Qui succédera au réalisateur américain Sean Baker, sacré en 2024 pour Anora ? Le jury de la 78e édition du Festival de Cannes, présidé par Juliette Binoche, révélera, samedi 24 mai, le nom du lauréat de la Palme d’or parmi les 22 cinéastes en compétition. Quatre ans après avoir été couronnée pour Titane, la Française Julia Ducournau parviendra-t-elle à être à nouveau palmée avec son clivant Alpha ? Les frères Dardenne deviendront-ils les premiers à recevoir un troisième trophée suprême cannois dans leur carrière grâce à Jeunes mères ? Ou la récompense sera-t-elle décernée à des nouveaux venus sur la Croisette, comme l’Américain Ari Aster avec Eddington, qu’il présente comme un western contemporain ?
Pour tenter de percer les mystères de Cannes, franceinfo a dressé le portrait-robot des 78 lauréats de la Palme d’or, depuis sa création en 1955. Ces données prennent en compte les 10 éditions lors desquelles deux films ont été récompensés à égalité (en 1961, 1966, 1972, 1973, 1979, 1980, 1982, 1993, 1997 et 2018). La période de 1964 à 1974, où le festival est temporairement revenu à la formule initiale du Grand Prix, décerné avant l’apparition de la Palme, a également été comptabilisée. En revanche, afin de ne pas déformer les résultats, les premières éditions, organisées entre 1946 et 1954, n’ont pas été retenues, car jusqu’à 11 Grands Prix pouvaient alors être attribués chaque année.
Seulement trois réalisatrices sacrées
Historiquement, la Palme d’or est une affaire d’hommes. Seules trois réalisatrices ont décroché cette récompense suprême. La première d’entre elles, Jane Campion, a été sacrée en 1993 pour La Leçon de piano, quarante-sept ans après la première édition du festival, en 1946, et trente-huit après la première attribution de la Palme d’or. La cinéaste néo-zélandaise a toutefois partagé ce titre ex æquo avec le réalisateur d’Adieu ma concubine, le Chinois Chen Kaige.
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Plus récemment, après la Palme d’or de Julia Ducournau en 2021, une autre réalisatrice française, Justine Triet, a été couronnée en 2023 pour Anatomie d’une chute. Deux récompenses qui vont de pair avec la part grandissante des films réalisés par des femmes sélectionnés en compétition. L’année 2012 est la dernière à n’avoir compté aucune réalisatrice en lice.
Pour cette 78e édition, sept ont été retenues en compétition. Un niveau « record »et « déjà atteint en 2023 », s’est félicité le délégué général du festival, Thierry Frémaux, interrogé par Le Parisien. Mais elles demeurent toujours sous-représentées puisqu’elles ne forment qu’à peine un tiers des prétendants au titre.
Tapis rouge pour le cinéma occidental
La compétition a beau se tenir en France, à la fin, ce sont les Etats-Unis qui gagnent. Avec 17 Palmes d’or, les cinéastes américains sont à ce jour les plus sacrés sur la Croisette. Dans l’histoire récente du festival, la Palme d’or a notamment été attribuée à Sean Baker (Anora en 2024), Terrence Malick (The Tree of Life en 2011), Michael Moore (Fahrenheit 9/11 en 2004) et Gus Van Sant (Elephant en 2003).
La France se place en deuxième position, grâce à 13 titres remis à des cinéastes tricolores : Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy en 1964, Un homme et une femme de Claude Lelouch deux ans plus tard, et plus récemment, Dheepan de Jacques Audiard en 2015 et Le Livre d’image du Franco-Suisse Jean-Luc Godard en 2018.
Avec neuf sacres, l’Italie s’offre la troisième place du podium, qu’elle doit surtout à son prolifique cinéma des décennies 1960 et 1970 (Federico Fellini, Luchino Visconti, Paolo et Vittorio Taviani…).
Les cinéastes occidentaux sont largement surreprésentés, puisqu’ils ont décroché 80% des Palmes d’or. Le cinéma asiatique est peu récompensé, avec seulement quatre titres pour le Japon (dont deux à Shohei Imamura, pour La Ballade de Narayama en 1983 et L’Anguille en 1997), un pour le réalisateur chinois Chen Kaige, un pour le Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul (Oncle Boonmee en 2010) et un pour le Sud-Coréen Bong Joon-ho (Parasite en 2019). Jamais un cinéaste indien n’a été sacré sur la Croisette, malgré la profusion d’œuvres produites par Bollywood.
Hormis les Palmes attribuées à l’Algérien Mohammed Lakhdar-Hamina (Chronique des années de braise en 1975) et au Franco-Tunisien Abdellatif Kechiche (La Vie d’Adèle en 2013), les cinéastes africains sont boudés. Le cinéma du Moyen-Orient est, lui aussi, peu récompensé, avec seulement deux Palmes d’or à la Turquie (Yol de Yilmaz Güney et Serif Gören en 1982 et Winter Sleep de Nuri Bilge Ceylan en 2014) et une à l’Iran (Le Goût de la cerise d’Abbas Kiarostami en 1997). Le cinéaste iranien Mohammad Rasoulof a été retenu quatre fois en Sélection officielle et a reçu trois prix, dont le Prix spécial en 2024 pour Les Graines du figuier sauvage, mais n’a jamais obtenu la Palme. De même pour son compatriote Jafar Panahi, qui est cette année en lice avec Un simple accident.
Par ailleurs, le Festival de Cannes a longtemps été une histoire diplomatique. Avant 1972, les films en compétition n’étaient pas choisis par le comité de sélection de l’événement, mais par les pays. Ce mode de désignation laissait peu de place aux cinéastes critiques ou très novateurs. Les Sélections officielles et les palmarès étaient donc le reflet des rapports de force sur la scène internationale, retrace Radio France.
Un titre (presque) réservé aux habitués de la compétition
Pour décrocher la récompense suprême, il vaut mieux ne pas être un nouveau venu sur la Croisette. Depuis 1955, 77% des Palmes d’or ont été décernées à des cinéastes qui avaient déjà été retenus précédemment en compétition ou dans les autres sections de la Sélection officielle (Un certain regard, séances spéciales…).
La Croisette compte même un très sélect « club des 9 », du nom des neuf réalisateurs qui ont reçu deux Palmes : Francis Ford Coppola, Bille August, Shohei Imamura, Emir Kusturica, les frères Jean-Pierre et Luc Dardenne, Michael Haneke, Ken Loach et Ruben Östlund.
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La liste des films en compétition de cette 78e édition est une nouvelle fois truffée d’habitués de la Croisette. Outre les frères Dardenne qui concourent pour la dixième fois avec Jeunes mères, l’Américain Wes Anderson (The Phoenician Scheme) et l’Ukrainien Sergei Loznitsa (Two Prosecutors) comptent chacun quatre sélections en compétition, tandis que le Français Dominik Moll, avec Dossier 137, est pour la troisième fois en lice pour la Palme.
Quatre cinéastes n’ont jamais été retenus en Sélection officielle auparavant : le réalisateur chinois Bi Gan qui présente Résurrection, l’Américain Ari Aster dont le film Eddington a divisé la Croisette, l’Espagnole Carla Simón avec Romería et l’Allemande Mascha Schilinski, qui a enthousiasmé la critique avec Sound of Falling. A eux de faire mentir les statistiques.