Comment la Russie mise sur « son pouvoir de nuisance » pour « destabiliser » la France
Comment la Russie mise sur « son pouvoir de nuisance » pour « destabiliser » la France

Comment la Russie mise sur « son pouvoir de nuisance » pour « destabiliser » la France

23.05.2024
3 min de lecture

En soufflant sur les divisions de l’opinion publique, la Russie espère fragiliser le gouvernement français, soutien de Kiev

La piste russe, ce n’est pas qu’un cliché digne de la guerre froide. Concernant les « mains rouges » peintes sur le mémorial de la Shoah la semaine dernière, c’est même l’hypothèse principale des enquêteurs. « Le mode opératoire indique qu’il s’agit très probablement d’une opération du Kremlin », pose David Colon, professeur agrégé d’histoire à l’IEP de Paris. « Ce qui est sûr, c’est que ça ne serait pas étonnant », renchérit Jean de Gliniasty, directeur de recherches à l’Iris et ancien ambassadeur de France à Moscou.

Le parquet a confirmé ce mercredi que les enquêteurs étaient sur la piste de trois suspects en fuite à l’étranger.  Une caméra a filmé la scène, captant leurs visages. La police a ensuite retracé leur téléphonie et retrouvé leurs traces à la gare routière de Bercy, où ces hommes ont été filmés embarquant dans un car en direction de Bruxelles. Un scénario « comparable à celui des étoiles de David », taguées sur plusieurs bâtiments parisiens au mois de novembre, rappelle David Colon.

Attiser les tensions

A l’époque déjà, l’enquête avait mené la DGSI à remonter une filière moldave jusqu’aux services de sécurité russes, comme le dévoilait Le Monde. Les investigations avaient alors permis de replacer l’affaire des étoiles de David dans une plus vaste opération de « déstabilisation » dans les pays de l’Otan, alliés de Kiev. « On est en état de confrontation avec la Russie à travers l’Ukraine, ce qui exaspère les Russes qui font feu de tout bois pour fragiliser la France », explique Jean de Gliniasty. « Ils sont sur tous les fronts : Afrique, Nouvelle-Calédonie… », ajoute l’ancien diplomate.

Le conflit israélo-palestinien est aussi le terrain idéal pour semer le trouble dans l’opinion publique. « Il y avait déjà des tensions constantes dans la société française entre une forte minorité juive et une minorité musulmane encore plus forte », appuie Jean de Gliniasty. Et avec l’attentat du Hamas puis la riposte israélienne, « les actes antisémites ont explosé », rappelle Carole Grimaud, chercheuse en Sciences de l’information et de la communication à l’université Aix-Marseille et analyste de la Russie. Dès lors, « rien de plus facile pour souffler sur les braises ».

« Une forme de provocation »

Les auteurs ont d’ailleurs agi « de façon très cheap, avec un pot de peinture, des Bulgares qui veulent gagner un billet, et l’affaire est dans le sac », souligne-t-elle. Assez pour « provoquer un grand émoi évident chez la communauté juive » et jouer sur l’idée que « l’Etat français est incapable d’assurer la sécurité de ses citoyens ». Au passage, les tensions ainsi générées entre pro-palestiniens et soutiens d’Israël « mettent en difficulté le gouvernement ne serait-ce que dans la définition de sa ligne politique », ajoute Jean de Gliniasty.

Les réactions immédiates, amplifiées par les réseaux sociaux, suffisent à « semer le doute et créer la confusion », pointe David Colon. Peu importe que la piste soit facilement remontée, au contraire. Les « mains rouges » ont été « peintes sur un bâtiment sous surveillance vidéo, ils le savent très bien, ce n’est pas caché », analyse Carole Grimaud. Elle décrit une forme d’agenda en deux temps : d’abord, les tensions dans la société lors de la découverte, puis avec la découverte des vrais auteurs, « une forme de provocation, en montrant son pouvoir de nuisance ».

« Un mal lent »

« Dmitri Medvedev a clairement dit qu’il voulait aider tous les partis antisystèmes, tout ce qui peut alimenter le chaos au sein des pays démocratiques », souligne David Colon.

Toutefois, le terme de « déstabilisation » est incorrect pour Carole Grimaud : « cette opération ne déstabilise rien à court terme, ils savent que la Russie sera vite pointée du doigt. Mais c’est un mal lent, une idée qui rampe dans l’opinion publique, que le gouvernement ne sait pas protéger ses citoyens, qu’il y a de l’antisémitisme… C’est tout le système qui est visé, en confortant certains dans leurs idées, en faisant douter les autres sur le long terme. »

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