Après avoir été adoptée par le Sénat, cette révision est examinée lundi et mardi par les députés. Elle vise à élargir le corps électoral de l’archipel, mais suscite de nombreuses tensions entre loyalistes et indépendantistes.
Un vote décisif pour la Nouvelle-Calédonie. A 17 000 kilomètres de Nouméa, l’Assemblée nationale examine, lundi 13 mai, la réforme constitutionnelle visant à élargir le corps électoral de l’archipel. Après un vote favorable du Sénat en avril, une adoption à l’identique par les députés est nécessaire pour faire cheminer ce projet gouvernemental, qui sera soumis à un vote solennel mardi après-midi dans l’hémicycle de l’Assemblée.
Depuis l’annonce de cette réforme par Emmanuel Macron en juillet 2023, deux camps s’opposent. Celui des non-indépendantistes, favorables à la réforme, et celui des indépendantistes, qui y voient au contraire un passage en force de l’Etat pour « minoriser encore plus le peuple autochtone kanak ». Dans l’archipel, le texte est source de nombreuses tensions. Depuis plusieurs semaines, plusieurs blocages et manifestations ont eu lieu pour demander le retrait du projet. Des opposants ont été interpellés et placés en détention provisoire. Franceinfo revient sur le sujet en quatre questions.
1 Que prévoit cette réforme constitutionnelle ?
Depuis l’accord de Nouméa du 5 mai 1998, le corps électoral est gelé en Nouvelle-Calédonie. Le droit de vote pour les élections provinciales ou les référendums sur l’archipel est réservé aux personnes disposant de la citoyenneté calédonienne selon certaines conditions. Il faut, par exemple, avoir résidé en Nouvelle-Calédonie entre 1988 et 1998 ou être l’enfant d’un parent ayant été dans cette situation pour participer au scrutin, rappelle Outre-mer La 1ère. Ces modalités visent à maintenir une meilleure représentation des Kanaks, peuple autochtone de plus en plus minoritaire en Nouvelle-Calédonie. En conséquence, près d’un électeur sur cinq est aujourd’hui privé de droit de vote dans le territoire.
La réforme constitutionnelle vise donc à dégeler le corps électoral, et à ouvrir les élections aux résidents installés depuis au moins dix ans en Nouvelle-Calédonie. « Chacun constate que le corps électoral gelé n’est plus conforme aux principes de la démocratie », a commenté le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui s’est rendu à de multiples reprises dans l’archipel ces dernières années. Le gouvernement « prend donc ses responsabilités » pour faire évoluer la situation, a prévenu le ministre, qui plaide pour une adoption du texte sans modification par l’Assemblée nationale, mais a laissé la porte ouverte à un accord institutionnel trouvé localement.
Selon un rapport du Sénat (document PDF), cette réforme augmenterait la composition du corps électoral de 14,5%, y ajoutant 12 441 natifs de Nouvelle-Calédonie, ainsi que 13 400 citoyens français présents de manière continue depuis au moins dix ans.
2 Pourquoi les indépendantistes s’y opposent-ils ?
Cette réforme constitutionnelle intervient dans un contexte de fortes tensions entre partisans et opposants à l’indépendance de l’archipel. Les responsables politiques peinent à s’entendre sur un nouveau statut pour ce territoire, après la tenue des trois référendums d’autodétermination où le « non » a l’indépendance est sorti vainqueur, le camp du « oui » ayant boycotté la dernière consultation de 2021.
Opposés au dégel électoral, les indépendantistes, réunis au sein de la Cellule de coordination des actions de terrain, estiment que ce texte a été décidé de « manière unilatérale » par le gouvernement. Auprès de l’AFP, Dominique Fochi, secrétaire général de l’Union calédonienne (parti indépendantiste), a dénoncé un « passage en force », empêchant de trouver une solution négociée localement entre loyalistes et indépendantistes. Ils considèrent également que si la question de la citoyenneté en Nouvelle-Calédonie est régie par la Constitution, le rapport de force entre les communautés sera très difficile à être infléchi à l’avenir.
Or, « le corps électoral est l’essence même du processus novateur de décolonisation », défini par les accords de Matignon de 1988 et de Nouméa (1998), a dénoncé le sénateur indépendantiste kanak Robert Xowie, auprès du Monde. « Aujourd’hui, le gouvernement français décide seul au nom de la démocratie qui sera citoyen calédonien, c’est un changement brutal de méthode », dénonce-t-il. « Si on a vécu en paix pendant quarante ans, c’est bien parce que le corps électoral était stabilisé », a renchéri auprès de Nouvelle-Calédonie La 1ère Daniel Goa, président de l’Union calédonienne.
Cette contestation est exacerbée par une grave crise de la filière nickel, à laquelle le gouvernement tente de répondre par un plan de redressement décrit comme « colonial » par les opposants indépendantistes, cite Le Monde .
3 A l’Assemblée nationale, quels sont les partis qui la soutiennent et ceux qui s’y opposent ?
Lors de son examen en commission, le projet de loi a été adopté sans encombre avec le soutien du camp présidentiel, de la droite et de l’extrême droite. « La situation économique ne nous permet pas d’attendre plus longtemps« , a ainsi estimé la députée MoDem de Seine-et-Marne Aude Luquet. « Est-ce qu’on négocie le droit de vote de quelqu’un né sur le territoire ? Non, ça ne se négocie pas », a également argumenté Nicolas Metzdorf, député Renaissance de la Nouvelle-Calédonie et rapporteur du texte.
En revanche, les députés de gauche ont présenté une série d’amendements pour s’opposer à cette révision constitutionnelle en l’état. « En l’absence de négociation et de consensus, les conditions ne sont pas réunies pour modifier le corps électoral », a dénoncé le socialiste Arthur Delaporte. C’est « un nouveau coup de force du gouvernement, qui sape les conditions d’une discussion apaisée sur l’avenir institutionnel du territoire », a regretté le député insoumis Bastien Lachaud, qui a appelé Gérald Darmanin à « se dessaisir du dossier » au profit du Premier ministre, Gabriel Attal. La France insoumise comme d’autres groupes plaide pour la création d’une « mission impartiale » associant le Sénat et l’Assemblée pour « faciliter les négociations ».
Avant son examen en séance publique, les députés opposés au texte ont déposé une motion de rejet, qui a toutefois peu de chances d’être adoptée, rappelle Politico.
4 Que se passera-t-il si le texte est adopté ?
Une adoption par l’Assemblée nationale ouvrirait la voie à une réunion du Parlement en Congrès pour réformer la Constitution, mais la date de ce grand rendez-vous parlementaire à Versailles n’est pas encore fixée. Le mois de juin a été avancé par plusieurs sources parlementaires auprès de l’AFP. D’ores et déjà, Emmanuel Macron a promis de ne pas convoquer le Congrès « dans la foulée » du vote, pour laisser une dernière chance aux discussions entre les parties prenantes locales en vue d’un accord institutionnel global.
Lors de l’examen du texte au Sénat, un mécanisme a été ajouté pour permettre la suspension de cette réforme constitutionnelle si un accord local survenait jusqu’à dix jours avant les prochaines élections provinciales. Le gouvernement avait initialement fixé une date limite au 1er juillet, mais celle-ci avait été perçue comme un « ultimatum » par les oppositions. Ces dernières seront prochainement invitées à Paris pour « une rencontre avec le gouvernement », a fait savoir dimanche l’entourage du président auprès de l’AFP.
Source: franceinfo