Les députés entament, dans l’hémicycle, l’examen de la très médiatisée proposition de loi pour lutter contre le trafic de drogue. Parmi les nombreuses mesures en débat : la refonte du statut de repenti.
C’est un texte emblématique et transpartisan qui est examiné, lundi 17 mars, en séance publique à l’Assemblée nationale. La proposition de loi pour lutter contre le trafic de drogue, portée par le Parti socialiste et Les Républicains et largement soutenue par le gouvernement, a été adoptée à l’unanimité au Sénat début février, et modifiée ensuite par les députés de la commission des lois. Ce texte entend compléter l’arsenal répressif contre le trafic de drogues et prévoit notamment la création d’un parquet spécialisé.
Il propose aussi la refonte du statut de repenti, sur le modèle italien. « Si on a besoin de ce statut, c’est précisément pour éviter d’autres victimes et d’autres familles endeuillées », a assuré au Parisien(Nouvelle fenêtre), samedi 15 mars, le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau. Franceinfo s’est penché sur l’évolution que ce statut pourrait connaître.
1 Que dit le droit actuel ?
Le statut de repenti n’est pas nouveau. Il a été créé en 2004 par la loi Perben II sous le nom de « collaborateur de justice », mais le décret d’application n’a été pris que dix ans plus tard, en 2014. « Il offre à un membre du crime organisé une nouvelle identité, une protection policière, une aide financière et des réductions de peines en échange d’informations », détaille Le Figaro(Nouvelle fenêtre). « Le statut de ‘repenti-collaborateur de justice’ existe en France depuis dix ans, mais seules 42 personnes et leurs proches font partie du programme », souligne Luca Luparia Donati, professeur de droit à l’université de Rome III, auprès du « Club des juristes »(Nouvelle fenêtre).
En avril 2024, le ministre de la Justice de l’époque, Eric Dupond-Moretti, annonce qu’il veut aller plus loin en créant un « véritable statut du repenti », inspiré du modèle en vigueur en Italie pour lutter contre la mafia. Le garde des Sceaux propose que le juge puisse octroyer un statut spécial à un repenti ayant « collaboré avec la justice » et « fait des déclarations sincères, complètes et déterminantes pour démanteler des réseaux criminels ». La peine encourue par l’intéressé serait réduite et il lui serait proposé, pour sa protection, « un changement d’état civil officiel et définitif ».
Une annonce saluée à l’époque, à l’image de la spécialiste des mafias Clotilde Champeyrache, dans Le Monde(Nouvelle fenêtre), le 27 mai 2024. « Adoptons (…) le statut de collaborateur de justice à l’italienne. Il fonctionne et a donné quelques beaux résultats. Mais n’en attendons pas de miracles : pour que des criminels du ‘haut du spectre’ parlent, il faut que soient réunis un grand nombre d’éléments – les garanties de protection n’en [sont] qu’un, nécessaire mais insuffisant », écrivait-elle. Mais, du fait de l’instabilité politique créée par la dissolution, l’annonce d’Eric Dupond-Moretti ne s’est jamais concrétisée.
2 Que propose le texte imaginé par les sénateurs ?
Sur le modèle de la loi antimafia italienne, les sénateurs ont donc imaginé une refonte du statut actuel pour le rendre plus attractif, pouvant aller jusqu’à un système d’immunité de poursuites. Concrètement, la justice et le repenti signeraient une convention. Celui-ci bénéficierait de mesures de protection et de réinsertion, comme la possibilité de prendre un nom d’emprunt, ainsi que d’une réduction de la peine encourue, voire d’une exemption en échange de ses révélations. Une immunité totale ou partielle des poursuites est même envisagée dans le cas où les informations dévoilées permettraient d’identifier un grand nombre d’auteurs ou de complices ou d’empêcher une infraction particulièrement grave.
Ce dispositif serait également étendu aux crimes de sang. « Ecarter les crimes de sang, c’est se priver d’un grand nombre d’affaires, compte tenu de la quantité des faits de violence liés au narcotrafic », assure au Dauphiné libéré(Nouvelle fenêtre) le sénateur LR Etienne Blanc, coauteur de cette proposition de loi. Et d’ajouter : « Bien sûr que pour la famille d’une victime, ce sera difficile à accepter, mais ce sera au juge de décider. »
Les élus ont toutefois prévu des garanties : si la personne repentie qui dénonce un ou plusieurs trafiquants « a effectué des déclarations volontairement inexactes ou incomplètes ou si elle commet une nouvelle infraction ou viole l’un des engagements pris dans le cadre de la convention qu’elle a conclue avec l’autorité judiciaire », l’immunité accordée « prend fin de plein droit », précise le texte.
3 Comment se positionne le gouvernement ?
Le gouvernement n’est pas favorable à l’extension du dispositif aux crimes de sang. Lors de l’examen au Sénat, le garde des Sceaux, Gérald Darmanin, avait déposé un amendement pour revenir sur cette immunité, qu’il a finalement retiré pour laisser le débat se poursuivre à l’Assemblée. « Dire à nos compatriotes que nous abandonnons toutes les poursuites parce que quelqu’un aura parlé, ce n’est pas évident non plus. Le garde des Sceaux est aussi le ministre des victimes », avait-il rappelé, devant la chambre haute, selon des propos rapportés par Public Sénat(Nouvelle fenêtre).
« Le Sénat est allé trop loin en pardonnant des crimes de sang », fait-on valoir au ministère de la Justice, où l’on s’oppose aussi à une immunité totale. « Pas d’immunité, surtout pas, mais on se posera la question sur la perpétuité et sur le régime de détention. Ceux qui parlent n’iront pas dans ce régime de détention durcie. » Un point de vue exprimé par Gérald Darmanin, lors de son audition(Nouvelle fenêtre), le 4 mars, par les députés : « En Italie, le statut du repenti fonctionne non pas parce que l’on a une immunité, mais parce que l’on n’a pas le même régime de détention que ceux qui ne parlent pas. »