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Abderrahmane devra patienter pour revoir sa famille. Après deux mois d’attente, sa mère vient de voir sa demande de visa refusée par les autorités françaises. « On lui a dit que les justificatifs présentés n’étaient pas valides, alors qu’elle avait déjà obtenu deux fois des visas par le passé », explique, jeudi 17 avril, cet étudiant algérien de 27 ans, qui n’a pas vu ses parents depuis son arrivée en France, il y a 18 mois. « Ma mère était triste, mais elle n’a pas été surprise. Quand deux pays se livrent une guéguerre, on s’attend à ça… »
La brouille diplomatique entre la France et l’Algérie s’est intensifiée ces derniers jours, avec la décision d’Emmanuel Macron d’expulser douze agents consulaires algériens, en réponse à une mesure similaire prise par Alger. « Il faudra monter en puissance » si les autorités algériennes refusent toujours d’accepter leurs ressortissants expulsés de France, a prévenu sur RTL Bruno Retailleau. « On a de nombreux instruments, que sont les visas, les accords », a ajouté le ministre de l’Intérieur.
« L’Algérie et la France, c’est comme un vieux couple »
Ces mesures de rétorsion n’impressionnent pas Rabah. « Pour moi, c’est du cinéma cette crise, c’est un concours de muscles », estime ce « Franco-Kabyle »de 49 ans, venu renouveler son passeport au consulat d’Algérie à Bobigny (Seine-Saint-Denis). « On a l’habitude des crises entre la France et l’Algérie. On laisse passer la tempête », rigole Kamel, 60 ans, installé en France depuis près de 40 ans. « L’Algérie et la France, c’est comme un vieux couple, ils s’aiment, ils ne s’aiment plus, mais ils restent ensemble », ajoute un Algérien d’une trentaine d’années, dans la file d’attente du consulat général d’Algérie à Paris.
Pour les personnes qui entreprennent actuellement des démarches administratives, la situation diplomatique provoque quand même des bouffées d’angoisse. « On a déjà eu quelques retours d’étudiants faisant état du ralentissement des dossiers pour les titres de séjours », rapporte Yacine Bouzidi, un responsable de l’association Etudiants et cadres algériens en France (Ecaf). Il admet avoir du mal à mesurer le rôle des tensions entre Paris et Alger dans ces blocages administratifs. En 2024, le nombre de titres de séjour accordés pour la première fois à des ressortissants algériens était en baisse de 9,1%, mais les renouvellements en forte hausse (+24,3%). Il faudra attendre avant de pouvoir constater si cette tendance évolue en 2025, mais Yacine Bouzidi constate déjà que « le conflit diplomatique actuel, par son côté inédit, génère du stress et de l’anxiété chez les adhérents ».
Le risque de blocage des visas peut par ailleurs plonger certains étudiants dans l’isolement. « Nos parents ne peuvent plus venir nous voir et l’argent qu’on nous envoie n’arrive pas en raison d’un blocage des banques. Ou alors au bout de deux, trois mois… C’était déjà le cas avant, mais aujourd’hui la situation empire », souffle Abderrahmane, qui termine son master de lettres modernes à Cergy-Pontoise (Val-d’Oise). En 2024, le nombre de visas accordés aux Algériens par la France était en hausse de 19,3%, selon le ministère de l’Intérieur. Des statistiques qui, là aussi, ne reflètent pas encore les possibles conséquences de la crise diplomatique de ces derniers mois.
Des projets de vie en pause
Pour les Algériens en attente d’un titre de séjour, les tensions diplomatiques sont synonymes d’incertitude. « Ma carte de séjour de 10 ans expire dans quatre mois », explique Sabria. Cette retraitée qui vit en France depuis 18 ans envisageait d’acheter un appartement. « J’ai mis ce projet sur pause, le temps d’avoir une réponse » de l’administration. « Ça m’inquiète beaucoup. On ne sait jamais : est-ce que ma carte de séjour sera bien renouvelée ? »
« On ne sait pas ce qui nous attend », poursuit Yam*, chauffeur de bus de 27 ans, qui pense au renouvellement de ses papiers. « C’est déjà devenu plus difficile d’obtenir un titre de séjour de longue durée, donc dans quatre ans, je ne sais pas où on en sera. » Billy*, 33 ans, attend sa régularisation. « J’espère que cette crise ne m’empêchera pas d’obtenir ma carte de séjour : je travaille, je paie mes impôts, je parle français, je ne fais de mal à personne », plaide ce chauffeur poids-lourd, arrivé en France en même temps qu’Emmanuel Macron à l’Elysée.
Sarah* admet un sentiment d’urgence. Cette journaliste en apprentissage, née en France d’un père franco-algérien, a entamé les démarches avec l’Algérie pour obtenir la double nationalité. « Depuis le début des tensions, je me dis qu’il faut que j’accélère le processus et que je fasse la demande au plus vite, tant que c’est possible », explique-t-elle. En miroir, Chakib a demandé sa naturalisation pour devenir Français. « C’est déjà extrêmement lent à la base et avec le contexte actuel, ça rajoute de l’incertitude », témoigne cet informaticien de 29 ans, arrivé en France il y a sept ans. « Est-ce qu’on aura toujours le droit à la binationalité ? Est-ce que la France va remettre en question le droit à la naturalisation ? »
Un mal-être grandissant
Les acteurs économiques surveillent la situation de près. « Certains cadres travaillent à la fois en France et en Algérie, alors, fatalement, ce type de crise peut avoir un impact sur leur activité », relève Yacine Bouzidi, de l’Ecaf. Mercredi, le Conseil du renouveau économique algérien, principale organisation patronale dans le pays, a annulé une rencontre prévue en France avec le Medef. « Dans mon entourage, plein d’Algériens qui ont l’habitude de travailler avec des institutions françaises hésitent désormais à le faire, car ça risquerait d’être mal vu par leurs proches ou par le pouvoir algérien », assure aussi Khadija*, réalisatrice.
Surtout, ils sont nombreux à décrire un mal-être grandissant. « C’est un peu gênant pour nous, (…) on est moitié là, moitié là-bas, on a deux pays », résume Rebiha, quadra franco-algérienne. « J’ai peur que dans quelque temps, on nous demande de choisir entre la France et l’Algérie », s’inquiète aussi Karima, conseillère France Travail et binationale. Le malaise n’est pas nouveau. « Sur BFMTV, on n’arrête pas de parler mal des Algériens. Et quand ce n’est pas nous, ce sont les musulmans », s’énerve Billy. « Face à certains commentaires sur les réseaux sociaux, qui témoignent d’une haine ouvertement raciste, j’ai un peu honte d’être en France, lâche Khadija. Je me dis que je suis dans un pays qui, clairement, ne veut plus de moi. »
« Psychologiquement, on se sent atteint par cette situation », confirme Chakib, qui se pose aussi la question du retour en Algérie. « La population qualifiée, parfois formée en France, sera la première à revenir, car elle a les moyens de déménager et de retrouver du travail », alerte-t-il. Ces derniers temps, les autorités algériennes « tendent d’autant plus la main » aux professions intellectuelles et libérales « pour revenir », confirme Nadir, avocat binational. « Tout est fait pour vous faciliter la vie », assure-t-il, évoquant notamment les volets administratifs et financiers.
Alors qu’ils anticipent un avenir incertain, les Algériens de France ont un sentiment de gâchis, estimant que la brouille pouvait être évitée. « On n’aurait pas dû en arriver là, la France et l’Algérie ont de bonnes relations. Mais Bruno Retailleau essaie vraiment de saboter la diplomatie franco-algérienne », accuse Billy. Parmi les personnes interrogées, le ministre de l’Intérieur français est largement tenu responsable de la crise actuelle. « Je fais la une des médias qui sont à la botte du pouvoir, des médias algériens. Je suis la cible », rétorque l’intéressé sur RTL. Le ministre a d’ailleurs gagné un surnom de l’autre côté de la Méditerranée, raconte à franceinfo un journaliste de retour d’Alger : « Dans la rue, les gens l’appellent ‘Retailleau La Haine' ».