Biodiversité : quatre questions sur le recours d'un collectif d'associations contre l'Etat pour "carence fautive"
Biodiversité : quatre questions sur le recours d'un collectif d'associations contre l'Etat pour "carence fautive"

Biodiversité : quatre questions sur le recours d’un collectif d’associations contre l’Etat pour « carence fautive »

06.06.2025 14:02
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Cinq organisations environnementales poursuivent l’Etat en justice, lui reprochant de ne pas en faire assez pour protéger le vivant. L’affaire est jugée en appel.

L’Etat va-t-il être condamné pour ne pas en faire assez face à l’effondrement de la biodiversité ? C’est l’espoir du collectif d’associations environnementales Justice pour le vivant, à l’origine d’un recours déposé en 2022. Les ONG accusent l’Etat de « carence fautive » face au déclin du vivant et réclament une réforme des procédures d’autorisations de mise sur le marché des pesticides. Trois ans et une victoire des associations en première instance plus tard, l’affaire est examinée, vendredi 6 juin, par la cour administrative d’appel de Paris.

Qu’est-il reproché à l’Etat ?

Avec cette action en justice, les associations Notre affaire à tous, Pollinis, Biodiversité sous nos pieds, l’Association pour la protection des animaux sauvages et l’Association nationale pour la protection des eaux et rivières souhaitent « combattre le retour en arrière généralisé sur les normes environnementales et forcer l’Etat à respecter les obligations qu’il s’est lui-même fixé », explique Emilien Capdepon, chargé de campagnes pour Notre affaire à tous. Il cite notamment la proposition de loi Duplomb, qui pourrait réintroduire un néonicotinoïde décrié sur le marché, et le nouveau plan Ecophyto, moins ambitieux que ses deux versions précédentes.

Dans ce recours, les associations demandent au gouvernement de réformer le processus d’évaluation et d’autorisation de mise sur le marché des pesticides, réalisé par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses). « Les tests de l’Anses sont obsolètes et ne prennent pas du tout en compte les dernières études scientifiques, notamment sur l’effet ‘cocktail’ que peuvent avoir plusieurs pesticides combinés », affirme Emilien Capdepon.

« Au final, très peu de produits sont interdits alors que si leur méthodologie était mise à jour pour mieux respecter la science, les pesticides les plus dangereux seraient retirés du marché. »

Emilien Capdepon, chargé de campagnes pour Notre affaire à tous

Les ONG reprochent également au processus d’homologation de sous-estimer les effets chroniques des produits phytosanitaires et d’utiliser des espèces non représentatives pour mesurer leurs impacts sur la biodiversité. Elles accusent le gouvernement de ne pas avoir agi pour pallier ces lacunes – et donc de violer l’interdiction de mise sur le marché de produits « présentant un risque de dommage grave et irréversible à l’environnement ».

Comment se porte la biodiversité en France ?

L’effondrement de la biodiversité se produit à un rythme vertigineux. A l’échelle mondiale, presque trois quarts des populations d’animaux sauvages – poissons, oiseaux, mammifères, amphibiens et reptiles – suivies par une étude de WWF se sont effondrés en 50 ans. Cette érosion se ressent aussi en France : le pays figure parmi les dix pays hébergeant le plus grand nombre d’espèces menacées. Quelque 2 472 espèces menacées au niveau mondial sont présentes dans l’Hexagone ou en outre-mer.

Les pesticides sont en grande partie responsables de ce déclin massif. Une étude internationale récente publiée dans la revue Nature, basée sur l’analyse de plus de 1 700 publications scientifiques, démontre l’impact nocif des pesticides sur plus de 800 « espèces non-ciblées », c’est-à-dire la biodiversité. Pour Emilien Capdepon, « l’Etat a un devoir auprès de ces citoyens de tout mettre en place pour freiner ça ».

Sur quelles bases juridiques ce procès se fonde-t-il ?

Si cette procédure rappelle celle de L’Affaire du siècle en 2018 – également initiée par Notre affaire à tous, aux côtés de trois autres ONG (Greenpeace, Oxfam et la Fondation pour la nature et l’homme) qui cherchait à faire reconnaître la carence fautive de l’Etat face à la crise climatique, elle se base sur des bases juridiques différentes. « Beaucoup d’associations s’inspirent des procès climats et transfèrent leur argumentation juridique pour attaquer l’Etat sur le terrain de la biodiversité », explique Laurent Fonbaustier, professeur à l’université Paris-Saclay et spécialiste en droit de l’environnement.

Mais pour la protection du vivant, « les engagements pris par l’Etat sont de moindre précision et moindre contrainte parce que le climat a longtemps occupé le devant de la scène », détaille-t-il. Selon lui, placer les pesticides au cœur de dossier est donc stratégique, ces produits permettant de « recentrer les implications humaines et la responsabilité de l’Etat dans les questions de biodiversité ».

« La justice peut jouer le rôle de garde-fou face aux tentatives de destruction de tout ce que le droit environnemental a fait pour la biodiversité ces 50 dernières années. »

Laurent Fonbaustier, spécialiste en droit de l’environnement

« Mais la proportion de victoires par rapport au nombre de procédures reste relativement faible », nuance le professeur à l’université Paris-Saclay.

Quels sont les enjeux de ce recours ?

Dans sa décision en première instance, rendue en juin 2023, le tribunal administratif de Paris « reconnaît l’existence d’un préjudice écologique » et « enjoint à l’Etat de prendre toutes les mesures utiles pour mettre un terme à l’usage inapproprié de ces produits [phytosanitaires]« . En revanche, la justice n’avait pas contraint l’Etat à réformer les procédures d’autorisation des pesticides, arguant que « le lien de causalité entre les insuffisances [dans les procédures] et le préjudice écologique reconnu n’était pas certain »

C’est ce point que les associations contestent – l’Etat, lui, a fait appel mais de l’intégralité de la décision. Les associations attendent donc du jugement qu’il« oblige le gouvernement à mieux limiter les pesticides qui sont mis en vente », déclare Emilien Capdepon. Un dénouement qu’il juge « encore plus probable » au vu de la décision en février dernier de la cour administrative d’appel de Marseilled’annuler les autorisations de mise sur le marché de deux insecticides, au motif que celles-ci « apparaissent entachées d’illégalité ».

« Cette décision montre qu’il y a un vrai problème avec les méthodes d’évaluations de l’Anses. Elle nous donne espoir vis-à-vis du jugement à venir. »

Emilien Capdepon, chargé de campagnes pour Notre affaire à tous

A l’inverse, il est possible que le tribunal donne raison à l’Etat et déboute l’intégralité du jugement initial. Les deux parties pourraient alors se pourvoir en cassation. Une décision est attendue d’ici la fin du mois de juin.

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