Six questions sur l'impôt plancher de 2% pour les "ultrariches", adopté par les députés en première lecture
Six questions sur l'impôt plancher de 2% pour les "ultrariches", adopté par les députés en première lecture

Six questions sur l’impôt plancher de 2% pour les « ultrariches », adopté par les députés en première lecture

21.02.2025
6 min de lecture

Cette proposition de loi portée par les écologistes vise à créer un impôt plancher pour les 0,01% des contribuables les plus aisés.

Les plus aisés vont-ils être de nouveau mis à contribution ? Les députés ont voté, jeudi 20 février, une proposition de loi(Nouvelle fenêtre) visant à instaurer un impôt plancher de 2% sur le patrimoine des « ultrariches ». Le texte, examiné dans le cadre de la journée réservée aux initiatives parlementaires du groupe écologiste, a été adopté en première lecture par 116 voix contre 39. La députée écologiste Eva Sas, rapporteuse du texte, s’est félicitée d’un vote qui envoie « le signal » que « l’immunité fiscale des milliardaires, c’est terminé ». Le texte doit ensuite être examiné par le Sénat, dominé par une alliance de la droite et du centre, où ses chances d’être adoptées sont minimes. Franceinfo vous en dit plus sur cette proposition.

1En quoi consiste cet impôt plancher ?

La proposition de loi écologiste prévoit de créer, à partir du 1er janvier 2026, un « impôt plancher sur la fortune (IPF) ». Il s’agit de s’assurer que les contribuables qui possèdent plus de 100 millions d’euros de patrimoine s’acquittent, chaque année, de l’équivalent de 2% de la valeur de leur patrimoine en impôts sur le revenu et sur la fortune. Si ça n’est pas le cas, alors ils seront redevables de la différence, au titre de l’IPF.

Le calcul de l’IPF prend en compte les sommes acquittées au titre de l’impôt sur le revenu, de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), de la contribution sociale généralisée (CSG), des contributions au remboursement de la dette sociale (CRDS) et de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR), détaille le texte.

L’impôt est dit « plancher » car il veut garantir une contribution « minimum » en impôts. Il est aussi dit « différentiel » parce qu’il se fonde sur la différence entre les impôts déjà acquittés par le contribuable et ce plancher, « ce qui neutralise tout risque de double taxation », relèvent les rapporteuses du texte, les députées Eva Sas et Clémentine Autain.

2 Comment ses partisans le justifient-ils ?

Les députées écologistes calculent que cet impôt pourrait rapporter 15 à 25 milliards de recettes à l’Etat. Elles avancent aussi, pour défendre leur proposition, que le « niveau de déficit exceptionnellement élevé (…) résulte d’une politique systématique de baisse d’impôt depuis 2017, dont l’impact sur les recettes fiscales est estimé à 62 milliards par la Cour des comptes » dans un rapport(Nouvelle fenêtre) (document PDF) de juillet 2024.

Cette politique s’accompagne en outre d’une capacité des plus aisés à échapper à une partie de l’impôt grâce à des « pratiques d’optimisation fiscale » comme « l’utilisation de sociétés holdings, exonérées d’impôt sur les dividendes ». En conséquence, les plus riches paient, « proportionnellement à leurs revenus, moins d’impôts que la moyenne des Françaises et des Français ». Ce que confirme une étude de l’Institut des politiques publiques(Nouvelle fenêtre) (document PDF) de juin 2023. Et ce, alors que « les 500 plus grandes fortunes de France ont vu leur richesse augmenter de 1 000 milliards d’euros » en dix ans, pointent les deux élues, accentuant le creusement des inégalités. « Il faut aller chercher les nouvelles recettes là où elles sont : dans le patrimoine des plus riches », concluent Eva Sas et Clémentine Autain.

A ce titre, la proposition de loi apporte un changement majeur en termes de politique fiscale, puisqu’elle intègre au calcul du patrimoine les biens professionnels (les fonds de commerce, les immeubles affectés à l’exploitation, les parts des sociétés…), qui en sont aujourd’hui exclus. « Il est fini le temps où les plus riches possédaient principalement des châteaux ou d’immenses propriétés. Aujourd’hui, les richesses sont d’abord financières », justifie Eva Sas dans Le Nouvel Obs(Nouvelle fenêtre). « Cest justement en plaçant leur patrimoine professionnel dans des holdings que les ultrariches contournent l’impôt. »

3 Qui serait touché par cet impôt ?

S’il voit le jour, ce nouvel impôt pourrait concerner quelque 4 000 ménages domiciliés fiscalement en France, et dont le patrimoine est supérieur à 100 millions d’euros. Néanmoins, seuls ceux ne payant pas déjà un montant d’impôt égal à 2% de leur fortune y seraient soumis.

Le calcul de la valeur de leur patrimoine tient compte de « l’ensemble de leurs biens, qu’ils soient situés en France ou à l’étranger », prévoit la proposition de loi. Il intègre aussi les « biens des enfants mineurs lorsque le contribuable en détient l’administration légale ». « En cas de concubinage notoire », la valeur de « l’ensemble des biens, droits et valeurs détenus par les deux concubins et leurs enfants mineurs » sont pris en compteEnfin, le texte concerne aussi ceux qui ne sont pas domiciliés fiscalement en France, mais dont une partie des biens est située dans le pays.

4 D’autres pays l’ont-ils déjà mis en place ?

Non, même si « le constat de la faible taxation des riches a conduit à une prise de conscience » internationale sur le sujet, estime l’économiste français Gabriel Zucman, directeur de l’Observatoire européen de la fiscalité. Ce dernier a défendu, dans un rapport commandé par le G20 en juin 2024, l’instauration d’un impôt coordonné de 2% sur les patrimoines des milliardaires.

Cette proposition a inspiré en France les travaux des députés écologistes. Néanmoins, « une poignée [d’Etats] seulement, dont l’Espagne, l’Afrique du Sud, l’Allemagne, la Belgique ou encore la France, ont apporté leur soutien à la proposition » de l’économiste français au G20, relevait Le Monde(Nouvelle fenêtre) en juin, estimant que « cet impôt minimal mondial a peu de chance d’aboutir rapidement ».

5 Le budget 2025 prévoit déjà une taxe sur les « ultrariches », non ?

L’adoption du budget pour 2025 a fait émerger des débats similaires. Une contribution différentielle sur les hauts revenus (CDHR) proposée par le gouvernement de Michel Barnier a été adoptée dans le cadre du budget présenté par le gouvernement de François Bayrou. Cette mesure, qui ne doit s’appliquer qu’en 2025, doit permettre de garantir l’imposition des ménages à un taux moyen minimum de 20% et de lutter contre l’optimisation fiscale. Elle concerne ceux qui sont déjà soumis à la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus (CEHR)(Nouvelle fenêtre), c’est-à-dire les contribuables ayant un revenu fiscal de référence supérieur à 250 000 euros pour un célibataire et 500 000 euros pour un couple – loin des montants envisagés par les écologistes. Par ailleurs, elle doit rapporter un peu moins de 2 milliards d’euros, soit dix fois moins que le nouvel impôt envisagé.

Par ailleurs, le budget 2025 a entériné une surtaxe provisoire de l’impôt sur les sociétés, qui concernera quelques centaines d’entreprises françaises. Cette dernière devrait de son côté rapporter quelque 8 milliards d’euros dans les caisses de l’Etat. 

6 Quels sont les arguments des opposants au texte ?

Lors du vote, le Rassemblement national s’est abstenu. Le gouvernement, à l’unisson des groupes du « socle commun », a déploré une mesure « confiscatoire » qui encourage l’exil fiscal. De nombreux observateurs pointent en effet le risque d’un exil des plus riches. « Les études montrent que l’impôt sur la fortune ne fait pas fuir significativement les contribuables à l’étranger », rétorquent les rapporteuses de la proposition de loi, citant une étude de France Stratégie(Nouvelle fenêtre) (document PDF). Les députés ont néanmoins approuvé en commission un amendement instaurant une « exit tax », qui permet de faire perdurer l’impôt pendant cinq ans après l’arrêt de la domiciliation fiscale en France. Mais cette mesure « est contraire aux conventions fiscales internationales signées par la France » et pourrait ainsi ne pas être approuvée in fine, avance Jean-Yves Mercier, vice-président du cercle des fiscalistes, auprès de franceinfo.

L’avocat estime par ailleurs que la proposition de loi présente un risque anticonstitutionnel, puisqu’elle ne prévoit pas que « l’impôt puisse être plafonné en fonction du revenu » touché par le contribuable. « Les revenus permettant de payer l’impôt ne sont pas nécessairement corrélés avec l’importance du patrimoine », pointe Jean-Yves Mercier, qui estime que si un chef d’entreprise venait à utiliser une part trop importante de sa rémunération pour s’acquitter de l’impôt, alors ce dernier pourrait être considéré comme « confiscatoire » par les Sages.

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