Consciente de son retard par rapport à ses voisins européens, la France du ski entame une réforme de sa formation pour retrouver le premier plan, notamment en vue des JO dans les Alpes en 2030.
Pour la première fois depuis 2003, l’équipe de France n’a ramené aucune médaille des championnats du monde de ski alpin, en février, à Saalbach (Autriche). Le point d’orgue d’un hiver globalement raté pour le ski alpin tricolore, en dehors des quatre victoires en Coupe du monde de Clément Noël. S’il a de nouveau échoué dans sa quête du petit globe de cristal du slalom (4e au final), et du titre mondial, le champion olympique 2022 a quand même été le seul rayon de soleil dans ce triste hiver, qu’il a conclu avec une deuxième place sur le slalom des finales de la Coupe du monde à Sun Valley, jeudi 27 mars.
« J’ai l’impression que ma saison méritait un peu mieux que ça, mais les points c’est les points, ça ne ment pas », a reconnu Clément Noël après cette ultime épreuve. « Le bilan est décevant, forcément, concède Fabien Saguez, président de la Fédération française de ski (FFS) auprès de franceinfo: sport. Malgré les blessures, notamment de Cyprien Sarrazinet d’Alexis Pinturault, certains athlètes ont sous-performé. Ce n’était pas une saison satisfaisante ». En 90 courses, la France a décroché 49 top 10, dont seulement sept pour l’équipe de France féminine.
Absent une longue partie de l’hiver après une blessure au genou, Alexis Pinturault ne peut que constater : « Ça fait mal au cœur. Ce n’est pas comme ça qu’on veut voir l’équipe de France. Mais le sport, c’est cyclique. Il faut tirer des leçons et accompagner la nouvelle génération », nous dit-il.
La Suisse et l’Autriche comme exemples
Directeur du ski alpin à la FFS, David Chastan partage ce constat, mais note quand même quelques points positifs : « Steven Amiez a bien émergé en slalom, Thibaut Favrot et Léo Anguenot progressent en géant, Nils Allègre aussi en descente, énumère-t-il auprès de franceinfo: sport. Et les jeunes arrivent, même si ça prend du temps. Un skieur ne se construit pas en un an… Chez les femmes, on a un groupe qui est en train de se construire en slalom. En géant, Clara Direz a raté sa saison. On va partir d’un peu plus loin. Et en vitesse, on a un gros travail de fond à faire. On a peu de filles, ça ne pousse pas beaucoup, on va devoir donner envie aux filles d’y aller. »
Pour expliquer ce bilan famélique, face aux petits mais puissants voisins que sont l’Autriche et la Suisse, c’est d’abord l’argent qui fait la différence : « La fédération suisse dispose d’un budget de 108 millions d’euros. Nous on est à 25 millions d’euros, pose Fabien Saguez. Ça n‘explique pas tout, mais ça leur permet déjà de mieux investir sur la formation que nous« . Mais pas seulement. « Les Suisses peuvent mettre beaucoup de choses en place, avec par exemple des ingénieurs qui viennent étudier la neige et l’hydrométrie de chaque piste », explique Alexis Pinturault.
« Grâce à ses ingénieurs, la Suisse fait des choix tactiques en fonction de la neige, de calculs GPS. Ce sont des outils qui font gagner des dixièmes, des centièmes voire même des secondes. »
« En Suisse ils ont des pistes dédiées à l’entraînement, où ils injectent de l’argent, ce qui motive certaines stations et ce qui permet de créer des camps d’entraînement, tandis que nous, on demande l’accès à une piste gratuitement, déplore David Chastan. D’autant qu’on peut de moins en moins skier sur nos glaciers français. A l’automne, on doit s’expatrier à l’étranger où l’on n’est pas prioritaire pour s’entraîner. »
JO 2026 : du bricolage à la marge
En attendant que la FFS trouve un tel budget et s’entoure d’universitaires au service de la performance, David Chastan réfléchit donc à d’autres pistes pour le ski alpin tricolore. A court terme, l’objectif du directeur des équipes de France est « d’optimiser les structures, de recréer une dynamique notamment chez les filles, pour sortir un peu du confort de fonctionnement, notamment en regroupant les athlètes, en les confrontant régulièrement. »
« Il faut simplifier les choses, pour qu’on ait une dynamique de groupe, dans le sport individuel qu’est le ski. On doit être plus efficace, ce qui ne passe pas uniquement par un suivi personnalisé. »
Symbole de ce regroupement : Alexis Pinturault qui va retrouver le groupe masculin de technique. Après avoir bénéficié de sa propre structure pendant plusieurs saisons, quand il courait sur plusieurs disciplines, le skieur de Courchevel va se reconcentrer uniquement sur le slalom géant pour son dernier hiver. « C’est logique, et puis je pourrai certainement apprendre des choses aux jeunes, comme je vais en apprendre d’eux, parce qu’on a des jeunes prometteurs. On va tous bénéficier de cette alchimie », espère le vainqueur du gros globe de cristal 2021.
Voilà pour l’horizon 2026, et les JO de Milan-Cortina. Mais à moyen terme, la FFS se lance dans une refonte beaucoup plus globale de son système de formation : « Il faut qu’on trouve notre modèle de formation pour avoir plus de densité et mieux alimenter les équipes de France, annonce David Chastan. Parce que un skieur ça ne se construit pas en un an, mais en plusieurs années ».
En juillet prochain, la première promotion du projet « excellence 2030 & 2034 » entrera ainsi au centre national du ski alpin d’Albertville. Le but : réunir les meilleurs talents du ski français, des U18 aux U21. « C’est un projet qui était dans les cartons depuis longtemps, avec un double projet sportif et scolaire, destiné à optimiser les charges de travail pour tout le monde, et qui va établir un cadre plus clair pour les parents et les athlètes », détaille David Chastan.
Place à la centralisation
Concrètement, l’objectif est d’unifier le ski alpin tricolore, là où chaque région avait, jusqu’à présent, ses particularités et ses façons de faire. « On accueillait déjà des jeunes à Albertville, qui passaient le bac en deux ans avec l’école l’été, mais la partie purement ski était gérée par le comité d’origine. Là, le but, c’est d’uniformiser, de regrouper les talents pour créer de l’émulation », résume David Chastan. La France s’éloigne ainsi du modèle italien, avec des régions très autonomes, pour se rapprocher des modèles suisses et autrichiens.
« En Autriche, en Suisse, c’est très clair, c’est le national qui a la main sur l’ensemble de la chaîne. Un jeune qui rentre dans un sport études, il est dès le départ accompagné par sa fédération. Ensuite ils ont un vrai suivi de leurs athlètes. »
Huit entraîneurs vont ainsi encadrer, à plein temps, une trentaine de skieurs, avec un budget enfin pérenne pour ce centre national de formation du ski alpin, qui entend également donner sa chance à tous, y compris à des skieurs qui ne font pas partie des grands clubs de ski tricolores. Tout en coopérant avec les stations pour accueillir les entraînements.
Ambitieux, ce projet a évidemment été accéléré par l’attribution des JO 2030 aux Alpes françaises, mais pas seulement : « On sent une vraie volonté de la part de l’État et notamment de l’Agence nationale du sport [ANS], de nous soutenir dans l’ensemble de nos démarches en direction de 2030. Et du côté sponsors, de nouveaux acteurs sont susceptibles de nous soutenir dans la continuité de Paris 2024″, assure Fabien Saguez, qui imagine déjà décliner ce modèle à d’autres disciplines hivernales, comme le ski de fond.