C’est une démarche inédite. D’anciens élèves du collège Ozanam de Limoges ont déposé plainte pour « crime contre l’humanité » contre la congrégation des Pères de Bétharram. Cette action permettrait de lever la prescription et d’obtenir une reconnaissance par la justice pénale des violences physiques et sexuelles qu’ils disent avoir subies, par les religieux, dans les années 60.
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C’est une démarche inédite qui pourrait bien faire basculer l’affaire Ozanam. Quatre anciens élèves de ce collège privé catholique de Limoges ont déposé plainte pour « crime contre l’humanité » contre la congrégation religieuse des Prêtres du Sacré-Coeur de Jésus de Bétharram. « C’est l’une des clés pour éviter qu’à l’avenir, des mineurs de moins de quinze ans, se fassent violer par des prêtres ou des laïcs dans un cadre éducatif », résume Bertrand, scolarisé entre 1967 et 1975. Le sexagénaire, qui ne vit plus dans la région, a été le premier à entamer cette action juridique avant d’être rejoint, ce jeudi 15 mai, par ses trois camarades.
Des faits prescrits
Ces quatre hommes ont chacun déposé plainte individuellement, entre février et mars 2025, pour des faits remontant aux années 1960 et 1970. Parmi les faits mentionnés : des châtiments corporels, des humiliations, des attouchements ou des viols.
Sur la période de 1948 à 1976, les pères de Bétharram dirigeaient l’établissement catholique d’Ozanam et y avaient des fonctions de surveillance ou d’enseignement. Ils encadraient aussi des colonies de vacances dans les Pyrénées-Atlantiques, où étaient envoyés des écoliers limougeauds. Certains des faits évoqués par certaines victimes déclarées se seraient produits dans ces colonies de vacances.
Au 7 mai 2025, nous avions pu nous faire confirmer que sept signalements provenant de victimes déclarées ou de témoins ayant été scolarisés au sein du collège privé catholique étaient en cours d’instruction. Parmi celles-ci, quatre sont celles des membres du « Collectif Limoges Ozanam ».
Le parquet de Limoges procède à des auditions, avec l’objectif de pouvoir orienter, dans de brefs délais, les plaignants vers des associations d’aide aux victimes.
Un espoir à Limoges
Le dossier juridique est complexe. Devant la justice française, ces violences physiques et sexuelles dénoncées sont marquées par un délai de prescription aujourd’hui dépassé. L’une des façons de faire supprimer ce verrou est de les faire reconnaître comme un crime contre l’humanité qui, eux, sont imprescriptibles.
À notre connaissance, aucun autre collectif de victimes des pères de Bétharram n’a entamé une telle action. « La dernière fois qu’une telle démarche a abouti remonte à 1994, dans le dossier Papon. Tous nos espoirs reposent sur les épaules de la procureure de la République de Limoges », explique Bertrand, qui a étudié les textes juridiques, administratifs ou relevant du droit canonique durant des mois, avant de trouver cette issue.
« Il faut que tout ça soit jugé »
Ce sera la procureure de la République de Limoges, après examen de la plainte pour crime contre l’humanité, qui jugera si celle-ci est recevable afin d’ouvrir une instruction. Cette dernière n’a pour l’heure pas donné suite à nos sollicitations, mais nous avons eu confirmation qu’elle avait été informée de l’existence des plaintes.
Sur les onze critères de recevabilité de cette action, ces anciens élèves d’Ozanam en cocheraient plusieurs, dont « le viol (…) ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable » ou encore « les actes inhumains de caractère analogue causant intentionnellement de grandes souffrances ou des atteintes graves à l’intégrité physique ou psychique ».
« Je veux que tout ça ne soit pas oublié, il faut que ce soit jugé. Cela ne s’oublie pas, pour moi, il n’y a pas prescription. S’il faut, je ferai des kilomètres pour que l’on entende le son de ma voix et être reconnu », témoigne Francis * (son prénom a été modifié pour préserver l’anonymat, NDLR), qui est l’un des quatre à avoir déposé plainte pour crime contre l’humanité.
Contactée par notre rédaction au sujet de ce dépôt de plainte, la congrégation religieuse de Bétharram, basée à Pau, n’a pas répondu à l’heure où nous écrivons ces lignes. Trois jours plus tôt, le 13 mai, lorsque nous la sollicitions pour une demande d’interview au sujet de l’affaire Ozanam, celle-ci avait indiqué avoir « déjà eu l’occasion à plusieurs reprises de s’exprimer sur le sujet dans les médias » et nous renvoyait vers ses précédents communiqués.
Dans l’un d’eux, datant du 14 mars, elle assurait « avoir pris la mesure de la gravité des violences commises au sein de l’Institution Notre-Dame-de-Bétharram (l’établissement des Pyrénées-Atlantiques visé par plusieurs dizaines de plaintes, NDLR) durant plusieurs décennies. (…) La congrégation tient à assurer de son soutien et de ses profonds regrets ». Elle précise, par ailleurs, mettre « tout en œuvre pour que les victimes de violences sexuelles commises par des religieux puissent obtenir reconnaissance et réparation. »
Démarche devant la justice canonique
À ce jour, la congrégation religieuse a indemnisé une vingtaine de victimes – des anciens élèves de l’institution Notre-Dame-de-Bétharram dans le Béarn – par le biais de la Commission de reconnaissance et de réparation (CRR).
Créée en 2021 à l’issue du rapport Sauvé, cette instance indépendante est financée par les différentes congrégations religieuses et chargée de traiter les abus au cas par cas, d’évaluer les répercussions des violences subies pour proposer un dédommagement financier.
« D’autres solutions existent, mais dans un contexte politique délétère, elles ne peuvent aboutir par manque de volonté. Une loi constitutionnelle aurait permis une prise de conscience nationale », estime Bertrand, qui se bat aujourd’hui avec le collectif de Limoges pour que la reconnaissance et la prise en charge des victimes viennent de l’État.