Un pas franchi, mais encore des kilomètres à parcourir. L’Assemblée nationale a adopté largement, en première lecture, mardi 27 mai, une proposition de loi créant un droit à l’aide à mourir. Ce texte, qui permettrait sous certaines conditions à des malades au pronostic vital engagé de choisir le moment de leur mort en bénéficiant d’une substance létale, doit à présent être débattu au Sénat. Aucune date n’a encore été fixée pour cette nouvelle étape du processus législatif, qui risque, selon certains élus, de ne jamais aboutir.
« Nous n’aurons pas le temps d’adopter le texte avant la fin du quinquennat », redoute la députée Horizons Agnès Firmin Le Bodo. « On se posait déjà la question il y a un an, lorsque nous avons commencé les travaux à l’Assemblée avant l’arrêt brutal au moment de la dissolution », a rappelé l’ex-ministre de la Santé, le 17 mai, sur franceinfo. C’est elle qui avait été chargée par Emmanuel Macron de rédiger un projet de loi dès le printemps 2023, avant de voir la présentation du texte plusieurs fois repoussée et son examen interrompu en juin 2024. Après tant de faux départs, la course contre la montre au Parlement est perdue d’avance, prédit-elle.
Un temps envisagée cet été, l’arrivée du texte au Sénat ne devrait finalement intervenir qu’« à l’automne », en raison d’un programme de travail sénatorial « très chargé », fait savoir à franceinfo le ministère chargé des Relations avec le Parlement. « L’idéal serait dès la rentrée », complète le ministère de la Santé. Une fois saisis, les sénateurs de la commission des affaires sociales devront procéder à une série d’auditions et à un examen préalable de la proposition de loi, avant un débat et un vote dans l’hémicycle du Sénat, peut-être d’ici à la fin de l’année.
Un référendum en cas d' »enlisement » au Sénat ?
Parmi les défenseurs de l’aide à mourir, certains espèrent encore l’organisation d’une session extraordinaire au Sénat en juillet ou en septembre pour lancer le chantier dès la saison estivale. Les plus pessimistes, eux, s’inquiètent d’une éventuelle tentative par la chambre haute, dominée par la droite, de retarder volontairement le vote du texte, pour mieux l’enterrer. « Le président du Sénat, Gérard Larcher, est certes hostile à cette loi, mais je ne suis pas convaincu que le Sénat s’y opposera », tente de rassurer le député apparenté MoDem Olivier Falorni, qui mène le combat pour l’aide à mourir. Comme à l’Assemblée, les groupes du Sénat laisseront leur liberté de vote à leurs membres.
Face à un risque d’« enlisement » au Sénat, Emmanuel Macron a brandi, le 13 mai, la menace d’un recours au référendum pour court-circuiter le Parlement. « Le référendum peut être une voie pour débloquer et permettre aux Françaises et aux Français de s’exprimer », a-t-il estimé, alors que des sondages font régulièrement état d’une opinion publique très favorable à l’aide à mourir. « Je ne le ferais que si c’était bloqué », a-t-il insisté, soucieux de respecter le travail engagé par les élus.
Juridiquement, la possibilité de recourir à un référendum sur un tel sujet de société divise les spécialistes de la Constitution. Politiquement, les députés favorables au texte sont partagés. Agnès Firmin Le Bodo y voit « le seul moyen »de parvenir à une loi avant la fin du quinquennat, tandis qu’Olivier Falorni espère que le seul spectre du recours à cette « arme de dissuasion référendaire » suffira à faire avancer les travaux.
Une partie de ping-pong entre l’Assemblée et le Sénat
A quel calendrier faut-il s’attendre ? Faute de procédure accélérée, la proposition de loi devra faire l’objet de deux lectures devant chaque chambre. La balle pourrait ainsi revenir dans le camp des députés au début de l’année 2026, en commission puis en séance publique, à condition de lui trouver une place dans le calendrier législatif. Les possibilités risquent d’être limitées, d’autant que les travaux dans l’hémicycle pourraient être suspendus à la fin de l’hiver en raison des élections municipales, prévues en mars. « La question d’une suspension durant la campagne n’est pas encore tranchée », temporise-t-on à l’Assemblée, comme au gouvernement.
Au terme de la navette parlementaire, après un second passage au Sénat, une commission mixte paritaire composée de députés et de sénateurs aurait à s’entendre sur un texte de compromis susceptible d’être approuvé par les deux chambres. En cas d’échec de cette procédure, le dernier mot reviendrait à l’Assemblée nationale… si la fin de la législature n’est pas intervenue d’ici là.
« Ne pas parvenir à une adoption définitive avant la fin du quinquennat serait l’expression la plus terrible de l’impuissance de nos institutions », met en garde le rapporteur général de la proposition de loi, Olivier Falorni, qui veut croire à un bouclage dès « la fin de l’année prochaine » et à une entrée en vigueur « avant la fin du quinquennat ». La ministre de la Santé, Catherine Vautrin, qui défend le texte au nom du gouvernement, ne cache toutefois pas son inquiétude, voire son impuissance.
Même si l’adoption définitive intervient avant l’élection d’un nouveau président et d’une nouvelle Assemblée, elle ne marquera pas la fin du processus législatif. S’ouvrira en effet une période de quinze jours au cours de laquelle Emmanuel Macron devra promulguer le texte. Pendant ce délai, la procédure pourra être suspendue en cas de saisine du Conseil constitutionnel. Si au moins 60 parlementaires contestent la conformité du texte, les Sages auront jusqu’à un mois pour se prononcer. Si une partie de la loi est jugée contraire à la Constitution, des modifications devront y être apportées avant sa promulgation.
L’enjeu des décrets d’application
Quand les premiers patients éligibles pourront-ils finalement accéder à une aide à mourir ? Si la loi est promulguée, son entrée en vigueur sera conditionnée à la rédaction par le gouvernement de textes d’application. Comme pour toute loi, ces décrets et arrêtés, nécessaires à la mise en œuvre technique de certains articles législatifs, doivent être publiés « dans un délai de six mois », selon une circulaire publiée en 2022. Dans les faits, il faut souvent attendre au moins cinq mois pour qu’ils voient le jour et le plafond de six mois n’est pas toujours respecté, ce qui retarde d’autant plus l’application des lois.
Cette fois, le gouvernement pourrait agir vite. « Les décrets se préparent dès maintenant », assure Olivier Falorni, qui met à profit sa relation « très fluide » avec Catherine Vautrin. « A chaque article voté, j’ai évoqué avec la ministre les points qui nécessiteront un texte d’application, pour que ce soit opérationnel le moment venu », affirme-t-il, misant sur une entrée en vigueur effective « avant la fin du quinquennat ». L’entourage de la ministre se montre plus mesuré : « Ce serait péremptoire et irrespectueux vis-à-vis des parlementaires de se pencher déjà sur les décrets alors que le texte n’est pas encore adopté. »
Dernière haie à surmonter : la proposition de loi prévoit de charger la Haute Autorité de santé (HAS) de « définir les substances létales susceptibles d’être utilisées pour l’aide à mourir » et d’« élaborer des recommandations de bonnes pratiques ». Contactée par franceinfo, la HAS dit devoir attendre l’adoption définitive du texte et une saisine venue du ministère de la Santé pour « débuter »ce chantier. Rendez-vous dans deux ans ? D’ici là, pour les patients, patience.