Surpopulation carcérale : quels sont les pays européens qui louent des places de prison à l'étranger, comme Emmanuel Macron l'envisage pour la France ?
Surpopulation carcérale : quels sont les pays européens qui louent des places de prison à l'étranger, comme Emmanuel Macron l'envisage pour la France ?

Surpopulation carcérale : quels sont les pays européens qui louent des places de prison à l’étranger, comme Emmanuel Macron l’envisage pour la France ?

14.05.2025 14:02
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Face à des prisons qui débordent, ou par anticipation, la Belgique, la Norvège, le Danemark ou encore la Suède ont exploré cette option controversée. D’autres pays, comme l’Estonie, offrent leurs services.

Les lits d'une cellule de prison à Budapest (Hongrie), le 31 janvier 2024. (SZILVIA ZSOFIA SZOLLAR / INDEX / AFP)
Les lits d’une cellule de prison à Budapest (Hongrie), le 31 janvier 2024. (SZILVIA ZSOFIA SZOLLAR / INDEX / AFP)

Pour lutter contre la surpopulation carcérale, qui atteignait 133% en avril en France (82 921 détenus pour 62 358 places), Emmanuel Macron s’est dit favorable, mardi 13 mai sur TF1, à une alternative qui peut surprendre : louer des places en prison dans des pays voisins. « Il n’y a pas de tabou là-dessus », a commenté le président de la République. Le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, a récemment proposé de nouvelles pistes pour le système pénitentiaire français, comme la participation des détenus à leurs frais de détention et l’installation de préfabriqués. Le garde des Sceaux table sur 3 000 places supplémentaires, grâce à ces futures structures modulaires.

Mais ce chiffre reste toutefois bien loin de l’objectif des 15 000 places supplémentaires promises en dix ans par Emmanuel Macron depuis la campagne présidentielle de 2017. Le regard du chef de l’Etat se tourne donc vers l’étranger, pour trouver « les places de prison là où elles sont disponibles ». Chez nos voisins,le recours à la location de cellules est plus répandu que l’on pourrait le croire. Tour d’horizon de cette pratique en Europe.

La Belgique a déjà confié ses détenus à son voisin néerlandais

Au début des années 2010, des détenus condamnés en Belgique ont été envoyés dans la prison de Tilburg, aux Pays-Bas. A l’époque, la surpopulation carcérale dépassait 120% dans les établissements pénitentiaires du plat pays. A l’inverse, le système néerlandais faisait alors face à une baisse de la criminalité, des condamnations, et disposait de plusieurs centaines de cellules vides. « L’idée au départ était d’y envoyer des détenus néerlandophones puisque le personnel de cette prison parle néerlandais. Au final, à la fin du projet, on a vu que la population carcérale était composée de 70% de personnes sans titre de séjour », retrace auprès de la RTBF la juriste Olivia Nederlandt, au sujet de cet accord en vigueur de 2010 à 2016. 

Cette politique, que l’actuel gouvernement belge envisage à nouveau, fait toutefois grincer des dents les proches de prisonniers. « Lorsque des personnes sont en prison, elles ne sont pas privées de droit : elles ont droit à des visites, à des relations familiales, à la préparation à la réinsertion…« , fait remarquer Olivia Nederlandt. Autant de sujets rendus plus compliqués par une incarcération à l’étranger, souligne-t-elle encore à la RTBF. 

Tout comme la Belgique, la Norvège a loué en 2015 des cellules aux Pays-Bas, dans la prison de Norgerhaven, comme le rapportaient les services correctionnels du pays. Cet accord a pris fin en 2018.

Le Danemark loue des centaines de cellules au Kosovo

Faute de place dans ses établissements pénitentiaires, le Danemark a obtenu en 2019 un accord avec le Kosovo, situé à plus de 2 000 km au sud du royaume. Cette coopération porte sur 300 cellules individuelles, comme l’a rapporté la BBC, pour un coût annuel de 15 millions d’euros. Signé en 2021, l’accord a pris la forme d’un traité sur dix ans à partir de septembre 2024, explique Euronews. Pour le ministre de la Justice danois, Peter Hummelgaard, l’idée est « d’exploiter les capacités excédentaires des prisons et des centres de détention » du Kosovo, afin de décharger les prisons danoises. « C’est une aide précieuse pour le Danemark, à un moment où les services pénitentiaires et de probation sont sous pression », déclarait-il lors d’une visite dans ce pays des Balkans.

Placées sous la loi danoise, les cellules louées sont destinées à héberger des détenus originaires de pays non membres de l’UE, et qui doivent être expulsés du Danemark après leur condamnation. Là aussi, des voix se sont élevées contre cet accord d’incarcération à l’étranger. Outre les problèmes d’accès aux soins et aux visites, « nous avons reçu des plaintes très crédibles concernant des violences physiques, par exemple des coups de poing et des coups de pied en étant menotté », a signalé Therese Rytter, directrice juridique de l’Institut danois contre la torture, citée par le journal Kristeligt Dagblad.

La Suède réfléchit à un plan similaire face à une flambée des crimes violents

Le gouvernement suédois a fait savoir début janvier qu’il examinait la possibilité d’envoyer une partie de ses détenus à l’étranger afin qu’ils y purgent leur peine. Cette mesure se base sur l’anticipation d’une forte pression sur les prisons suédoises dans les prochaines années. Le pays nordique fait face à une augmentation des règlements de comptes ultraviolents entre bandes criminelles rivales. L’exécutif conservateur, soutenu par le parti d’extrême droite SD, a mis en place plusieurs mesures pour lutter contre cette criminalité, et s’attend à une augmentation sensible des condamnations, et donc des incarcérations.

Quelques lignes conductrices ont déjà été proposées par la commission d’experts chargée d’étudier le transfert de détenus vers des pays partenaires. « Il doit s’agir de pays comparables situés à proximité, notre recommandation est que cela se fasse au sein de l’UE ou dans l’espace Schengen », a souligné Mattias Wahlstedt, président de la commission, cité par l’AFP, sans donner d’exemple précis. 

Cette idée a provoqué une levée de boucliers au sein de l’organisation syndicale Seko, qui représente notamment les salariés de l’administration pénitentiaire. « Les services publics ne doivent pas être délocalisés vers d’autres pays, c’est une question de sécurité juridique, mais aussi pour éviter que les services publics ne soient cédés et exploités par des acteurs privés », a alerté Christer Hallkvist, l’un de ses responsables, qui réclame de meilleures conditions de travail et l’ouverture de places supplémentaires sur le sol suédois.

L’Estonie pourrait proposer ses prisons à toute l’Europe

La ministre de la Justice estonienne, Liisa Pakosta, a glissé sur la table, fin août 2024, un plan pour rentabiliser les cellules vacantes dans trois prisons du pays, arguant auprès de la chaîne publique ERR que « la moitié des places sont vides »dans les établissements pénitentiaires estoniens. La location de ces cellules afin d’accueillir des détenus condamnés ailleurs en Europe pourrait rapporter « au moins 30 millions d’euros de revenus par an pour l’Etat », estime-t-elle par ailleurs.

L’Estonie revient fréquemment dans les plans d’incarcération à l’étranger formulés par d’autres pays d’Europe, comme lorsque l’ancien gouvernement conservateur britannique de Rishi Sunak réfléchissait à externaliser la détention de certains condamnés. L’ex-ministre de la Justice, Alex Chalk, avait songé à envoyer dans ce pays balte les détenus incarcérés en Angleterre et au pays de Galles, comme l’expliquait le Guardian en septembre 2024. 

Pour défendre son offre, l’Estonie fait valoir qu’elle détient déjà sur son sol des criminels de guerre étrangers, condamnés ailleurs, « à la prison de Tartu« , dans l’est du pays, comme l’a expliqué la ministre Liisa Pakosta. « Nous disposons de trois prisons très modernes. Toute évasion est exclue, personne ne s’en est jamais échappé », s’est-elle même félicitée.

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