Un étrange tourisme de mémoire s’est développé dans cette banlieue de Kiev, où un massacre avait eu lieu en 2022. Pour les guides, il s’agit de prévenir la banalisation, et de mobiliser l’opinion internationale sur le sort de l’Ukraine.
La ville de Boutcha panse ses plaies depuis un peu plus de deux ans et demi. Le 1ᵉʳ avril 2022, le monde découvrait l’ampleur du massacre de civils par les armées russes : plus de 500 personnes avaient été exécutées, certaines ligotées ou torturées. Cette petite banlieue coquette de Kiev est devenue, au printemps 2022, le symbole des crimes de l’armée russe en Ukraine. Svit, un guide touristique de Kiev, promène Cornelius, un jeune touriste allemand, arrivé la veille en ville. « Ici même, sur moins de deux kilomètres, il y avait 72 cadavres, trouvés à même la rue, raconte le guide. La plupart étaient des civils tués, dont les corps n’avaient jamais été ramassés. Il s’agit de la rue où la plupart des massacres de civils ont eu lieu. »
Tout au long de la journée, la petite équipée explore l’ampleur de l’horreur. La voiture s’arrête devant les immeubles en ruine, les mémoriaux improvisés, et les quelques graffitis bombés ici et là par le célèbre street artiste Banksy. « On arrive à l’un des endroits les plus dramatiques du centre de Boutcha, décrit Svit. Juste ici, nous avons une fosse commune, creusée grâce au prêtre local. Il y a un mémorial juste derrière cette église, allons y jeter un œil. »
« Ça brise le cœur »
Cornelius a 22 ans. Ce jeune apprenti pilote de ligne est venu contempler de ses propres yeux Boutcha, Irpin et Borodianka, ces villes entrées dans l’histoire de la plus terrible des façons. « On n’arrive pas vraiment à croire qu’au XXIe siècle, des êtres humains ont pu faire de telles choses à d’autres êtres humains. Ça brise le cœur pour être honnête. »
« Je ne voulais pas venir pour voir des tanks ou des immeubles détruits. Je ne suis pas venu ici en vacances, je suis venu pour apprendre. »
Cornelius, 22 ans
à franceinfo
Chaque semaine, Svit emmène un à deux groupes de touristes étrangers. La veille, il y avait trois retraités venus d’Irlande. Cette visite est un moyen pour lui de pallier la chute du tourisme à Kiev, mais aussi d’apporter sa contribution à la défense du pays. « Notre rôle principal est d’informer nos voisins européens, explique Svit. Nos clients vont raconter ce qu’ils ont vu à leur famille. Nous croyons qu’il faut encore dévoiler ce qui s’est passé ici, pour garder l’Ukraine dans le radar des médias européens, ne jamais laisser les gens oublier et ce qui pourrait potentiellement se passer si on n’aide pas l’Ukraine. »
Sur les réseaux sociaux russes, Svit a été accusé de profiter de la guerre. Un reproche qu’il réfute : pour chaque visite facturée, la moitié des bénéfices est reversée aux forces armées.