L’exposition offre un aperçu complet de l’œuvre de cette plasticienne avec des installations spectaculaires faites de fils enchevêtrés.
L’exposition s’ouvre sur cette phrase en forme d’avertissement : « Qu’elles intimident, surprennent ou apaisent, les installations de Chiharu Shiota ne manquent pas de fasciner« . Rien n’est plus vrai. Il faudrait ajouter que les œuvres la japonaise Chiharu Shiota, née à Osaka en 1972, questionnent et peuvent aussi choquer.
Depuis le 11 décembre, une foule de curieux se presse dès l’ouverture devant la porte H du Grand Palais, non loin de la patinoire installée, elle, sous la grande verrière. Des Français mais également beaucoup d’étrangers attirés par la réputation de cette artiste reconnue dans le monde entier. Elle a notamment travaillé en Australie et en Pologne, avant de s’installer à Berlin à la fin des années 90. À voir jusqu’au 19 mars 2025.

Dès l’entrée de cette exposition monographique, co-organisée avec le Musée Mori de Tokyo(Nouvelle fenêtre), les visiteurs se font surprendre par une installation suspendue au-dessus de l’escalier monumental. Des cadres métalliques tissés de fils blancs dessinent comme des ailes d’anges s’envolant vers le ciel. Une œuvre monumentale mais poétique et aérienne en guise de lever de rideau.
Le parcours retrace trente ans de création multiforme depuis ses premiers pas d’artiste, dans les années 90. C’est la plus importante qui ait jamais été dédiée à sa carrière en Europe. À côté des installations immersives les plus spectaculaires, elle réunit des dessins délicats (y compris le tout premier chef-d’œuvre de l’artiste, une fleur et un papillon peints à l’âge de 5 ans), des photos, des vidéos de ses performances (un bain d’eau boueuse, son corps nu escaladant une paroi et se lovant dans une grotte), des décors de théâtre et d’opéra, de vieilles chaussures et des jouets qu’elle collectionne. Elle aime les objets de seconde main ayant déjà vécu.
En rouge et noir
Le fil rouge de l’exposition, s’il fallait en choisir un, ce serait justement le fil, élément essentiel de son travail. Chiharu Shiota a-t-elle été araignée ou Pénélope dans une vie antérieure ? Toujours est-il qu’elle tisse sa toile et nous capture dans les filets de son imagination. L’installation baptisée Voyage incertain qu’elle recrée pour le Grand Palais plonge les visiteurs, émerveillés, dans un bain de couleur.
Des barques métalliques noires laissent s’échapper des geysers de fils rouges qui s’entrelacent et créent comme une brume incandescente au plafond. L’artiste explique que « d’une certaine manière, ils symbolisent mon état mental vis-à-vis de la complexité des relations humaines« . Ces fils de laine rouge, qu’un petit garçon veut absolument toucher, font penser aux réseaux de neurones dans le cerveau ou encore au flux sanguin dans nos veines. Le visiteur circule dans l’œuvre et lui donne vie.
Les frémissements de l’âme
Les visiteurs sont invités à ressentir « les frémissements de l’âme » qui rythment le monde intérieur et l’art. La plasticienne s’inspire souvent d’une expérience ou d’une émotion personnelle. Une autre pièce surprenante, entièrement tissée de fil noir, évoque un terrifiant souvenir.
À l’âge de 9 ans, Chiharu a assisté impuissante à l’incendie de la maison de ses voisins. Le lendemain, il y avait un piano calciné devant leur demeure. Dans son installation baptisée En silence, elle a placé un piano au centre de la pièce. Il semble pris au piège dans une gangue de fils noirs qui envahissent la pièce et recouvrent tout. Ils sont comme une fumée sombre, une musique muette s’échappant du piano brûlé. Le fil agit comme un cocon qui protège les choses mais il évoque aussi l’araignée maléfique qui les capture.

« Tu as vu la vallée de valises ? , demande une dame. Oui, quelle imagination ! « , s’émerveille son amie. La dernière salle de l’exposition laisse de nombreux visiteurs bouche bée. Au plafond pend un régiment de valises anciennes suspendues par des fils rouges. « Quand je regarde une pile de valises, tout ce que je vois, c’est le nombre de vies humaines auxquelles elles correspondent. Pourquoi ces personnes ont-elles quitté leur lieu de naissance, en quête d’une destination ?« .s’interroge l’artiste japonaise exilée en Allemagne. Je pense aux sentiments qui les animaient le matin de leur départ. »
Ceux qui ont eu la chance de visiter le musée d’Ellis Island, porte d’entrée des immigrants aux Etats-Unis, gardent en mémoire l’image de leurs monceaux de bagages. Son installation évoque aussi le sort tragique des victimes de la Shoah abandonnant leurs valises à l’entrée des camps de la mort.

Avec l’affluence, certaines parties de l’exposition sont difficiles d’accès. En particulier, le couloir trop étroit où sont présentées les œuvres de jeunesse de l’artiste. Il est aussi regrettable qu’un seul et unique banc permette de s’asseoir pour profiter du film projeté dans l’exposition. Il retrace intelligemment et intelligiblement, même pour les non initiés, le parcours de Chiharu Shiota et décrypte les mystères de sa création.
On entend à plusieurs reprises la plasticienne de 52 ans revenir sur ses choix et ses thèmes de prédilection : la vie, la mort, la peur de la mort, l’absence, le souvenir, le traumatisme. Elle finit avec ces mots : « Tant que j’ai de l’imagination, je continue à créer et à rêver« .
Chiharu Shiota, les frémissements de l’âme, au Grand Palais, à Paris, jusqu’au 19 mars 2025. Du mardi au dimanche de 10H à 19H30, le vendredi jusqu’à 22H. Tarifs : de 11 à 14 €. Gratuit pour les moins de 18 ans, les visiteurs en situation de handicap et les demandeurs d’emploi.