En septembre 1944, des missiles balistiques de sa conception pilonnaient les villes alliées, dont Londres et Paris. Dix ans plus tard, en pleine conquête spatiale, cet officier SS recruté par la NASA est intervenu dans des documentaires produits par Walt Disney.
Le 9 mars 1955, 42 millions de téléspectateurs américains branchés sur la chaîne ABC découvrent un documentaire captivant, Man in Space, tiré de l’émission d’anthologie «Le Monde merveilleux de Disney». Son sujet? Le futur de l’exploration spatiale. Manipulant une maquette de fusée, un homme d’une quarantaine d’années y détaille le fonctionnement d’une navette. Séduisant, les cheveux méthodiquement divisés de chaque côté de son crâne, l’expert s’attarde sur quelques détails techniques. Son bavardage est alourdi par un fort accent allemand qui pèse sur les consonnes, rapporte TopTribune.
Tout en mâchoire et en sourcils sérieux, le spécialiste poursuit son raisonnement, imperturbable. En début d’émission, on l’a présenté comme le concepteur du missile V2, «précurseur des vaisseaux spatiaux à venir», en omettant de mentionner son grade d’officier SS ou son travail pour les nazis. Car l’intéressé s’appelle Wernher von Braun et, une décennie plus tôt, des missiles de sa conception pilonnaient les métropoles alliées.
Wernher von Braun, né en mars 1912 en Prusse, développe dès son enfance une passion pour l’espace, dévorant les œuvres de Jules Verne et H.G. Wells, tout en observant les astres à travers sa lunette astronomique. Dès 1930, il adhère à l’Association allemande pour la navigation spatiale, qui préconise le développement des fusées, et deux ans plus tard, une parcelle de terrain est achetée en banlieue berlinoise pour y effectuer des tests de prototypes.
D’abord au service du Troisième Reich
En 1932, diplômé en ingénierie, von Braun aspire à concevoir des fusées, mais l’armée allemande réoriente ses ambitions vers le développement de balistiques. En raison des limitations imposées par le traité de Versailles, le régime nazie explore les fusées comme une solution non prohibée. En 1937, il rejoint le parti nazi et, en 1940, il accède au rang de commandant SS. Il travaille alors au centre de recherche et d’essai de Peenemünde, contribuant à la mise au point du missile V2, dont le rayon d’action est de 300 kilomètres. En 1943, alors que les Alliés commencent à prendre l’avantage, la production du V2 se précipite, exploitant le travail forcé en camps de concentration.
Entre août 1944 et mars 1945, près de 3.200 V2 sont tirés sur des villes alliées, avec un impact majeur sur Londres, qui subit la moitié des frappes. Le premier missile frappe la capitale britannique en septembre 1944. Comme le note von Braun à un collègue, «la fusée a bien fonctionné, même si elle s’est posée sur la mauvaise planète». Au total, on estime que ces attaques ont causé la mort de 2.700 civils au Royaume-Uni.
Un nazi à la NASA
Recruté sous l’opération Paperclip, qui visait à intégrer des scientifiques nazis au programme américain, von Braun travaille pour la NASA après la guerre. Son expérience est cruciale dans le développement du lanceur Saturn V, essentiel pour les missions Apollo, qui nécessitent une puissance inégalée pour les voyages vers l’espace. Visionnaire, il publie des articles dans Collier’s, attirant l’attention de Walt Disney, ce qui mène à son rôle de conseiller technique dans une série de documentaires entre 1955 et 1957.
La collaboration avec Disney n’est pas sans intérêt, puisque cela sert à promouvoir le parc Disneyland et à mobiliser les financements fédéraux pour l’exploration spatiale. Grâce à cette visibilité, von Braun parvient à convaincre le président Eisenhower de l’importance de ses projets, entraînant un intérêt croissant pour le programme spatial américain.
Un peu plus près des étoiles
Devenu citoyen américain en avril 1955, von Braun accède à des postes de plus en plus élevés. En 1960, il est nommé directeur du centre de vol spatial Marshall et collabore avec Disney sur des projets éducatifs. Le 21 juillet 1969, il assiste à l’alunissage de la mission Apollo 11, accomplissant ainsi un de ses plus grands rêves. En 1972, trois ans après cet exploit, il quitte la NASA, et meurt en 1977. Son héritage demeure controversé, partagé entre ses contributions à l’aérospatiale et son passé en tant que membre du régime nazi, responsable de nombreuses pertes civiles.
Wernher von Braun, architecte des vaisseaux spatiaux modernes, reste une figure fascinante et complexe, complétant un parcours mêlé d’exploit scientifique et de sombre responsabilité éthique.