En trente-neuf cérémonies, il y en a eu des sourires, des larmes, des coups de colère et des imbroglios. Retour sur ces rendez-vous de télévision, aimés ou moqués, mais toujours vivants.
Les 40e Victoires de la musique auront lieu le vendredi 14 février en direct de la Seine Musicale sur France 2 et France Inter. C’est devenu un rendez-vous incontournable de la musique avec son lot de souvenirs et de controverses. Trop show-business ou trop branché .. trop popu ou trop snob, trop de trop… mais toujours présentes.
1Une première au Moulin Rouge
Pour la première édition, ambiance cabaret, Sylvie Vartan, faux air d’élégante Mad Max, descend l’escalier du Moulin Rouge en robe à paillettes vertes. Le 23 novembre 1985, le Tout-Paris de la musique se presse et le président est le mythique Charles Trenet. C’est déjà de la télévision mais l’émission est présentée par un chanteur, un peu maladroit dans l’exercice, Daniel Balavoine. Une mise en scène de Jérôme Savary, alors l’un des plus turbulents hommes de théâtre, et le trophée n’est qu’une note de musique dans une sphère de verre. Repartiront ce soir-là avec une Victoire : Michel Jonasz, Jeanne Mas, Dorothée et Éric Serra.
/2025/01/08/gettyimages-967064350-677ea252a82f4971732368.jpg)
Au casting dans la salle, le gratin de la chanson – Michel Berger, Julien Clerc, Henri Salvador – mais aussi Sophie Marceau, Francis Lalanne, le rugbyman Jean-Pierre Rives ou Gérard Jugnot. En 1985, l’humour est une des catégories récompensées. Ce sera Raymond Devos qui gagnera.
2 Les plus primés : Chedid et Bashung, 13 statuettes
Les Victoires étant une course aux bons points et aux récompenses, décernons donc la Victoire des Victoires. En 1986, Alain Bashung reçoit une Victoire pour l’album rock de l’année pour Passé le Rio Grande : suivront 12 trophées. En 2009, avec quatre nominations et trois Victoires, Alain Bashung est le grand vainqueur des 24e Victoires de la musique au Zénith de Paris. Et hélas, la dernière est attribuée en 2019, dix ans après sa mort pour son album posthume En amont. Il partage la loge du vainqueur avec Matthieu Chedid qui a décroché ce statut en 2018 en remportant la Victoire du meilleur album de musique du monde pour Lamomali.
Orelsan les talonne avec 12 Victoires, devant Souchon et Hallyday. Bataille de génération en perspective. Les artistes femmes sont loin derrière et avec sept Victoires à son actif, Vanessa Paradis est la femme la plus titrée de cette cérémonie. Elle a d’ailleurs décroché, à trois reprises, le titre de meilleure interprète féminine de l’année en 1990, 2008 et 2014, dernière Victoire en date pour elle.
/2025/01/08/000-33e249t-677eb8a46f236685585162.jpg)
3Les petits scandales des Victoires
Il ne peut y avoir de cérémonie de récompense sans de petits scandales. Cela fait partie du spectacle et pimente des soirées parfois teintées d’ennui et d’endormissement. Victoire du scandale, Noir désir. 17e édition, le groupe à l’apogée de sa gloire dénonce son label, Universal et son patron Jean-Marie Messier : « Nous ne sommes pas dupes de ton manège. Et si nous sommes de la même planète, on n’est décidément pas du même monde. » L’histoire retiendra que le leader du groupe, Bertrand Cantat, sera condamné pour le meurtre de Marie Trintignant.
Plus léger, en 1992, Jordy Lemoine est un enfant de 4 ans. Ses parents l’imaginent star et il enregistre Dur, dur d’être un bébé. L’enfant roi en 1994 remporte la Victoire de la musique pour l’album le plus exporté (1,5 million d’exemplaires vendus dans le monde). Le public hue cette décision, l’enfant s’effondre en pleurs. Dur, dur d’être un artiste. Une dernière pour l’indignation : 1996, Stephend remporte la catégorie révélation féminine de l’année. L’album a été retiré de la vente pour cause d’échec commercial. La rubrique faits divers notera que le producteur est l’associé de Claude Fléouter, producteur des Victoires. Délit d’initié ?
4Urbaines ou pas urbaines, ces Victoires
Exposer et récompenser le rap, le nommer musique urbaine, l’éloigner des catégories reine, se le faire piquer par Les Flammes (nouvelle compétition musicale dédiée au rap), les relations avec les musiques qui ne seraient ni chanson, ni pop, ni rock ont toujours été compliquées. Comme si un petit frère maintenant âgé de 40 ans dérangeait encore la sage famille musicale. Pour se réconcilier, il faut écouter le magnifique live de Diam’s en 2008, annonçant que ce seront peut-être ses dernières Victoires. Assurément, Diam’s n’est pas revenue sur sa décision.
Diam’s quitta la scène mais « les musiques urbaines » signent ensuite des performances scéniques mémorables. N’en gardons qu’une et – choix subjectif, bien sûr – ce sera SCH en 2022 : Parano produit par Sofiane Pamart avec deux pianos, un décor de théâtre en feu et sa voix des profondeurs.
SCH reçoit sa Victoire et conclut cette année-là par : « Merci de m’octroyer cette chance (…) C’est une chance dont bon nombre de mes collègues dignes de présence ce soir, ne serait-ce qu’honorifique, ne pourront profiter », a-t-il déclaré. « Je vous l’avoue, je suis un peu gêné ce soir de tenir cette Victoire-là dans mes mains, sans les voir ici assis en face de moi, ces grands messieurs qui auraient mérité tout autant que les artistes ici présents de célébrer leurs Victoires de la musique« , a-t-il également lancé.
5 La prestation la plus remarquée
Les Victoires de la musique ont toujours insisté sur les prestations scéniques. Du direct et pas de play-back. Quarante ans, soit 500 chansons. Alors choisissons un blues, des cuivres dingues, un piano et deux voix, les éclats de rire battant la mesure. Nous sommes en 1996 : Henri Salvador et… Ray Charles. Boris Vian, l’auteur du Blues du dentiste, a dû se réveiller durant 3 minutes et 40 secondes.
Une rage de dents subie par Henri Salvador serait à l’origine du génial morceau. Un final qui dit : « Et il ajoute en rigolant/J’suis pas dentist’ je suis pomblier/Entre voisins faut s’entr’aider oh oh/Et moi je gueul’ ce soir/Le blouse du dentiste dans le noir ». Un des plus beaux moments des Victoires de la musique.
6″Les dézingueurs » des Victoires
Ils sont venus, ils sont tous là. Enfin presque et cela dépend des époques. Et comme on aime autant détester qu’admirer, il faut « des dézingueurs » pour raviver la flamme des Victoires. Le dernier qui a ouvert les hostilités est Marc Lavoine en décembre 2024 dans Voici : « Ça n’a aucun intérêt« , s’enflamme-t-il. « Je trouve que c’est 300 personnes qui votent entre elles. » Le chanteur a une requête : « J’aimerais qu’on me raye des listes, d’ailleurs je pense qu’on l’a fait !« . Florent Pagny en 2017 sortait lui aussi l’arme lourde : « Je ne suis pas invité, quand je vendais des millions d’albums, je n’étais pas nommé. Ce sont les Victoires du petit milieu du showbiz, pas de la musique. » Matt Pokora n’était pas en reste : « Je vends trop d’albums. Quand tu es trop populaire, tu peux pas y aller… »
Mais parfois, les avis changent comme les modes. En 2013, Serge Lama à qui on proposait une Victoire d’honneur en compagnie de Sheila, Adamo et Enrico Macias, qui fêtaient aussi leurs cinquante ans de carrière, disait haut et fort : « Cela donne l’impression d’être dans un paquet d’anciens dont on se débarrasse. C’est presque humiliant ! ». Il l’avait alors expliqué au journal Le Parisien(Nouvelle fenêtre). Il avait aussi fustigé une cérémonie très parisienne, « une caste où certains ont la carte et d’autres pas ».
Mais en 2023, Serge Lama a changé d’avis et l’émotion était palpable quand le président d’honneur des Victoires, Calogero, est venu remettre la 600e Victoire au chanteur de presque 80 ans. « Je remercie la profession avec laquelle ça n’a pas toujours été facile. Mais j’ai réussi à surmonter toutes mes barrières. Je suis très ému. C’est peut-être la dernière fois, ce soir, que je vois un public m’acclamer debout. Vous le savez, j’arrête les frais. Mon corps ne peut plus suivre. J’ai eu une belle vie. J’ai fait le métier que je voulais depuis l’âge de 11 ans« , a-t-il confié.
7 Le jury, la puissance des puissants ?
Il n’y a pas que « les dézingueurs », il y a aussi la question qui fâche chaque année : arbitrage consanguin, truqué ou démocratie participative ? En 2018, Nicola Sirkis, chanteur du groupe Indochine, flingue la cérémonie la qualifiant de « mascarade ». « Ce ne sont que les maisons de disques qui votent. Et on voit qu’elles ne votent que pour leurs poulains. J’ai dit que je ne voulais plus participer à ça. » Les recommandations dans les bureaux des labels par les patrons quand venait le temps des votes étaient connues. Les plus puissants, les plus vendeurs avaient le plus grand nombre de bulletins et donc les plus puissants, les plus vendeurs avaient le plus grand nombre de trophées.
En 2024, Vincent Frérebeau, président des Victoires pour éviter l’influence de ces gros producteurs de musique changeait le collège des votants. Les membres du jury sont donc à la fois des programmateurs de festivals, de radios, de plateformes, des artistes et des journalistes de presse écrite. « Ce sont des gens qui n’ont pas d’intérêt particulier à ce que tel ou tel artiste soit consacré, donc ce sont des gens qui votent avec leur cœur et pour éviter le Tout-Paris, ce sont aussi des programmateurs de festivals qui ont vu pratiquement tous les spectacles pour lesquels ils vont voté : les gens des festivals sont les mieux placés pour connaître l’ensemble de la scène musicale, tous genres confondus. » À vous de juger, devant votre télévision, le 14 février, si ce jury est plus représentatif.
8De révélation à star
Les Victoires depuis leur création éclairent l’avenir de la scène musicale avec le trophée de la révélation. Au petit jeu de « que sont-ils devenus ? », on compte près d’une centaine d’artistes féminins et masculins à qui les Victoires de la révélation prédisait la gloire ou du moins une carrière. Par bonté, ne citons pas tous les oublié(es), si ce n’est Stephend en 1996, Miss Dominique en 2007 et Nina Morato en 1994, qui ont quitté la scène musicale. Mais reconnaissons que Patricia Kaas, révélation en 1988, Zazie en 1993, Florent Pagny en 1988 et Arthur H en 1993 ont tracé leurs sillons. Camille, récompensé en 2006 est aujourd’hui en course pour les Oscars ou Gaël Faye, révélation scène en 2018, est reconnu comme rappeur et écrivain, et en 2024 il a reçu le prix Renaudot pour son roman Jacaranda.
Dernière dans la liste : Zaho de Sagazan. L’an dernier, elle est nommée dans cinq catégories de la 39e cérémonie, elle en remporte quatre, notamment le prix de la chanson originale et le prix de l’album de l’année.
Le 14 mai, sur la scène du palais de Cannes pour l’ouverture du festival du cinéma, sa reprise de la chanson Modern Love de David Bowie en hommage à la présidente du jury Greta Gerwig fait un tabac. En juillet 2024, dans les jardins des Tuilleries, elle entonne Sous le ciel de Paris, pour la cérémonie de clôture des jeux olympiques d’été de Paris. Une star est née.
9Que faire de ces trophées ?
César, Oscars, Molière ou Victoires, où finissent-ils leurs carrières, ces objets plus ou moins jolis ? Pour la première édition, le trophée représentait une note de musique dans une sphère. En 1995, c’est Philippe Guillmet qui dessina et fabriqua les sculptures. En 2014, cet artiste déclarait(Nouvelle fenêtre) au Parisien : « J’ai remporté un concours il y a vingt-cinq ans. Alors que tout le monde a proposé des maquettes en plâtre, je suis allé à la fonderie et j’ai présenté un vrai trophée en bronze, beau, fini. »
/2025/02/03/000-app2000031189532-67a096ac828b9053199238.jpg)
Mais quel est leur destin une fois brandi, embrassé, couvert de larmes : sur la cheminée de la belle-mère, dans une armoire vitrée, au fond du grenier ou dans la salle de bain ? Jeanne Mas en rouge et noir bien sûr, gagnante de la première édition, les a vendus. Mais pour une bonne cause. Le 1er février 2025, elle est interrogée par Éric Dussart sur RTL(Nouvelle fenêtre) : « Elles sont où vos Victoires de la musique, vous les avez gardées ? Non, je les ai données », répond alors la chanteuse(Nouvelle fenêtre). Avant d’ajouter : « En fait, je les ai vendues pour aider le Chili qui avait eu un tremblement de terre très très violent, donc pour soutenir les personnes touchées, j’ai mis mes deux Victoires aux enchères. »
Le groupe de Saint-Etienne Terre Noire a trouvé la jolie expression de « garde partagée » : six mois l’un, six mois l’autre depuis le 11 février 2022 après leur Victoire révélation masculine. Ce sont deux frères et deux décors. Quand Raphaël l’installe sur son bureau, il s’en sert de porte micro pour enregistrer ses maquettes, son frère Théo ne semble guère pressé de décorer son intérieur avec.
Depuis 2017, la Victoire de la musique est fabriquée par la célèbre cristallerie Daum en Lorraine. Ce cristal de 1,422 kg sur 22 cm est fragile et en 2019 patatras. Le duo Big Flo et Oli l’ont cassé en trinquant à leurs victoires. Un accident dont les deux rappeurs ne se vantent pas, mais qu’ils ne cachent pas pour autant. Invités dans l’émission « 20h30 le dimanche », les artistes ont expliqué à Laurent Delahousse pourquoi ils n’apportaient qu’une seule statuette. « On en a qu’une parce que l’autre s’est cassée », a d’abord expliqué Oli. « J’ai cassé la deuxième. On a fait un « tchin » (…) et elle n’a pas supporté », a poursuivi son grand frère.
10Les Victoires 2025 : place au programme
Pour réviser et préparer la soirée du 14 février, voici le programme, et comme le dit le maître ou la maîtresse de cérémonie, les nommés sont :Artiste masculin
Gims
Justice
Philippe Katerine(Nouvelle fenêtre)
Tiakola(Nouvelle fenêtre)
Artiste féminine
Clara Luciani
Zaho de Sagazan
Santa
Yseult
Révélation masculine
Pierre Garnier
Lucky Love
Aliocha Schneider
Révélation féminine
Solann
Styleto
Yoa
Révélation scène
Aliocha Schneider
Solann
Yoa
Album
BDLM de Tiakola
Hyperdrama(Nouvelle fenêtre) de Justice
L’Impermanence d’Alain Chamfort
Mon sang(Nouvelle fenêtre) de Clara Luciani
Recommence-moi de Santa
Chanson originale de l’année
Ceux qu’on était de Pierre Garnier. Auteurs/Compositeurs : Daysy, Pierre Garnier & Joseph Kamel.
Ensemble d’Aliocha Schneider. Auteurs/Compositeurs : A. Schneider & Marc-André Gilbert. Arrangeur : M.-A. Gilbert
Recommence-moi de Santa. Auteur/Compositeur : Santa. Arrangeurs : Santa & Kid Sophie
Rome de Solann. Auteur/Compositeurs : Solann/Solann, Foé & Marso. Arrangeur : Marso
Tout pour moi de Clara Luciani. Auteur/Compositeur : Clara Luciani/Sage. Arrangeur : Tristan Salvati
Concert de l’annéeActe III de Shay. Production : Talent Boutique
Cérémonies d’ouvertures et de clôtures des Jeux olympiques et paralympiques d’été. Production : Paris 2024
La Symphonie des éclairs de Zaho de Sagazan. Production : Disparate & Wart.
Santa. Production : Décibels Productions
Création audiovisuelle de l’année
DJ Mehdi : Made in France(Nouvelle fenêtre). Réalisateur : Thibaut de Longeville
La Grâce d’Alain Chamfort(Nouvelle fenêtre). Réalisateur : François Goetghebeur
Neverender de Justice. Réalisateurs : Armand Béraud, Masanobu Hiraoka & Kota Iguchi