« Nous serions totalement fous de dire qu’on va aller forer et exploiter un endroit que l’on ne connaît pas. » Invité mardi 10 juin sur le plateau de France 2, Emmanuel Macron a condamné la décision de son homologue américain, Donald Trump, d’autoriser par décret l’extraction de minerais à grande échelle dans les fonds marins, à plusieurs centaines, voire milliers de mètres de profondeur. Manganèse, fer, cuivre, nickel, cobalt, lithium, métaux rares… Sur le plancher océanique, ces ressources précieuses cohabitent avec une biodiversité encore largement inconnue des scientifiques, a rappelé le président français depuis Nice (Alpes-Maritimes), où une soixantaine de chefs d’Etat et de gouvernements se sont réunis à l’occasion de la 3e Conférence de l’ONU sur l’océan (Unoc-3).
Grand absent de ces discussions sur la protection des mers, Donald Trump, avec sa décision « unilatérale » en faveur des mines sous-marines, a fait bouillir de nombreux dirigeants : « Les grands fonds marins ne peuvent pas devenir un far west », a mis en garde le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Mais la communauté internationale a-t-elle les moyens de freiner les ardeurs des Etats-cowboys et ainsi de protéger les grands fonds d’une ruée vers l' »or » qui, selon les scientifiques, aurait des conséquences dévastatrices ?
Une course contre la montre pour imposer un moratoire
Tout commence à l’Unoc-2, en 2022 à Lisbonne (Portugal), quand une poignée de petits pays insulaires du Pacifique se rangent derrière une position commune : interdire toute exploitation des grands fonds marins, a minima le temps d’approfondir les connaissances scientifiques sur ces zones obscures. « On ne connaît que 2% du fond des océans », a rappelé la présidente du conseil scientifique de la Fondation de la mer, Pascale Joannot. Trois ans après le lancement de ce projet de moratoire, 37 Etats y ont apporté leur soutien au nom du principe de précaution. Quatre l’ont fait lors du sommet à Nice. « L’annonce de Donald Trump, en avril, a donné une petite frayeur à tout le monde », concède Emma Wilson, de la Deep Sea Conservation Coalition, qui regroupe 150 ONG et soutient ce projet. « Mais rien n’est encore fait et, surtout, l’élan pour le moratoire n’en a pas pâti, au contraire. Le nombre d’Etats qui y adhère ne cesse de croître. »
Car si un Etat peut techniquement autoriser une entreprise à se lancer dans l’exploitation des grands fonds dans ses eaux territoriales, la Maison Blanche, elle, soutient l’initiative de l’entreprise minière The Metal Company, qui lorgne la faille sous-marine de Clarion-Clipperton. Loin, très loin, des côtes américaines, au beau milieu du Pacifique. Ici, seule l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM), une agence de l’ONU qui compte 169 pays membres, a le pouvoir d’accorder ou non un permis d’exploitation. « Il existe une procédure et nous aimons penser que nous vivons dans un monde régi par des règles« , a ainsi remarqué mardi le président de l’archipel des Palaos, Surangel Whipps Jr.
« Il ne devrait pas appartenir à un seul pays de décider unilatéralement de l’usage que nous ferons des fonds marins qui appartiennent à l’humanité toute entière. »
Or, le temps de l’ONU et de ces institutions n’est pas celui des entreprises. Chargé de plancher sur un code minier pour les grands fonds, l’AIFM est devenu le théâtre d’un bras de fer entre les Etats qui réclament du temps pour rédiger ces nouvelles règles et ceux qui, séduits par les promesses de retombées financières, militent pour « forer, bébé, forer » (« drill, baby, drill », pour reprendre l’un des slogans de Donald Trump). A l’approche de nouvelles négociations, qui se tiendront en juillet à Kingston (Jamaïque), le camp favorable au moratoire, toujours minoritaire, a profité des couloirs de l’Unoc pour affûter sa stratégie, décrypte Julien Rochette, directeur du programme Océan de l’Iddri, un cercle de réflexion sur le développement durable et les relations internationales. « Ils souhaitent court-circuiter les discussions de l’AIFM sur le code minier et faire adopter en parallèle une politique générale qui mette en place une pause de précaution », éclaire-t-il.
En d’autres termes, « faire en sorte que cette position politique pour le moratoire accouche d’un instrument juridique », continue Pradeep Singh, spécialiste de la gouvernance des fonds marins au sein de la fondation Oceano Azul. Quitte à« aussi discuter de contre-mesures possibles dans le cas où un Etat-voyou décide d’actions unilatérales », poursuit le juriste. A la tribune, Lula, le président brésilien, a appelé à des « actes clairs » de l’AIFM pour mettre fin à cette « course prédatrice » aux métaux sous-marins.
Une exploitation pas si rentable ?
Code minier ? Moratoire ? Ou les deux ? En attendant que la communauté internationale se dote de tels instruments, Pradeep Singh tempère : « L’exploitation minière des grands fonds ne va pas commencer tout de suite« . Et en dehors de quelques entreprises susceptibles de se lancer, comme celle adoubée par Donald Trump, beaucoup doutent que l’aventure extractiviste dans les abysses soit rentable rapidement.
« Certains pays refusent de fermer la porte à ce qu’ils voient comme une opportunité économique, mais les choses changent peu à peu. Surtout depuis que des études indépendantes montrent que cette industrie ne devrait pas générer tant d’argent. »
Pour Pradeep Singh, ce n’est pas le droit qui pourrait freiner les appétits de Donald Trump, mais « le marché » : « Qui veut perdre de l’argent en se lançant dans des missions coûteuses en milieu hostile, incertaines, difficiles techniquement et néfastes pour l’environnement, quand les minerais recherchés sont disponibles sur la terre ferme, au moins à moyen terme ? »
« Au-delà des Etats qui se sont positionnés pour un moratoire, des banques, comme BNP Paribas ou le Crédit agricole, ont annoncé qu’elles ne financeraient pas l’exploitation des ressources minérales dans les grands fonds océaniques », relève Julien Rochette. Des entreprises de la tech, dont Apple et Google, et des constructeurs automobiles, comme Renault, Volvo et BMW, ont assuré qu’ils n’utiliseraient pas ce type de ressources. « Quand ces acteurs disent qu’ils n’achèteront pas ces minerais, cela fait une sacrée différence », relève Emma Wilson. Suffisante pour éviter à Donald Trump de toucher le fond ?