Acier : Bruxelles renforce ses protections pour assurer sa souveraineté industrielle.

Acier : Bruxelles renforce ses protections pour assurer sa souveraineté industrielle.

07.10.2025 11:03
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L’Union européenne enclenche le réflexe souverain sur l’acier

Le 7 octobre 2025, la Commission européenne a dévoilé un dispositif sans précédent destiné à protéger l’acier européen. Face à l’effondrement des marges et à une concurrence asiatique renforcée, Bruxelles a décidé de réduire de près de 50 % les quotas d’importation tout en augmentant les droits de douane de 25 à 50 % pour les volumes excédentaires. Cette stratégie, qui prendra effet au premier trimestre de 2026, illustre une réaffirmation du protectionnisme dans la politique industrielle de l’UE, rapporte TopTribune.

La Commission a constaté que la production sidérurgique de l’UE n’opère qu’à 70 % de ses capacités, un niveau alarmant qui n’avait pas été atteint depuis deux décennies. À cause de l’envolée des coûts énergétiques, d’une demande en baisse et d’une augmentation des importations à bas prix, certaines aciéries, comme celles de Tarente et de Liège, se retrouvent en difficulté. « Nous ne faisons pas du Trump, nous faisons du réalisme européen », a déclaré Stéphane Séjourné, le commissaire à l’Industrie, annonçant ce plan. Ce changement de cap, autrefois inimaginable dans les cercles bruxellois, a reçu l’aval des vingt-sept États membres, y compris des pays traditionnellement libéraux tels que les Pays-Bas et la Suède.

Acier : des quotas divisés par deux et des droits doublés

Le nouveau dispositif met en place une réduction significative des volumes d’acier pouvant être importés sans frais supplémentaires, en doublant les droits pour les importations au-delà des seuils établis. Bruxelles vise à lutter contre les surcapacités asiatiques, responsables d’une chute de 18 % des prix sur le marché européen en 2024. Les importations en provenance de Chine, de Turquie et d’Inde occupent actuellement plus de 35 % du marché européen, comparé à 21 % en 2015.

Les nouveaux quotas seront calculés en fonction de la consommation moyenne constatée entre 2012 et 2015, une période jugée représentative d’un équilibre du marché. Bruxelles ambitionne également d’améliorer la surveillance en intégrant une gestion numérique des licences d’importation pour éviter les contournements et la surenchère dans l’octroi des licences, phénomène observé ces dernières années. L’objectif principal est de « stabiliser les prix, restaurer la visibilité et favoriser la transition écologique des aciéries », souligne un document interne.

Le protectionnisme européen sort de l’ombre

Ce plan fait émerger un shift idéologique au sein de l’Union européenne. Autrefois fervente défenseuse du libre-échange, l’Europe adopte à présent un protectionnisme stratégique inspiré des modèles américains et asiatiques. Cette transformation est le résultat à la fois de la conjoncture économique et des enjeux géopolitiques actuels. Depuis juin, les États-Unis imposent une taxe de 50 % sur l’acier chinois, tandis que des pays comme le Japon et la Corée du Sud ont durci leurs barrières non tarifaires. Bruxelles refuse désormais d’être le « dernier marché ouvert » à recevoir des surplus.

Les tensions commerciales avec la Chine se concentrent sur la question des subventions. L’OCDE estime que les entreprises sidérurgiques chinoises reçoivent des aides directes et indirectes d’un montant annuel de 36 milliards de dollars. Ces aides, combinées à des tarifs énergétiques subventionnés, permettent à Pékin d’écouler un acier jusqu’à 30 % moins cher que le produit européen. « C’est une compétition structurellement déloyale », déclare Stéphane Séjourné, précisant que cette mesure est une « nécessité de survie, non pas de fermeture », ce qui est conforme aux règles de sauvegarde de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

Les enjeux économiques : marges, investissements et transition verte

Pour les producteurs européens, la décision de Bruxelles arrive à un moment opportun. Des entreprises telles qu’ArcelorMittal, Thyssenkrupp, Voestalpine et Liberty Steel ont salué une réponse appropriée face à une situation d’urgence. Les marges opérationnelles, qui avaient chuté à moins de 4 % en 2024, pourraient remonter à un niveau compris entre 7 % et 8 % d’ici 2026, selon les prévisions de l’agence MEPS International. Une remontée des prix de l’acier laminé à chaud, actuellement autour de 600 euros la tonne, est attendue, avec une fourchette projetée entre 720 et 750 euros.

Cette stabilisation est cruciale pour assurer le financement de la transition écologique des hauts-fourneaux. Le plan de décarbonation, soutenu par le Fonds pour une Transition Verte, mobilise déjà plus de 35 milliards d’euros d’investissements d’ici 2030. L’ambition est de produire un acier bas carbone grâce à des méthodes innovantes, notamment l’hydrogène vert et les fours électriques. Toutefois, ces projets, qui sont à la fois gourmands en énergie et coûteux, ne peuvent être réalisés que dans un environnement de prix stables et de visibilité à moyen terme.

Réactions en chaîne et effet domino mondial

La réponse des partenaires commerciaux n’a pas tardé. Pékin a dénoncé des mesures jugées « discriminatoires et contraires à l’esprit du multilatéralisme », menaçant de représailles sur les exportations automobiles européennes. Le Royaume-Uni envisage des mesures similaires pour éviter un afflux massif d’acier détourné vers ses ports après le verrouillage du marché continental. En revanche, Washington a salué cette « évolution convergente » des approches transatlantiques, soulignant la nécessité d’un front uni face aux subventions industrielles asiatiques.

Cependant, certains observateurs craignent une augmentation des coûts pour certains secteurs utilisateurs en Europe, notamment l’automobile et la construction. Le syndicat européen de la métallurgie, IndustriAll, reconnait qu’il existe un « risque de tensions temporaires sur les approvisionnements », mais estime que cette stratégie est « préférable à une désindustrialisation systématique ». Les États membres du sud de l’Europe, où les aciéries sont les plus vulnérables, y voient une opportunité pour relocaliser certaines productions. L’Espagne et l’Italie militent déjà pour étendre le modèle de quotas et de droits renforcés à d’autres matériaux comme l’aluminium et le ciment.

Une souveraineté industrielle repensée

Au-delà des simples chiffres, cette réforme incarne la réhabilitation de la notion de souveraineté industrielle au centre des politiques économiques européennes. Après trois décennies de déclin, la sidérurgie devient à nouveau un secteur emblématique de l’autonomie stratégique du continent, aux côtés d’autres industries stratégiques telles que les semi-conducteurs et l’énergie. La Commission européenne adopte désormais une approche « sectorielle et différenciée », visant à protéger les secteurs clés tout en permettant une circulation fluide des biens de consommation.

Emmanuel Macron a défendu à Strasbourg l’idée d’une « Europe qui protège, secteur par secteur, son appareil productif ». L’instauration d’une politique industrielle commune, longtemps écartée au profit du marché intérieur, s’affirme maintenant comme un outil de stabilité macroéconomique. Dans cette perspective, l’acier devient un véritable laboratoire de politique économique post-mondialisation : un test sur le terrain pour évaluer jusqu’où l’Union peut défendre ses intérêts sans s’isoler des marchés globaux.

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