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Un « technofascisme » est-il en train de s’imposer aux Etats-Unis ? Depuis son retour à la Maison Blanche, Donald Trump mène une attaque en règle contre les institutions et les contre-pouvoirs. Le président américain impose ses vues conservatrices à coups de décrets, dirigeant le pays d’une manière à la fois solitaire et autoritaire, n’hésitant pas à braver, voire à menacer, ceux qui s’opposent à ses réformes, à commencer par les juges qui bloquent ses décisions.
Dans cette offensive réactionnaire, le milliardaire républicain peut compter sur des soutiens de poids : des grands patrons ayant fait fortune dans le secteur des nouvelles technologies et mettant leurs moyens au service de leur idéologie libertarienne ou réactionnaire. Le plus médiatique d’entre eux est évidemment Elon Musk, qui s’est vu confier pendant quelques mois la direction du Doge, Commission pour l’efficacité gouvernementale, et a sabré dans les dépenses publiques avec la bénédiction de Donald Trump. Mais d’autres figures, moins connues du grand public, ont une influence tout aussi importante à Washington. Donald Trump a de son côté placé la technologie au premier plan, en faisant figurer des magnats du secteur en bonne place lors de son investiture et en annonçant des investissements conséquents dans les infrastructures du secteur de l’intelligence artificielle (IA).
L’enquête de franceinfo, réalisée par Luc Brisson et Julien Pain et diffusée vendredi 6 juin à 21h55 sur le canal 16 de la TNT, s’intéresse aux « barons de la Sillicon Valley à l’assaut de la démocratie » américaine. Elle tente d’expliquer comment ces fortunes de la tech ont soutenu et favorisé l’accession au pouvoir de Donald Trump en distillant leur idéologie et en bousculant les valeurs du pays. Ce reportage long format explore le parcours de ces architectes d’un nouveau monde désireux de renverser l’ordre établi, décrypte leurs objectifs, remonte aux racines de leur influence et dresse le portrait d’idéologues de l’ombre.
Peter Thiel, ou trois décennies d’influence libertarienne
Conjuguer technologie de pointe, idéologie réactionnaire et pouvoir politique n’est pas une idée récente mais née dès la fin des années 1990 dans l’esprit d’une éminente figure de la Silicon Valley : Peter Thiel. Moins médiatisé et moins riche que ses « confrères », cet investisseur, qui a créé avec Elon Musk Paypal, première plateforme de paiement en ligne, et investi massivement dans Facebook, est l’un des artisans majeurs du rapprochement avec Donald Trump.
Fils d’un patron d’industrie installé en Afrique du Sud et en Namibie, Peter Thiel grandit dans un monde où l’Apartheid domine et où les communautés ne se mélangent pas, tout comme Elon Musk. Etudiant en droit et en philosophie à l’université de Stanford, influencé par l’anthropologue français René Girard, il crée à l’époque la Stanford Review, un petit journal dans lequel il développe sa vision de la société et dénonce le multiculturalisme.
« Je pense que le thème central du multiculturalisme, c’est d’être anti-Occident », affirme en 1996 le jeune homme, qui voit dans les luttes contre le racisme et le sexisme un danger pour les Etats-Unis. Homosexuel assumé, l’entrepreneur marque pourtant son opposition aux mouvements en faveur des droits LGBT. Des sujets qui seront repris par le président Trump près de trois décennies plus tard. Adepte d’un libéralisme économique débridé, Peter Thiel commence à s’immiscer en politique et finance dès 2008 des candidats républicains. Il n’hésite pas à remettre en cause les fondements de la démocratie dans un article dans lequel il expose des positions politiques autoritaires. « Je ne crois plus que la liberté et la démocratie soient compatibles », écrit-il en 2009.
Curtis Yarvin, l’idéologue néoréactionnaire
L’idéologue qui inspire alors Peter Thiel est le néoréactionnaire Curtis Yarvin, dont France 24 avait dressé le portrait en janvier. Un informaticien qui ne croit pas au vote populaire et qui rêve de remplacer la démocratie par un système de gouvernance impérialiste détenu par un seul homme et inspiré du modèle entrepreneurial. « Curtis Yavin est un magnat de la tech, un blogueur qui vit dans la Silicon Valley depuis longtemps, et c’est un monarchiste », résume dans le reportage Fred Turner, professeur de communication à l’université de Stanford.
Connu pour ses écrits sur internet, Curtis Yavin devient une référence pour l’ultradroite. En 2012, il édite un manifeste intitulé « RAGE », dans lequel il donne des clefs afin d’abolir la bureaucratie fédérale américaine. « Licencier tous les fonctionnaires de l’Etat, c’est très simple », écrit-il alors. Une volonté qui sera mise en œuvre par Elon Musk, avec le renvoi de dizaines de milliers de fonctionnaires.
J.D. Vance comme protégé pour préparer l’après-Trump
En 2016, lors de la première campagne présidentielle victorieuse de Donald Trump, Peter Thiel est le premier et le seul milliardaire de la tech américaine à faire campagne pour l’homme d’affaires, allant à contre-courant de l’opinion démocrate dominante dans la Silicon Valley. Cet anticonformiste devient conseiller du républicain et ne tarde pas à convaincre les patrons des Gafam – les géants du web, Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft – de le suivre, surtout lorsque l’administration Biden décide d’encadrer le secteur de l’intelligence artificielle.
En 2024, son influence s’étend encore un peu plus lorsqu’il œuvre en coulisse afin que le nouveau maître de la Maison Blanche choisisse son protégé, J.D. Vance, comme vice-président. Le futur vice-président est étudiant lorsqu’il rencontre Peter Thiel qui fait la tournée des universités pour présenter un livre qu’il vient d’écrire. Impressionné par le milliardaire, il épouse rapidement ses idées ultra-conservatrices, et Peter Thiel l’embauche dans l’un de ses fonds d’investissement dans la Silicon Valley à la fin de ses études. En 2021, il le présente à Donald Trump, puis finance sa campagne aux sénatoriales.
J.D. Vance est sur orbite et s’investit à plein dans son rôle de vice-président, comme le démontrent ses interventions particulièrement offensives lors d’une visite du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à la Maison Blanche, fin février, ainsi que lors d’un voyage officiel à Munich, où il n’a pas hésité à sermonner les Européens. « Je pense que J.D. Vance est en train d’être préparé pour 2028, y compris par le monde de la tech », analyse dans le reportage Laura Field, chercheuse spécialiste de l’extrême droite.
L’enquête de franceinfo Technofacisme : les barons de la Sillicon Valley à l’assaut de la démocratie, réalisée par Luc Brisson et Julien Pain, est diffusée vendredi 6 juin à 21h55 sur franceinfo, canal 16 de la TNT, et disponible sur la plateforme france.tv.