Un Français sur dix a déjà testé le CBD, cet extrait légal du cannabis, sans effet euphorisant, selon une enquête menée par Tangui Barré et le Sesstim. Les sites de vente foisonnent sur internet et les boutiques de chanvre pullulent partout en France. On y trouve toutes sortes de produits : fleurs à fumer, huiles, bonbons, gélules et crèmes… Mais aussi des produits qui peuvent être dangereux selon les autorités sanitaires.
Dans sa petite boutique parisienne, Samuel sort de l’arrière du comptoir un énorme bocal de fleurs de CBD, de la variété « Bruce Banner », une fleur avec un fort pouvoir olfactif, « comme du bon vin » ironise-t-il. Mais il a aussi des produits à base de molécules fabriquées en laboratoire : « Là, ce sont des cartouches de 10-OH+, une molécule entre le CBD et le THC ». Le THC, c’est justement la substance psychoactive du chanvre, celle qui permet de se relaxer. Or, le problème, c’est que la plupart du temps, les consommateurs ne savent pas ce qu’il y a dans les produits qu’ils achètent.
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À la sortie de cette boutique, un client a pris des cookies : « J’ai du CBD et du Delta-9.. C’est une molécule dangereuse ? Je n’ai pas fait mes recherches à vrai dire, mais il y a le magasin, s’il y a un problème », se rassure-t-il. Un autre client a opté pour un sirop relaxant : « J’avais des soucis de sommeil, et cela m’a permis de passer outre. Je ne sais pas ce qu’il y a dedans, je n’ai pas cherché à savoir », même s’il confesse vouloir le faire.
Dans cette boutique, on trouve donc des cartouches qui contiennent une molécule fabriquée en laboratoire, le 10-OH+, un dérivé d’autres molécules interdites par l’Agence de sécurité du médicament il y a un an, parce qu’elles étaient trop puissantes et potentiellement addictives.
Des molécules vendues en toute légalité
Le marché du CBD étant très mal encadré, la seule règle pour vendre en toute légalité c’est que les produits ne doivent pas contenir plus de 0,3% de THC, la substance euphorisante du cannabis, car au-delà, les produits sont considérés comme des stupéfiants et à ce titre sont interdits, rappelle la MILDECA. Pour le reste, c’est un peu open bar, et les intermédiaires peu scrupuleux qui font le relais entre les producteurs de chanvre et les vendeurs, ne se privent pas.
Le psychiatre Nicolas Authier, pharmacologue au CHU de Clermont-Ferrand, l’un des meilleurs connaisseurs du CBD en France, parle carrément d’un « marché de la drogue ».
« Une partie de ce marché du CBD a rejoint les stratégies du marché de la drogue, il faut le dire. Certains vendeurs prennent une fleur de cannabis, sans THC, sur laquelle ils pulvérisent des substances d’origines synthétiques ou hémisynthétiques, qui reproduisent plus ou moins les effets du THC ».
« Ces substances ne sont pas illicites au moment où elles arrivent sur le territoire parce qu’il faut un certain temps avant qu’elles soient classées par l’Agence du médicament comme substances stupéfiantes » ajoute-t-il.
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Entre le moment où une nouvelle molécule apparaît sur le marché et son interdiction par les autorités sanitaires, certains consomment ces drogues de synthèse et parfois, atterrissent aux urgences pour des comas, des convulsions, des crises de panique, et pourtant, l’ajout de molécules est une pratique « assez répandue » concède le président de l’Union des Professionnels du CBD, Paul Maclean, à franceinfo. « Dans une bonne moitié des CBD shops, ils le font parce qu’il y a un marché qui n’est pas celui du bien-être, que je représente, mais celui du récréatif. Un marché complètement illégal, celui lié au THC ». Autrement dit, le marché des consommateurs qui veulent arrêter le cannabis, en en conservant les effets.
Vertus thérapeutiques et dérives récréatives
Si aucun vendeur ne va promouvoir « l’effet cannabis« , ils vantent tous le pouvoir relaxant ou antidouleurs du CBD et certains vont même très loin. Le propriétaire d’une autre boutique parisienne n’hésite pas à dire que ses produits pouvaient soulager des maladies graves et incurables, pour lesquelles il existe bien un médicament à base de cannabis, mais délivré uniquement sur ordonnance. « Le spectre est large : de l’épilepsie, à la sclérose en plaques, en passant bien évidemment par l’arthrose. Après, il y a toute la branche stress, angoisse, sommeil, et là, le CBD apporte une amélioration, un bien-être. C’est avant tout pour cela que les clients viennent à nous », rapporte ce gérant de magasin de CBD.
Un constat à nuancer puisqu’aucune étude scientifique n’a encore prouvé les propriétés relaxantes et antidouleurs du CBD et la dernière analyse de l’Agence de sécurité sanitaire (ANSES) laisse même entendre qu’à haute dose, cette substance peut avoir des effets toxiques sur la reproduction humaine. Pour instant, il n’est pas question d’interdire ces produits en France, qui ont rapporté plus de 600 millions d’euros en 2023, selon la société Xerfi.