Les députés commencent mardi l’examen dans l’hémicycle du projet de loi du gouvernement. Censé répondre à la colère exprimée par les agriculteurs pendant l’hiver, le texte peine cependant à convaincre syndicats et élus de l’opposition.
Les agriculteurs sont aux aguets. Le très attendu projet de loi d’orientation pour la souveraineté agricole arrive en discussion dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale mardi 14 mai. Avec ce texte, le gouvernement cherche à répondre à l’exaspération exprimée par le monde paysan au cours de l’hiver à grand renfort de manifestations. Car si les blocages se font plus rares, « la colère n’est pas retombée », a rappelé jeudi la présidente de la Coordination rurale d’Eure-et-Loir, Aurélie Hallain, au micro de France Bleu.
Après 35 heures de débat et près de 3 000 amendements étudiés, le texte a été adopté par les députés de la commission des affaires économiques et doit maintenant être discuté en séance publique. Que reste-t-il du projet initial ? Quelles sont les attentes des syndicats agricoles ? Voici ce qu’il faut savoir avant l’ouverture des débats.
Un texte proche du projet de loi initial
Le texte sorti de la commission reprend la majorité des mesures prévues par l’exécutif. Parmi elles, le caractère « d’intérêt général majeur » qu’il souhaite accorder à l’agriculture, engagement pris par Emmanuel Macron lui-même au Salon de l’agriculture.
Le but ? « Nourrir la réflexion du juge administratif » face à un conflit autour d’un projet agricole qui opposerait production de nourriture et impératif écologique, selon le cabinet du ministre de l’Agriculture. Mais dans son avis, la commission nuance la portée juridique de cette mesure, rappelant que l’agriculture reste « du niveau strictement législatif », là où « la protection de l’environnement a une valeur constitutionnelle ».
Les mesures pour favoriser la formation et la transmission des terres ont reçu le feu vert des députés, alors que le nombre d’exploitations agricoles a chuté de 100 000 entre 2010 et 2020, selon l’Insee.
Les élus ont ainsi validé la création d’un nouveau diplôme national de niveau bac+3 et celle du guichet unique France Services Agriculture, censé guider les agriculteurs qui veulent débuter ou cesser leur activité. L’objectif d’atteindre au moins 400 000 exploitations agricoles sur le territoire d’ici à 2035 est également dans le texte final.
La disposition sur le foncier rejetée
Le projet du gouvernement sur le foncier, présenté comme un moyen de faciliter la reprise des exploitations, a été rejeté en commission. L’exécutif souhaitait créer des GFAI, acronyme pour « groupements fonciers agricoles d’investissement ». Cette mesure aurait permis à des acteurs privés ou publics de lever des fonds auprès d’investisseurs, afin d’acheter des terrains pour les louer à des agriculteurs.
La députée Aurélie Trouvé (LFI) avait fustigé un « article scélérat » qui « vise à tuer l’agriculture familiale en faveur de l’agriculture capitaliste ». Ses collègues Francis Dubois (LR) et Charles de Courson (Liot) avaient craint un « renchérissement du foncier agricole ». Les élus ont à la place acté l’importance de « favoriser le renouvellement des générations en agriculture par une régulation du marché foncier ».
Une motion de rejet préalable soumise au vote
Les débats s’annoncent houleux dans l’hémicycle. Déjà en commission, les députés du camp présidentiel (Renaissance, MoDem et Horizons) ont voté pour le texte, quand ceux de la gauche (LFI, PS et EELV) s’y sont opposés. La droite, le Rassemblement national et les indépendants de Liot se sont abstenus.
Plus de 4 500 amendements attendent les parlementaires. La députée écologiste Marie Pochon a affirmé via son compte X que la motion de rejet préalable de son groupe avait été retenue. Son adoption entraînerait le rejet du projet par l’Assemblée nationale. « Ce texte n’oriente rien et élude volontairement tous les sujets capitaux comme les revenus dignes, la régulation du foncier, la protection d’un modèle qui rend fier face aux impératifs de compétitivité », a dénoncé l’élue dans un post sur le réseau social. « Après avoir voté contre en commission, nous soutiendrons la motion de rejet, puisqu’il s’agit d’une loi d’orientation de l’agrobusiness », a de son côté dénoncé La France insoumise.
Une loi critiquée par les syndicats agricoles
La FNSEA, syndicat agricole majoritaire, est-elle satisfaite du projet de loi ? « Globalement, non », a répondu son patron, Arnaud Rousseau, au Parisien début mai. « A propos de la compétitivité ou de la fiscalité, on ne retrouve aucune de nos propositions. Sur ce dernier point, on nous renvoie au projet de loi de finances en fin d’année. C’est loin pour les agriculteurs », a-t-il tranché. Avant son passage en commission, « le texte tel qu’il était présenté était assez creux, notamment sur la souveraineté alimentaire », estime le vice-président de la FNSEA, Luc Smessaert, auprès de franceinfo. « Mais la réécriture complète de l’article sur la notion d »intérêt général majeur’ assure une meilleure protection de l’agriculture », selon lui.
La Coordination rurale, deuxième syndicat représentatif, a, elle, dans son viseur ce qu’elle nomme « le diagnostic environnemental contraignant pour chaque exploitation ». L’organisation fait référence au « diagnostic d’accompagnement » des agriculteurs, qui comprend « une évaluation de l’exploitation au regard de sa résilience face aux conséquences du changement climatique et de sa capacité à contribuer à l’atténuation de celui‑ci ».
La Confédération paysanne salue pour sa part « la suppression de l’article sur le foncier » et le devoir de « préserver et améliorer » le revenu des agriculteurs dans le texte, tout en espérant que « cela puisse être décliné précisément ». Sur la souveraineté alimentaire, le projet de loi prévoit le « maintien d’un élevage durable en France afin d’enrayer son déclin ». Une exigence qui devrait être étendue « à la question des fruits et légumes, insiste Laurence Marandola, la porte-parole du syndicat. On est largement dépendants des importations, c’est un drame absolu. »
Un manque d’ambition, pour les défenseurs de l’environnement
Les associations de défense de l’environnement dénoncent un texte qui, selon elles, ne prend pas en compte l’écologie. « Certains articles visent (…) à accélérer l’industrialisation de l’agriculture, en facilitant par exemple le développement de fermes-usines et la construction de mégabassines », pointe Greenpeace dans un communiqué, soulignant que le projet de loi propose de « réduire les délais des procédures administratives relatives à ce type de projets ».
Pour le collectif On est prêt, il y a « une absence totale de mesures pour préserver la biodiversité » et « un manque d’ambition écologique ». Ses membres ont annoncé sur leur compte X une mobilisation devant l’Assemblée nationale mardi, tout comme les militants de l’association Terres de luttes.
Source: franceinfo