Juliette Binoche, Jean Dujardin, Gilles Lellouche, Nina Meurisse… Après six mois d’auditions et 350 personnes interrogées – des stars, mais aussi des anonymes –, le rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur les violences dans la culture était très attendu. Créée après l’appel de Judith Godrèche, cette instance doit rendre officiellement, mercredi 9 avril, ses 86 préconisations pour assainir un milieu accusé d’ignorer la parole des victimes. Cette commission présidée par la députée écologiste Sandrine Rousseau s’est attelée à décortiquer des dysfonctionnements systémiques au sein de plusieurs secteurs : le cinéma, l’audiovisuel, le spectacle vivant, la mode et la publicité.
« Le temps est venu d’agir et de faire savoir à toutes les victimes de violences physiques, psychologiques, sexistes et sexuelles que nous les écoutons et que nous sommes prêts à travailler à offrir un monde plus sûr. Il y va de la protection des enfants, des acteurs, des techniciens, des auteurs, des danseurs, des journalistes, des mannequins ou encore des musiciens contre toutes les formes d’abus », insiste la commission dans son rapport, que franceinfo s’est procuré. Voici ses principales recommandations, telles que formulées par le rapporteur Erwan Balanant (MoDem).
Renforcer la protection des mineurs
« La situation des mineurs était la motivation première de la demande de création d’une commission d’enquête sous la précédente législature », souligne le rapport. Une première commission, présidée à l’époque par Erwan Balanant et dont la rapporteure était Francesca Pasquini (EELV), a vu ses travaux arrêtés par la dissolution de l’Assemblée en juin. Depuis, la seconde commission, qui a repris le flambeau, a permis de confirmer les craintes concernant les mineurs : « des lacunes sont apparues au fil de l’enquête dans tous les secteurs visés », expose le document.
Erwan Balanant, désormais rapporteur, dresse des priorités en fonction des catégories d’âge. En dessous de 7 ans, il suggère de rendre obligatoire la présence d’un représentant légal lors d’un casting, d’un tournage ou d’une représentation. En amont, il souhaite que l’enfant consulte un psychologue et que ses parents soient mieux informés des scènes à tourner et des conditions de travail. Surtout, selon le rapporteur, les tournages et les représentations employant des enfants de moins de 7 ans doivent faire l’objet d’un contrôle systématique par les services de l’Etat.
Alors que les auditions menées ont laissé entrevoir un risque particulièrement accru de violences sexuelles entre l’âge de 16 et 18 ans, Erwan Balanant propose de modifier les règles encadrant le travail des enfants du spectacle. Aujourd’hui, une demande d’autorisation de travail auprès de l’administration ne doit être déposée pour les moins de 16 ans. Il préconise d’étendre cette obligation jusqu’à l’âge de la majorité.
Des disparités sont également relevées en fonction des secteurs. « La présence d’un responsable des enfants est plus développée dans le secteur du cinéma et de l’audiovisuel que dans le spectacle vivant et le mannequinat », développe le rapporteur, préconisant alors la présence de ce référent à toutes les productions artistiques. Il ne s’agit pas là d’un représentant légal, mais d’une personne dont le métier est spécifiquement de protéger et aider les mineurs sur un plateau. Dans son plan 2025-2027 de lutte contre les violences sexuelles dans la culture, dévoilé début mars, la ministre Rachida Dati s’est déjà dite favorable à cette évolution.
Le rapport note aussi une forte « sexualisation du corps des enfants, des jeunes femmes et des jeunes hommes » à l’écran comme dans les photos de mode, par exemple en les montrant en sous-vêtements, ce qui entretient l’idée qu’il est« licite de porter un regard chargé de désir sur des mineurs ». Ainsi, son rapporteur estime nécessaire d’interdire ces représentations sexualisées à l’écran et dans les photos de mode. Dès lors qu’il existe une mise en scène de l’intimité, il veut rendre obligatoire la présence d’un coordinateur d’intimité.
Améliorer le cadre de travail des interprètes
Le rapporteur met aussi sur la table des mesures visant à mieux protéger les adultes. Il propose notamment de rendre obligatoires les castings dans des locaux dédiés à cet usage, pendant les heures ouvrables, en présence de deux personnes au moins et en interdisant les scènes d’intimité ou de nudité, même partielle, à moins qu’un coordinateur d’intimité soit présent.
Une fois le casting établi, il souhaite que des clauses précises relatives aux scènes d’intimité soient détaillées dans les contrats des interprètes. Contrairement aux mineurs, Erwan Balanant ne préconise pas la présence obligatoire d’un coordinateur d’intimité sur un tournage, mais souligne néanmoins que la proposition doit être faite. A la toute fin du processus artistique, il recommande de donner un droit de regard aux comédiens sur le montage final, sous l’égide du Centre national du cinéma et de l’image animée.
Erwan Balanant souligne par ailleurs la nécessité de réglementer à nouveau la profession d’agent, en mettant à leur charge une obligation d’aide et d’assistance vis-à-vis de leurs clients, avec sanction si des manquements sont constatés.
Mieux former pour prévenir plus tôt les violences
« L’amplification de la politique de formation des professionnels de la culture apparaît également nécessaire pour prévenir les violences et garantir un environnement de travail sain et respectueux », préconise le rapport. Il est ainsi recommandé d’inclure obligatoirement une formation au droit du travail et à la prévention des violences en milieu professionnel, notamment morales, sexistes et sexuelles, dans le tronc commun de toutes les écoles du secteur culturel, assortie d’un examen.
D’une manière plus incitative et au-delà du cadre des écoles, le rapporteur suggère d’étendre la conditionnalité des aides publiques à l’ensemble du secteur culturel en exigeant la formation des équipes, mais aussi « la mise en place d’un protocole de signalement et de traitement ainsi qu’un bilan annuel par la structure des actions engagées ». Dans le secteur plus spécifique des festivals, Erwan Balanant souhaite former les agents de sécurité aux violences et au harcèlement sexistes et sexuels (VHSS) pour mieux protéger le public et les artistes.
Il juge également nécessaire de professionnaliser la fonction de référent VHSS, introduite depuis peu sur les tournages et qui pourrait, selon Erwan Balanant, être généralisée à d’autres secteurs de la culture. Cela passe, selon lui, par une meilleure rémunération de cette fonction et par la création d’un réseau de référents. Par souci d’indépendance, le rapporteur propose aussi d’interdire l’accès à cette fonction aux dirigeants des productions culturelles. Il estime souhaitable que le référent VHSS rédige un rapport à chaque fin de tournage.
Mettre les employeurs face à leurs responsabilités
Pour limiter « les phénomènes d’omerta » et mettre les employeurs face à leurs responsabilités, plusieurs évolutions sont souhaitables. Le rapporteur veut rendre obligatoire la réalisation d’enquêtes internes en cas de signalement de violences, en prenant appui sur des organismes spécialisés.
Par ailleurs, selon le rapport, seule la moitié des contrats d’assurances pour la fabrication d’un film inclut une « clause VHSS », laissant de nombreux tournages « sans protection » contre ces violences. Erwan Balanant recommande donc d’inscrire les violences et au harcèlement sexistes et sexuels parmi les risques obligatoires dans les contrats d’assurance relatifs à toutes les productions culturelles.
D’un point de vue juridique, Erwan Balanant souhaite obliger les employeurs du secteur culturel à signaler au procureur les faits de violences sexuelles dont ils ont connaissance. Plus généralement, il formule des propositions ayant trait à la prise en charge judiciaire des victimes de violences morales, sexistes ou sexuelles dans un cadre professionnel, comme celle d’ouvrir le débat sur la « prescription glissante » de violences sexuelles commises à l’encontre de majeurs. Cette mesure permettrait d’étendre le délai de prescription d’un viol ou d’agression sexuelle si son auteur se rend coupable de faits similaires par la suite.
Renforcer le contrôle de l’Etat
« Il est aussi apparu indispensable de renforcer le contrôle de l’État et l’information des partenaires sociaux en matière de violences », souligne Erwan Balanant. Il propose de donner le pouvoir d’interrompre un tournage ou une série de représentations à l’inspection du travail en cas de risques pour la sécurité et la santé des salariés. Pour des contrôles plus efficaces, le rapporteur préconise aussi de rendre obligatoire, en amont, la transmission des lieux où se tiennent les castings et les tournages à l’inspection du travail.