence a tout fait voler en éclats », déclare Joël, expliquant que cet événement a altéré la frontière entre sa vie privée et son engagement. Ce dernier a subi une surexposition médiatique, tandis que Cédric restait dans l’ombre, créant un déséquilibre souffrant entre eux.
La lutte juridique et l’inquiétude
L’avocate Muriel Ruef, qui a pris en charge la défense des deux frères, a tenté de contester l’assignation à résidence par voie judiciaire, sans succès. « C’était quelque chose d’énorme. Ça n’était jamais arrivé », se remémore-t-elle. Malheureusement, tous les recours, du tribunal administratif au Conseil d’Etat, se sont heurtés à un refus. Finalement, elle a décidé de saisir le Conseil constitutionnel.
Les autorités ont justifié leurs actes en indiquant que l’assignation des militants écologistes visait à éviter d’engager des forces de l’ordre déjà mobilisées par l’état d’urgence. Bernard Cazeneuve, alors ministre de l’Intérieur, a explicitement nié l’assignation de militants pacifiques lors d’une séance à l’Assemblée nationale.
« Pour ce qui concerne les militants écologistes, il n’y en a eu aucun d’assigné. Ceux qui ont été assignés, ce sont des individus violents. »
Malgré cela, les témoignages des frères Domenjoud révèlent des effets psychologiques néfastes subséquents à l’assignation, dont la marginalisation sociale et l’anxiété continue. Joël, durant les mois suivants, s’est senti incapable de reprendre une vie normale, perdant des amis et traversant une rupture d’avec sa compagne.
Engagement continu et sentiment d’insécurité
Isolé, Joël s’est investi intensément dans la lutte contre la loi Travail de 2016, élargissant son engagement à d’autres mouvements tels que celui des « gilets jaunes ». Cependant, il demeure choqué par le fait qu’une décision politique arbitraire puisse le priver de son droit à la liberté sans action de sa part pour se défendre. À ce jour, il considère que la France ne fonctionne pas comme un état de droit.
Après neuf ans de combats juridiques, Joël a été indemnisé en mai 2024 à hauteur de 11 500 euros par la Cour européenne des droits de l’homme. Ce jugement, bien qu’en demi-teinte pour son avocate, n’a pas mis en question la légitimité de l’assignation à résidence initiale.
Ce qui reste en travers de la gorge des deux frères et de leur avocate, c’est l’absence de remise en cause des documents non identifiés émis par les Renseignements généraux, qui avaient utilisé des informations floues pour justifier les mesures prises contre eux. « À partir du moment où il y a ce précédent, ça pourra se reproduire », alerte l’avocate Ruef.
Le jugement, connu sous le nom de « arrêt Domenjoud », est désormais étudié dans les facultés de droit et soulève des questions cruciales sur la liberté d’expression et les droits des militants écologiques en France.